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Avec Huawei, Nairobi est-il en de bonnes mains ?

Par François N. Malgré les doutes autour de l’efficacité de ses solutions et de la protection des données recueillies, Huawei cherche à étendre sa présence au Kenya – avec le soutien enthousiaste de Nairobi.

Lorsque le terrorisme a frappé Nairobi, au début 2019, David Mwangi n’avait pas encore obtenu son diplôme du Collège de formation de la police du Kenya. Lui et ses collègues ont suivi l’attaque en direct à la télévision. Aujourd’hui policier en service à Nairobi, le jeune homme de 26 ans est déterminé à faire en sorte qu’une telle tragédie ne se reproduise jamais. Huawei, le géant chinois des télécommunications, lui sert maintenant d’allié.

En collaboration avec Safaricom – le principal fournisseur de services de télécommunications au Kenya -, Huawei a installé plus de 1 800 caméras de surveillance dans le centre de la capitale kényane. Grâce à une infrastructure sans fil, les images sont transmises en direct au Centre intégré de contrôle et de communication (IC3), situé dans le quartier général de la Police nationale du Kenya. Là, les agents sont en mesure de surveiller la ville 24h sur 24, dépêchant des intervenants aux premiers signes d’une urgence.

Tout cela fait partie de Safe City, un programme de Huawei qui a permis au gouvernement de Nairobi de mieux gérer la sécurité publique, a déclaré M. Mwangi, qui a été formé à utiliser des dispositifs 4G pour interagir avec le système.

« Les autorités peuvent désormais effectuer une surveillance vidéo panoramique du centre urbain de Nairobi, grâce à un système de commande et de répartition très flexible sur la base d’un GPS et d’un logiciel de localisation géographique », a expliqué Adam Lane, directeur principal des affaires publiques chez Huawei pour la région d’Afrique australe.

Le 15 janvier, lorsque les militants d’Al-Shabaab ont lancé leur attaque contre un hôtel haut de gamme à Nairobi, le programme a été mis à l’épreuve. Pour M. Mwangi, il ne fait aucun doute que Safe City a joué un rôle crucial à ce moment. « Pour beaucoup de gens, Safe City a certainement fait la différence entre la vie et la mort », a-t-il constaté.

Dès que l’attentat a été signalé, les intervenants ont été immédiatement localisés et dépêchés sur place grâce au système de suivi en temps réel. Rapidement, l’IC3 a pu localiser et retracer le véhicule des terroristes. Moins de 24 heures plus tard, les assaillants étaient neutralisés.

« Safe City a été très utile tout au long de la crise. L’IC3 a été averti très rapidement et a donc pu organiser et envoyer rapidement une équipe d’intervention sur place, en coordination avec les forces de sécurité, dont le système de communication a été essentiel pour réaliser une intervention rapide et efficace », a affirmé M. Lane.

Changement de donne

Alors même que Huawei fait face à un contrecoup mondial à la suite d’allégations de contournement de sanctions et d’espionnage de la part des États-Unis, la société continue de jouir de la confiance de ses partenaires africains. Jusqu’à 70 % de l’infrastructure informatique clé de l’Afrique serait produit par Huawei, selon Gyude Moore, chercheur invité au Center for Global Development, basé à Washington.

Dans cette ambition africaine, Safe City fait figure de carte maîtresse. Le programme a été conçu pour s’attaquer à la criminalité urbaine, un problème de longue date en Afrique. Avant la mise en œuvre de Safe City, la police de Nairobi manquait de coordination et nécessitait parfois plusieurs heures pour répondre aux appels du public. L’arrivée de Huawei a changé la donne.

Thomas Lynch, directeur du département des communications critiques chez IHS Markit, a visité Nairobi avant et après la mise en œuvre de Safe City. Selon lui, l’amélioration de la sécurité publique est incontestable.

« Safe City est un système de communication fiable, mais aussi un système de vidéosurveillance qui peut fournir des renseignements vitaux après et pendant une crise, en plus d’avoir un effet dissuasif. De plus, les citadins se sentent plus en sécurité de se déplacer dans la ville maintenant », a constaté M. Lynch.

Remise en doute

Selon des données officielles citées par Huawei, Safe City a permis de réduire de 46% la criminalité à Nairobi de 2014 à 2015. Le programme a grandement amélioré la collaboration entre les agences et l’efficacité des interventions d’urgence de la police kényane, selon Safaricom.

De fait, les autorités kényanes veulent étendre le programme à d’autres villes, dont Kisumu, Nakuru et Eldoret, selon le projet budgétaire de 2019.

Toutefois, la tendance s’est inversée dès l’année suivante. Selon le Bureau national des statistiques du Kenya, 7 434 crimes ont été répertoriés à Nairobi en 2017 contre 6 732 en 2014. Certaines agressions médiatisées, comme le viol d’une femme en plein jour dans le centre des affaires de Nairobi en 2018, ont renforcé les doutes quant à l’efficacité réelle de Safe City.

Pour M. Lynch, il ne fait aucun doute que le programme reste valable. « Il s’agit toujours d’une solution très efficace qui a permis de réduire considérablement la criminalité depuis sa mise en œuvre », a-t-il estimé. « Tout suggère que Safe City est efficace pour combattre le crime. »

Loin d’être une panacée, le programme doit être considéré comme l’un des nombreux outils à la disposition des villes dans une approche plus large de sécurité publique et de gouvernance électronique, selon Huawei.

« Un large éventail de facteurs influent sur l’insécurité, comme l’éclairage, les stupéfiants, le chômage et l’inégalité. Notre système ne peut pas résoudre tous ces facteurs, mais il peut aider à s’attaquer à certaines des causes et contribue à la prévention et à la lutte contre la criminalité », a expliqué M. Lane.

Droit à la vie privée

Au-delà de l’efficacité, la protection de la vie privée figure souvent parmi les préoccupations soulevées par les experts lorsqu’il s’agit de programme de surveillance. Huawei ne fait pas exception.

Iginio Gagliardone, chercheur invité à l’Université d’Oxford, estime que le risque que de tels programmes soient mal utilisés, que ce soit à des fins politiques ou criminelles, est élevé dans les pays où les institutions et les contrôles des forces policières sont faibles, comme le Kenya. « L’Afrique dispose de très peu de lois en matière de protection de la vie privée relatives aux données personnelles », a-t-il prévenu.

En 2016, le quotidien kényan The Nairobian a rapporté qu’un commerçant avait comploté avec un policier au sein de l’IC3 pour retrouver des clients en défaut de paiement et saisir leurs biens.

Pour sa part, Huawei se voit avant tout comme un fournisseur de technologies, et non comme un surveillant de leur utilisation. « Le rôle de Huawei est de développer, installer, déployer et maintenir des technologies en fonction des besoins des services policiers. Ce sont eux qui doivent faire en sorte que leur fonctionnement et leur utilisation soient conformes aux lois nationales en matière de droits des citoyens », a souligné M. Lane.

L’épineux débat entre le droit à vie privé et la sécurité reste donc en suspens. Mais face aux menaces terroristes de la part d’Al-Shabaab et d’autres groupes mal intentionnés du genre, la sécurité devrait toujours prévaloir, selon M. Lynch.

« Étant donné ce qui s’est passé lors des attentats de ces dernières années, j’utiliserais personnellement n’importe quelle technologie pour protéger des enfants qui assistent à un concert. En cas de menace, nous devrions réfléchir à la meilleure façon de permettre à la technologie de garantir la sécurité », a-t-il conclu.

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