mardi, avril 23

Dix films de Ng Man-tat : un hommage à l’acteur hongkongais décédé surnommé « Oncle Tat »

De Cheong Kin Man – L’acteur hongkongais Ng Man-tat (1952-2021), né à Amoï, est décédé en février dernier. Le South China Morning Post de Hong Kong, le New Strait Times de Malaisie et le Korea Times décrivent Ng comme ayant été un acteur « legendary ».

Parmi les reportages sur le décès de Ng, relativement rares dans des langues européennes autres que l’anglais, celui en portugais de João Luz accorde à l’acteur une certaine attention , tandis que le journal napolitain [ Il Mattino ] le qualifie de « popolarissimo in Oriente ».

Le commentaire italien est tout à fait juste, tout d’abord parce que les films de Ng font partie de la mémoire collective de la grande sphère sinophone – cantonaise, fukienoise ou mandarinophone – mais aussi parce que ses films ont eu une importance significative, à divers degrés, dans les différents marchés auxquels s’adresse le cinéma cantonophone de Hong Kong au cours des dernières décennies dorées du siècle dernier notamment: l’Asie du Sud-Est et le reste de l’Asie de l’Est.

Ng était principalement connu en tant que partenaire de Stephen Chow, le plus grand comédien contemporain d’expression cantonaise de Hong Kong. Les films de Chow, appartiennent maintenant à une sous-culture de la grande sphère de langue chinoise. Selon moi, ils représentent une concrétisation et un mélange, tout au long de l’histoire du cinéma hongkongais, du cinéma d’expression cantonaise, de l’opéra cantonais, de l’influence des comédies occidentales, de l’animation japonaise et d’Hollywood. Enfin, n’oublions pas l’élément le plus caractéristique des œuvres de Chow: un humour absurde dans une « cohérence illogique ».

Un des traits distinctifs de l’œuvre de Chow et des productions hongkongaises des dernières décennies du siècle passé est le mélange de genres. Dans ses œuvres se lient comédie, action (présence d’arts martiaux), romance, histoire et bien d’autres genres encore.

Bien sûr, on voit plus d’une « réincarnation » directe de Chaplin dans les films de Chow et Ng, comme on peut le voir chez Nouveau Ma Sze Tsang (1916-1997) en 1959, ou chez Cheng Kwan-min (1917-1995) en 1969. Cependant, ce type d’influence n’est pas un phénomène isolé : les comédiens et les chanteurs d’opéra cantonnais tels que ceux cités plus haut ont eu aussi déjà assimilé la culture occidentale, et eu une influence importante sur la créativité de la génération qui leur succède.

Pour essayer de rendre un hommage à minima juste à Ng, j’ai rassemblé dix titres de films dans lesquels l’acteur défunt jouait des rôles appartenant à des genres très divers. J’ai aussi visionné des dizaines de ses films et de ses interviews pendant deux semaines. Je n’écris pas le mot « comédien » à son sujet parce que Ng n’était pas seulement un comédien. Il était un acteur capable de jouer plusieurs rôles dans un seul film. Il était particulièrement impressionnant dans sa transition entre l’humour et l’angoisse dans un même rôle.

La liste ci-dessous peut surprendre les lecteurs macanais qui connaissent déjà bien les films de Ng, tout comme j’ai été surpris par les «10 films hongkongais à mourir de rire» du journaliste français Arnaud Lanuque. Cette modeste liste personnelle n’est pas mon choix des dix meilleurs films classiques de Ng, mais il s’agit d’une tentative de donner un aperçu de la carrière d’un demi-siècle de cet acteur.

« Personne n’a prêté attention à notre soleil, tout le monde a juste pensé à une chose qui s’appelle l’argent. » Dans « The Wandering Earth » (2019) de Frant Gwo.

Ng lui-même a déclaré publiquement que c’est « le seul film présentable » auquel il a participé. L’acteur prolifique fait un excellent travail en jouant le rôle d’un grand-père qui sacrifie sa vie dans la mission de sauver une ville de la fin du monde. Le titre de la critique de Jorge Pereira Rosa suffit à raconter l’histoire de ce film dans une seule ligne: « Quand ce sont les Chinois qui sauvent le monde ». Considéré comme le premier film de science-fiction de la Chine continentale, il est recommandé de visionner ce film et d’en lire les commentaires et critiques.

