vendredi, avril 19

Analyse théorique de la «Belt and Road Initiative» par Keita Muxa

L’initiative de l’Etat chinois Belt and Road, modifie notre regard d’un monde fortement assujetti aux appétits agressifs. Les barrières et les malentendus malgré l’ère de la technologie, n’ont pas cessé de se raviver. L’option chinoise basée sur les grands travaux de connections, notamment des chemins de fers, des routes et ponts, des gazoducs et le développement des routes maritimes, est un projet premier et unique du genre.

La Chine ne lésine pas pour atteindre ces ambitions afin d’une prospérité partagée à travers les continents. Derrière, c’est la volonté de création d’une société de destin commun. Cette nouvelle dynamique insuffle dans les relations internationales, la nécessité d’un cadre de référence, d’où l’intérêt théorique de l’Initiative Belt and Road (BRI).  

La BRI, nœud de la stratégie internationale de la Chine

Richelieu, l’unique et grand faiseur de la diplomatie française au 17eme siècle, n’a pas manqué au soir de sa vie de laisser un avertissement, selon lui : « Il n’y a rien de plus dangereux pour l’Etat que ceux qui veulent gouverner les royaumes par les maximes qu’ils tirent de leurs livres. »[1]. Comme toujours, il se trouve là encore pointé du doigt l’hégémonie que pratiquent les théories académiques, sur tout ce qui échappe à leur cadre de prédilection, dans lequel se trouve célébrée la rationalité.

Cependant on ne saura se démunir des théories que chérissent la plupart des universitaires, vu l’immensité des informations. L’actualité internationale demeure chargée, l’empirisme semble prendre le dessus, cependant il y a nécessité d’insuffler une dose de rationalité. Cette actualité internationale est inexorablement chinoise : journalistes, politiques, universitaires et analystes indépendants libres de tout contrant, ne cessent d’accroître leurs intérêts vis-à-vis des actions chinoises, à l’intérieur comme à l’extérieur. Entre le 25 et 27, se tient à Beijing, le second forum de la Belt and Road Initiative (BRI).

L’initiative devenue le nœud de la stratégie internationale de la Chine, à travers son leader Xi Jinping, mérite une analyse théorique. Elle  revisite la « Route de la soie », « Frayée par le célèbre ambassadeur chinois Zhang Qian ( ?-114 av JC) …»[2]. En ce XXIème siècle est désormais nécessaire un cadre de référence, d’où un travail d’universitaire.

D’abord il faut rappeler, qu’a l’orée du XXIe siècle, plusieurs chercheurs universitaires et hommes politiques, avaient tenté prédire ce qui se jouera en Chine, comme avenir.  L’autorité de Pékin, devient un gibier de potence au lendemain des événements tragiques survenus sur la place de Tian-an men en 1989. Une bonne occasion est offerte aux nombreux dissidents et détracteurs du pays, à débiter leurs aigreurs.

L’avenir du pays est promis au chaos et à l’effondrement. On se souvient encore de l’intitulé charlatanesque de Gordon Chang de son livre : « The coming collapse of China », un titre assez pompeux, tel l’auteur avait eu un entretien avec monsieur futur.  En ce 2019, où en est-on de la Chine ? C’est l’unique interrogation que tous les humains, sauront répondre sans se tromper. Le nom du pays raisonne la réussite ainsi que tous ses corollaires.

Xi Jinping et Mao Zedong

En examinant les trente années glorieuses de la Chine, l’évidence reste à déduire que plus qu’une simple gloire, l’expérience ressemble à un miracle. Bien entendu l’idée d’un « miracle chinois » semble rédhibitoire pour l’effort du peuple.  Emprunt-on pas souvent de Mao, refuser le fatalisme en déclarant que l’homme est une bouche à nourrir mais aussi deux bras pour travailler. Le dévouement et l’amour du travail peuple, à ne compter que sur la force de ses muscles, y trouvent une justification.

Les trente années glorieuses de la République Populaire de Chine, porte le nom d’un héros, Deng Xiaoping. Leader de la deuxième génération de dirigeants, il est l’artisan de la politique d’ouverture en 1978, c’est la chute du rideau de bambou.  Zhao Ziyang, premier ministre, en visite en Belgique le 5 juin 1984 à Bruxelles faisait comprendre que son pays est prêt à « danser un tango avec le capitalisme occidental [3]» Ainsi le pays s’ouvre au capitalisme. La prudence comme lettre d’or, amena les dirigeants à expérimenter la nouvelle politique, dans les Zones Economiques Spéciales (ZES) et dans 14 villes côtières[4].

