mardi, mars 19

La Révolution culturelle dans l’objectif de Li Zhensheng

Photographe de presse, Li Zhensheng a travaillé durant 20 années pour Le Quotidien du Heilongjiang, journal du Parti Communiste du nord-est de la Chine, devenant célèbre grâce à ces clichés en noir et blanc, sorte de miroir de la Révolution culturelle (1966-1976).

Un livre rouge, dédié à ses œuvres

« Le petit livre rouge d’un photographe » est un livre sur la vie et l’œuvre de Li Zhensheng. Nombre de ces photographies témoignent de la vie quotidienne des habitants de la région avant, pendant et après la Révolution Culturelle.

Un cartouche sur la couverture du livre mentionne « Archives secrètes cachées pendant 40 ans ». Secrètes car Li Zhensheng est parvenu à dissimuler les négatifs de certains clichés considérés comme « négatifs, montrant les dénonciations et les tourments infligés durant cette période » (1).

Le petit livre rouge d'un photographeCe livre n’est pas seulement une succession de clichés sur l’histoire de la Chine, lors de sa période la plus noire, mais le parcours d’un photographe courageux. Engagé dans cette révolution, il l’a considérait juste au départ mais elle prit une ampleur beaucoup plus négative avec le temps.

Membre de la Commission permanente du Comité Révolutionnaire, il a conduit des séances de critique contre des personnes qui auraient trahi la pensée de Mao Zedong, ou parce qu’ils étaient accusées d’être des bourgeois.

Li Zhensheng explique qu’en tant que « membre de ladite commission, je m’efforçai d’accomplir mon devoir humainement« , c’est-à-dire sans violence, sans perquisition ni haine mais avec compassion. « Je ne prétends pas en aucune façon être bon. Je n’étais pas dénué de compassion, voilà tout », explique-t-il.

Son humanité lui vaut la persécution et la violence en 1969, lorsqu’il est accusé publiquement d’être « un nouveaux petit bourgeois » et un « agent de l’étranger« . Blessé par les accusations fausses et sans fondement  faites lors de la séance de critique, il a surtout mal vécu l’interdiction de prendre des photos. Il est envoyé à la campagne pour être « rééduqué », réapprendre la pensée de Mao Zedong.

Un photographe sensible et humain

Le sinologue Jean Philippe Béja (2) écrit qu’avec « Li Zhensheng, on a l’impression de faire un tour dans les archives du comité du Parti de la province la plus septentrionale de Chine, le Heilongjiang ».

C’est un sentiment très présent lors de la lecture du livre car les images illustrent parfaitement la vie de Li Zhensheng et des gens qu’il rencontre. D’ailleurs, les images de la foule illustrent l’effervescence et la passion suscité par Mao Zedong dans la population. Les photographies de Li Zhensheng sont simples, poussant le spectateur à ressentir l’instant saisi.

A l’instar des photos des tribunaux révolutionnaires, sur lesquelles, il est possible de voir au centre est l’accusé et devant lui, une masse de personnes venue le critiquer. Certains clichés sont concentrés sur les accusés, comme les sept secrétaires du Comité provincial du parti (Li Fanwu, Wang Yilun, Chen Lei, Ren Zhongyi, Li Jianbai et Tan Yunhe) et les moines du Temple du Paradis (Jilin), le 24 aout 1966.

Les moines ont été obligés de renier les textes bouddhiques, en tenant une banderole où est inscrit : « Au diable les Écritures bouddhistes. Ce ne sont que des pets de chines ». Voulant « écraser le vieux monde », les révolutionnaires ont pillé et incendié de nombreux temples, monuments et églises. Les Gardes Rouges ont pris pour cible la religion et l’éducation, symboles de l’étranger et non conforme à l’idéologie communiste.

En 1968, plusieurs événements touchent particulièrement le photographe. Tout d’abord, son mariage avec Zu Yingxia, rédactrice et membre du groupe rebelle qu’il a créé en 1966, nommé « Équipe de la jeunesse rouge combattante ».

Li Zhensheng

Puis, quelques mois plus tard, il photographie les corps de 5 personnes, lors de la Fête des Morts à Harbin. Les condamnés étaient accusés d’avoir fait paraître un pamphlet, intitulé « Regard vers le sud », jugé par les autorités de « révolutionniste soviétique ». Li Zhensheng est parvenu à immortaliser les visages de ces 4 hommes et une femme alors que leurs corps étaient en pleine décomposition.

Des années plus tard, il écrit : « si vos âmes sont hantées, je vous en prie, ne me hantez pas moi aussi. J’essaie simplement de vous aider. J’ai fait des photographies de vous parce que je voulais immortaliser l’Histoire. Mais je veux que les gens sachent qu’on vous a bafoués« .

Derrière chaque cliché se cache une intention plus profonde que celle de montrer : « grâce à des photographies qui parlent d’elles mêmes, je tiens à montrer au monde la Révolution Culturelle: un mouvement qui contraignit les gens à se monter les uns contre les autres pour survivre et nous étions tous des victimes, tant ceux qui furent battus et tués que ceux qui infligèrent des souffrances aux autres ».

Notes:

  1. « Le petit livre rouge d’un photographe », édition Phaidon, 2003, p. 203;
  2. Jean-Philippe Béja, « Li Zhensheng, Red Color News Soldier », Perspectives chinoises n°87, 2005.

Sites Officiels:

  • http://lizhensheng.blshe.com/ (Chinois)
  • http://www.red-colornewssoldier.com/ (Anglais)

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