« Les êtres humains ont toujours l’instinct de bien vivre. Nous devons bien nous comporter. » Dans « La seconde moitié de sa vie » (他的下半生, 1975) de Chi-Keung Lo.

À proprement parler, « La seconde moitié de sa vie » n’est pas un film. Il fait partie de l’une des séries télévisées les plus classiques de Hong Kong, « Below the Lion Rock ». En tant qu’acteur débutant dans sa vingtaine, Ng a participé à plusieurs épisodes de cette série que le gouvernement colonial de Hong Kong a produit dans le but d’inculquer des valeurs morales à ses colonisés. C’est l’une de ses premières collaborations avec Chow Yun-fat.

« Voulez-vous que je révèle tout ? … On doit négocier alors. » Dans « Heroic Cops » (1981) de Chan Chuen.

Après sa faillite en 1980, Ng s’est retrouvé privé de son travail de personnage principal dans des productions de télévision et a commencé une longue carrière d’acteur de second rôle. « Heroic Cops », le premier film de Ng, est une tragédie critique sur l’injustice sociale dans le Hong Kong colonial des années 1980. Dans celui-ci, il joue un voyou qui est tué par un personnage joué par Chow Yun-fat dans les premières 20 minutes du film.

Ng a joué presque exclusivement des rôles antagonistes jusqu’à sa collaboration avec Stephen Chow dans la série comique à succès « The Justice of Life » en 1989.

«Le foot n’est pas un jeu à une seule personne», dans «Shaolin Soccer» (2001) de Stephen Chow.

C’est le seul film de Ng doublé en portugais (avec le titre brésilien « Kung-Fu Futebol Clube ») et aussi la dernière œuvre avec Stephen Chow, après une collaboration intense des deux acteurs au cours des deux dernières décennies. Bien que « Shaolin Soccer » – avec des éléments évidents de l’animation et du manga japonais ou du dessin humoristique – ait une narration visuelle absurde, Ng joue en revanche excellemment, le rôle d’un entraîneur frustré, sans expressions forcées.

«Ma femme… viens voir Jésus ici …!», dans «Le Roi-Singe» (1995) de Jeffrey Lau.

Cette citation suffit à elle seule à démontrer comment il est possible de mêler l’humour cantonais absurde de Chow et Ng au grand classique de la littérature chinoise « Pérégrination vers l’Ouest » du XVIe siècle, une époque où la plupart des Chinois ne connaissaient pas encore le nom de Jésus.

En français, ce film est, aux côtés de « Shaolin Soccer », « Le Syndicat du crime 2 » (1987) ou « Les Dieux du jeu » (1989), un des rares qui soit doublé. Au milieu des années 1990, ce film en deux parties fit un flop au box-office de Hong Kong et son humour absurde n’était pas, au départ, le bienvenu en Chine continentale. Mais l’humour absurde est désormais considéré comme un classique incontournable sur le continent chinois. Chow et Ng ont fait un excellent travail d’interprétation. Il est hautement recommandé.

«Lui, il est le N!xau ?!», dans « Crazy Safari» de Billy Chan (1991).

A l’âge d’or du cinéma hongkongais, les cinéastes de l’ancienne colonie britannique ont suivi le phénomène des films africains « Les dieux sont tombés sur la tête » (1980 et 1989), avec le fermier namibien N!xau (1944-2003), et ils ont donc produit cet étrange mélange de films de vampires de Hong Kong, avec un passage en Afrique sauvage. Chow et Ng eux-mêmes ne sont pas visibles dans les scènes du film mais ont travaillé en tant que narrateurs. Le film est également doublé en espagnol, avec le titre « Los Dioses deben estar locos III ».

«En fait, au cours de ces années, ma vie a été très difficile. J’ai échoué dans les investissements, je suis plein de dettes, je ne vis plus avec ma famille, j’ai perdu mon emploi et je touche le fond. Je bois tous les jours pour tout oublier», dans «Big Big Man» (2011) de Tan Hua (Tam Wa en cantonais).

C’est le seul film de cette liste que je ne recommanderais pas personnellement. Cependant, je l’inclus afin de compléter un panorama de la carrière de Ng, en illustrant principalement, dans ce cas, les dernières années de la carrière de l’acteur sur le continent chinois. Cette production de la République populaire montre très bien à quel point Ng était très populaire en Chine continentale et acceptait des invitations très diverses en tant qu’acteur. Et, comme la citation le clarifie, Ng a en quelque sorte réinterprété sa propre vie dans l’une des scènes du film.