Les résultats ont été fulgurants, avec une croissance double, le pays parvient à sortir la plus grande population de pauvres au monde, près de 800 millions d’individus. Après s’être positionné l’usine du monde, la Chine est devenue un leader mondial. Les Jeux Olympiques et Paralympiques de 2008, la réussite du lancement en Septembre 2008 du vaisseau spatial Shenzhou VII, l’exposition universelle de 2010, le sommet G20 de Hangzhou en 2016, sont entre autres d’éléments qui placent le pays en voie d’un leadership mondial. La BRI que propose le pays depuis 2013, introduit une analyse internationale peu ou prou nouvelle.

L’Internationalisme

La réussite de la Chine n’est pas qu’au service du peuple chinois, elle se veut consciente des insatisfactions internationales, des supplices que connaissent nombreuses populations à travers le monde. Hier la première génération des dirigeants chinois, a su concilier l’internationalisme et le patriotisme. Mao dans le petit livre rouge, affrontait le dilemme en répondant à l’épineuse question : « Le communiste, qui est internationaliste, peut-il être en même temps patriote ? Nous pensons que non seulement il le peut, mais le doit. »[5] Il faudrait sauver l’individu du piège du nationalisme et du patriotisme étroit.  

Le pays a en effet été parrain du tiers-monde au lendemain de Bandung en 1955, chose qui traduit largement le caractère internationaliste des dirigeants chinois. Quarante ans après la première génération de dirigeants de la République Populaire de Chine, l’internationalisme demeure fort encré. Les mutations ont été plus rapides que prévues, le tour du monde en 80 jours en 1870 par Georges Francis, s’effectue désormais à moins de 24 heures, sauf que cette performance reste encore réservée à une classe donnée.

Le développement rapide du monde n’a été que facteur de grandes inégalités. Le développement des routes maritimes et terrestres reste encore à désirer. L’Afrique et l’Asie centrale enclavées, peinent à trouver une place dans l’économie mondiale. Au regard de ce grand défi, le dirigeant chinois offre un projet révolutionnaire et planétaire : Belt and Road Initiative.

La Belt and Road Initiative, est une dans la flopée d’initiatives du président Xi, depuis sa prise des fonctions en 2013. Le rêve chinois ou encore le grand renouveau de la nation chinoise, développe dans sa stratégie internationale, des corridors d’approvisionnement non seulement du pays, mais aussi pour le bon écoulement de ses marchandises. L’usine du monde a besoin de voies terrestre et maritimes afin d’atteindre ses débouchés.

Nouvelle route de la soie

Le projet touche plus de 5 milliard d’individus répartis sur près de 80 pays à travers le monde. L’initiative contribuera aux échanges culturels, et favorisera l’accès des produits à bas coûts, un facteur d’augmentation du pouvoir d’achat. Les pays qui manquent notoirement d’infrastructures de base se verront doter grâce aux prêts accordés par la Chine.

Le Multilatéralisme

La mini-tournée du président Xi en Europe demeure en cours, après l’Italie, l’étape de la France est forte intéressante, en terme de théorie. Un mot devient le leitmotiv tout au long de l’intervention du président Macron, durant la conférence de presse accordée.

Le multilatéralisme se célèbre, à l’heure où les Etats Unis de Donald Trump, s’enlise dans un unilatéralisme viscéral. Les agissements du Président Trump, entouré par les théoriciens notamment John Bolton à la Maison Blanche, ne témoignent guère le caractère excentrique et unilatéraliste des leaders américains, ils s’inscrivent dans le rappel de ce qu’a toujours été le pays.

Comme le souligne Pascal Boniface dans son récent ouvrage que : « L’unilatéralisme est le fondement de leur (les Etats Unis) politique extérieure. Il est inscrit dans leur ADN stratégique dans la conception qu’ils ont d’être une nation en tous points exceptionnelle.[6]» Une Europe malmenée par les admonestations d’un allié-ennemi américain, cherche-t-il un nouveau saint auquel se vouer ? Le Chine présent, promeut son projet planétaire : la BRI. L’initiative bien entendu, placera la Chine au centre des échanges internationaux, chose qui permet au pays de retrouver son ancienne appellation « Empire du Milieu ».

Cependant il n’a aucune visée hégémonique, les dirigeants chinois n’ont aucune intention d’exercer une hégémonie mondiale. Etre une puissance est couteuse, en effet les dirigeants chinois célèbrent un monde dominé d’acteurs divers. On peut ainsi lire dans le livre « Le rêve chinois et le monde » : « Le rêve chinois est un rêve de développement national, et non un rêve d’hégémonie…. Le rêve chinois est un rêve de dignité nationale, et non un rêve d’empire… Le rêve chinois est un rêve de bonheur de la population, et non un rêve de régime constitutionnel. [7]».

Face à la BRI, l’Europe opte pour le multilatéralisme, d’où la raison de l’insistance du président français sur le terme « multilatéralisme ». C’est autant que dire face à la BRI, l’Union Européenne se veut une actrice majeure, d’où l’invitation d’Angela Merkel pour la réception du président Xi. L’’Europe souhaite ainsi devenir une colombe entre l’Eurafrique et l’Eurasie, comme le souhaite Jean Pierre Rapharin (un ami et grand admirateur de la Chine).

Une Politique Internationale d’Infrastructures

Lorsqu’on observe les différents corridors internationaux prévus par la BRI, au fond d’une carte du monde, on s’aperçoit de la naissance d’une nouvelle théorie des relations internationales. Elle met au cœur les infrastructures de connexion entre les pôles économiques et les différentes ères culturelles. Au nom des infrastructures, les acteurs internationaux sont appelés à enterrer leurs rivalités et trinquent leurs vers pour les corridors.

Longtemps l’humanité avait commencé à développer les quelques grands projets d’infrastructures, soient : à empêcher les échanges (le cas des murs), ou à connecter les sphères (les ponts, tunnels, routes, et chemins ferroviaires).  C’est vrai que la Chine avait depuis -2000 ans av JC, érigé des murs pour se mettre à l’abri des attaques mongoles et se prémunir de sa population nombreuse. 

Cependant le processus de l’histoire, a pour fondement le progrès.  A l’heure du XXIème siècle, on célèbre la mondialisation et la connexion des sociétés. Une société de destin comme souhaite les dirigeants chinois, ne se concrétise sans grandes infrastructures commerciales, énergétiques, pour un  développement inclusif.  

Tout d’abord, l’Asie centrale est promise à devenir le nœud des futures voies ferroviaires, des routes et des gazoducs. L’Europe est une destination spéciale, car elle représente un marché de consommateurs riches. Ainsi de Xi an, quitteront des trains qui traverseront toute la Russie pour joindre les capitales européennes.

L’Asie centrale, sera traversée par de trains de Xi an jusqu’au Karachi et au Gwadar. Un autre également de Xi an jusqu’à Téhéran traversant les grandes villes de l’Asie centrale. En Asie du su est, les mêmes projets similaires sont prévus et l’intérêt dans le détroit de Malacca est fort incontestable. 

En Afrique, la corne du continent est la plus concernée, notamment le port de Mombassa (Kenya) la Somalie, le détroit de Babel-maneb (Djibouti) et le Suez (l’Egypte). Le  coût des travaux s’élèvent jusqu’à 26 milles milliards de dollars [8], une première fois dans l’histoire du monde, on prévoit un tel financement au nom des infrastructures.

C’est la carte du monde qui change, les positions militaires stratégiques cèdent place aux grands transporteurs.  C’est le tank qui cède place au camion remorque, les portes avions à sécuriser les bateaux commerciaux… Désormais, il ne suffit qu’à ajouter un « isme » au mot « infrastructure » pour asseoir cette théorie pratique.

Le réflectivisme

La théorie critique du Réflectivisme, est un terme né sous la plume de
« Robert O. Keohane pour rassembler les travaux très divers qui questionnaient l’analyse rationaliste classique en cherchant à mettre en lumière le rôle des ‘variables instables’ telles les normes, les valeurs ou les identités – dans l’élaboration des problématiques internationales. »[9]. La théorie met accent sur l’influence que peuvent exercer les origines, les parcours ou les expériences d’un décideur international. Cette partie du travail, nous envoi à s’intéresser à la vie du leader chinois, Xi Jinping.

En lisant la biographie officielle du président Xi Jinping, nulle part, il est noté que le dirigeant a un parcours estudiantin à l’étranger. Chose qui n’est pas pas première en chine, car on se souvient qu’il a fallut attendre jusqu’en 1956 pour que Mao découvre l’extérieur pour la première fois.

Le président Xi Jinping

Ce diplômé de l’université de Tsinghua, n’est cependant pas un homme aux idées restreintes. Grand lecteur, il n’hésite pas à rappeler souvent sa passion pour la littérature surtout étrangère, lors de son passage à Moscou,  le 23 mars 2013[10], le leader Xi déclare dans son discours : « Quand j’étais jeune , j’ai lu des ouvrages de Pouchkine, de Lermontrov, de Tourgueniev, de Dostoîevski, de Tolsoi et de Tchekhov, ce qui m’a ainsi permis d’apprécier le charme de la littérature russe. »[11]

La lecture a le pouvoir but d’amener en voyage le lecteur partout dans le monde. Elle est un moyen d’enrichissement de l’imaginaire de l’homme et donne un coup de grâce aux stéréotypes et aux malentendus que les peuples se renvoient vice-versa.  Xi Jinping le grand lecteur, ne peut être qu’un ouvert d’esprit et grand amoureux des voyages.