«Même si t’as pas de talent, n’abandonne pas !» Dans « Kara King» de Namewee (2013).

Ce film musical malaisien rappelle le deuxième mariage de Ng, avec une ancienne dame couronnée par un concours de beauté du pays. Dans ce film réalisé par le musicien malaisien Namewee, Ng joue, comme très souvent, le père du protagoniste, frustré par un échec  survenu dans le passé. Lorsque Ng est décédé à Hong Kong, l’ancien Premier ministre malaisien Najib Razak (2009-2018) a publié un court message de condoléances sur Facebook. Les cendres de Ng sont enterrées en Malaisie.

«Il est tout à fait normal d’avoir des disputes dans un business. Le plus important est qu’on reste amis», dans « Overheard 3 » (2014) d’Alan Mak et Felix Chong

Dans ce thriller, Ng apparaît brièvement en tant que méchant riche et puissant, M. Szeto, qui tire les ficelles d’une machination commerciale pour prendre le contrôle de terres dans une affaire valant plusieurs milliards de dollars  hongkongais. Dans ce film qui a marqué le paysage du cinéma contemporain dans l’ancienne colonie, Ng fait ce qu’il appelle « jouer un méchant d’une manière aimable », puisque « personne ne pense qu’il est un méchant » et « tout le monde voit son bon côté ». Le film contient un passage de quatre minutes tourné à Macao. Il est recommandé.

«J’ai tué Trumpet! J’ai tué Trumpet!», dans «A Moment of Romance» (1990) de Benny Chan (1961-2020)

Ce film produit par Johnnie To a valu à Ng le premier et unique prix de toute sa carrière: le « Meilleur acteur de soutien » aux Hong Kong Film Awards en 1991. C’est un film avec une histoire d’amour entre une fille innocente, Jojo (Jacklyn Wu), et le gangster altruiste Was Dee (Andy Lau). C’est en même temps, une histoire de vengeance entre ce gangster et le lâche Rambo (Ng), tout en sacrifiant tous deux leur propre vie pour tuer un ennemi commun, Trumpet (Tommy Wong).

Le film, qui est devenu un classique incontournable, a été sélectionné dans une rétrospective cinématographique de Hong Kong par l’Arsenal – Institut für Film und Videokunst en 2018. Le film comporte un passage de cinq minutes à Macao, dans lequel on peut voir le centre historique et la péninsule de Macao vue du ciel à la fin des années 80 et au début des années 90. En plus de ce film, nous recommandons également « All About Ah-Long » (1989) de To, dont les 15 dernières minutes du film, avec des scènes du Grand Prix de Macao, sont aussi un moment classique du cinéma de Hong Kong.

Ainsi, voici ma modeste liste, qui n’est qu’une très brève présentation des cinq décennies de la carrière de l’acteur Ng Man-tat.

Ng a évidemment eu une influence sur le processus de création de la sous-culture du « phénomène Stephen Chow » en Asie, et en particulier en Chine continentale. C’est une sous-culture que l’Europe – y compris la Russie, la France et l’Allemagne – découvre lentement.

Ce qui me fait admirer Ng, c’est par-dessus tout son humilité.  Dans une excellente interview accordée par Ng au journaliste bien connu de Chine continentale Xǔ Zhīyuǎn (Hoi Chi Ün en cantonais), en 2019, l’acteur dit qu’il a « de plus en plus peur de ne pas pouvoir apporter quelque chose de nouveau au public ».

Il y a trop d’histoires de Ng pour pouvoir toutes les inclure ici, mais mon article cherche à rendre hommage à ce grand acteur de soutien.

Au revoir, Oncle Tat.

Photographe : Alkyoni Vasiliki

Cheong Kin Man, anthropologue visuel macanais, écrit depuis 2017 de différentes réflexions et critiques sur les cultures de l’Asie de l’Est. Cheong Kin Man est diplômé de l’Université de Macao d’une licence en Études portugaises. Il a également étudié le portugais à l’Université de Coïmbra en tant que boursier de la Fundação Oriente portugaise. Son court métrage expérimental « Une fiction inutile » (2014/5)  réalisé dans le cadre de son master en anthropologie visuelle à la Freie Universität de Berlin lui rapporta un nombre de prix internationaux. Cheong Kin Man travailla également plusieurs années comme traducteur et interprète pour l’administration de Macao.

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