Le riche parcours de Xi Jinping, d’abord en tant que jeune instruit dans les villages de production, dans les années 70, en dehors de la discipline forgée, l’a amené à vivre modestement avec des populations pauvres à la base. Le respect des autres et la rigueur dans le travail, deviennent désormais un principe de vie. Les différents postes de 1979, c’est à dire à la direction de la commission militaire centrale, jusqu’au poste de la vice-présidence de la république, ont forgé en lui un caractère intègre. Il a été responsable politique dans plusieurs provinces et municipalité, en guise de preuve de loyauté pour arriver au pouvoir.

Ces responsabilités l’on amené à voyager à travers le monde, qu’il a observé changer durant plusieurs décennies. En effet, le leader chinois est fort imprégné des besoins du monde, pour lesquels tout projet belliqueux et hégémonique, ne serait que perpétrer le cercle vicieux qui a toujours caractérisé les relations internationales.  Si le président Chinois a décidé d’envoyer sa fille étudier aux Etas unis, c’est parce qu’il reste persuader d’un monde ouvert, ou les talents s’entremêlent et se complètent.  Tous ces ingrédients ici énumérés, ont été des recettes meilleures pour cette initiative structurante du monde : la Belt and Road.  

La BRI est le plus grand cadeau de la Chine

La BRI, est le plus grand cadeau qu’offre le gouvernement chinois en ce XXIème siècle, sous la clairvoyance de son leader Xi Jinping au reste du monde. Le projet est total est draine dans son analyse tous observateurs de quelque bord que soit. La chine après avoir fait preuve d’un développement Pacific, réactualise les fondements de sa politique étrangère, basée sur les « bénéfices mutuels »[12].

L’objectif est de vaincre la pauvreté à grande échelle dans le monde afin de bâtir une société de destin. Plusieurs défis demeurent encore, et qui se dressent encore sur le sentier du rêve chinois pour le monde. Entre peur et méfiance les opinions internationales demeurent fortement divisées.  Face à la montée chinoise, les uns y voient un salut par contre d’autres une menace évidente. Philippe Barret n’hésite pas à se donner le devoir de réassurance dans son livre qu’il intitule : « N’ayez pas peur de la chine ».


[1]  Jean-Jacques Roche, Théories des Relations Internationales 4e édition, Montchrestien, page 08.

[2] Wu Yuan, La chine et l’Afrique 1956-2006, China international press, page20.

[3]  La nouvelle voie chinoise ou l’air pur du soir, Joseph Ewona, Edtions Mondes en devenir dirigée par Edmond Jouve , Série Points Chauds. 1986, Page 144.

[4] Les 14 villes côtières : Dalian, Quinhuang-dao,Tianjin,Yantai,Qingdao,Lianyungang,Nantong,Shanghai,Ningbao,Wenzhou,Fuzhoou,Guangzhou, Zanjiang et Behai.

[5] Le petit livre rouge-Citations de Mao Tsetsoung (XVIII le patriotisme et l’internationalisme) PDF, Page 61.

[6] Extrait de: Pascal Boniface. « Requiem pour le monde occidental. » iBooks. Page202.

[7] Huang Huaguang et Luan Jianzhang, le rêve chinois et le monde, Introduction (le XVIIIe congrès du PCC et le rêve chinois) pages :IV,V, VI.

[8] https://cqegheiulaval.files.wordpress.com/2018/11/vol4no3-specialbri_automne2018.pdf

[9] Jean-Jacques Roche, Théories des Relations Internationales 4e édition, Montchrestien, Page 196. 

[10] 23 mars 2013, le leader chinois prononce un discours à l’Institut des relations internationales de Moscou, à retrouver dans le livre « Xi Jinping- Gouvernance de la Chine vol I , pages : 325-333.

[11] Xi Jinping, La Gouvernance de la Chine, vol I Editions langues internationales, page 332.

[12] Serge Michel et Miche Beuret, La chinafrique- Pékin à la conquête du continent noir,  Editions Grasset et Fasquet 2008.

Par Keita Muxa, étudiant en master à l’institut des Etudes Africaines de Zhejiang Normal University (ZNU). Jeune chercheur et auteur de plusieurs articles.


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