vendredi, mars 29

« La Chine demeurait le principal fournisseur de l’Algérie avec une moyenne de 8 milliards de dollars d’exportations annuelle »

Interview d’Abderrahmane Mebtoul, professeur des universités, expert international  docteur d’Etat en sciences économiques 1974 à Chine-Magazine.Com, par Youcef Maallemi.

COMMENT QUALIFIEZ-VOUS LES RELATIONS COMMERCIALES ENTRE L’ALGERIE ET LA CHINE?

La Chine accapare plus de 18% des importations algériennes, suivie de la France (9,72%), l’Allemagne (6,89%), l’Italie (6,25%) et l’Espagne (5,70%). Même le choc pandémique qui a frappé de plein fouet les échanges commerciaux mondiaux n’a pas réussi à enrayer le mouvement haussier des exportations chinoises vers l’Algérie.

Leur part dans la structure globale des importations algériennes est ainsi passée de 17% en 2020 à 18% à l’issue des deux premiers mois de 2021  selon les statistiques douanières algériennes. De  2010 à fin 2020, les exportations de la Chine à destination de l’Algérie ont totalisé environ 76 milliards de dollars.

Ainsi la Chine demeurait le principal fournisseur de l’Algérie avec une moyenne annuelle depuis 2013 de 8 milliards de dollars d’exportations vers l’Algérie. Alors que ses importations depuis l’Algérie, constituées essentiellement d’hydrocarbures, se sont chiffrées à seulement 14,793 milliards de dollars, avec donc un déficit commercial de l’Algérie avec la Chine à plus de 61 milliards de dollars depuis 2010.

Pourtant malgré cette percée, l’Algérie ne représente pas un axe majeur, les importations de l’Algérie en 2021 n’ayant représenté que 17% des échanges entre la Chine et l’Afrique du Nord et une goutte d’eau par rapport aux échanges sino-africains, l’Algérie n’ étant  pas un pays stratégique pour les importations chinoises de gaz et de pétrole, principale ressource d’exportation de l’Algérie comparé à l’Angola ou au Soudan et important  surtout  massivement de l’Iran et du Qatar proche de l’Asie.

En bref, l’Algérie et la Chine entretiennent des relations solides sur le plan politique où avant même l’indépendance de l’Algérie en 1962, Pékin ayant  été l’un des premiers à reconnaître le gouvernement provisoire qui partageait avec le régime communiste une culture révolutionnaire, ayant  financé et armé pendant des années le FLN via l’Égypte de Nasser, sur le plan international, la Chine et l’Algérie ont des positions complémentaires concernant le règlement des conflits régionaux et face aux enjeux internationaux.

Mais sur le plan économique, les échanges sont déséquilibrés comme d’ailleurs avec la Russie avec un paradoxe :  l’Algérie dépend à peu près de 90% de ses ressources financières de l’Occident si on ajoute, bien entendu, la zone européenne de la Turquie ayant une balance commerciale fortement déficitaire avec la Chine . De l’autre côté, tout l’armement et les relations militaires sont à 95% avec la Russie  et une importation massive de la Chine, deux pays avec lesquels  l’Algérie entretient de très bonnes relations , mais  pas grand-chose sur le plan des échanges économiques.

Sans compter le volet militaire, sur les 3 milliards d’échange avec la Russie en 2021, selon les données officielles russes, 95%  proviennent des exportations  russes vers l’Algérie, et les exportations algériennes vers la Russie ne dépassent pas 150/200 millions de dollars.

SUR LE PLAN DES INVESTISSEMENTS, POUVEZ-VOUS NOUS PARLER DES PERSPECTIVES ENTRE LES DEUX PAYS ?

Les chinois ont bénéficié de nombreux marchés notamment dans le BTPH (Société de bâtiments, travaux public et hydraulique) se chiffrant en dizaines  de milliards de dollars durant la période 2004/2008, en raison de la dépense publique, avec la baisse des recettes en hydrocarbures  et des réserves de change. Les investissements chinois dans ce secteur ont fortement  baissé entre 2019/2021.

Selon certains observateurs, le manque de transfert de technologie à pousser les entreprises à réaliser les projets le plus souvent une main d’œuvre chinoise. Rappelons deux projets symboliques illustrent cette relation : la construction de la grande mosquée et celle du grand opéra à Alger, ainsi que la construction  des infrastructures, du grand barrage de Draa Diss à l’autoroute Est-Ouest, en passant par des logements à bas coûts, encore que pour certains cas la qualité a fait défaut.

Nous avons plusieurs projets toujours en gestation. Ainsi les  groupes algériens ASMIDAL (filiale de Sonatrach) et MANAL d’une part, et les sociétés chinoises WUHUAN et TIAN’AN d’autre part, ont signé un Pacte d’Actionnaires pour la création, en partenariat, d’une société par actions de droit algérien pour entamer les activités préliminaires relatives au développement du Projet Phosphates Intégré (PPI).

La nouvelle société dénommée Algerian Chinese Fertilizers Company (ACFC), est détenue à 56% par la partie algérienne et à 44% par la partie chinoise. Représentant un investissement d’environ sept (7) milliards USD, le PPI est le premier projet intégré en Algérie dans le domaine de l’exploitation minière et la production d’engrais, selon les données obtenues lors de la cérémonie de signature.

Pour le fer Gara Djebilet  contenant  des réserves de 3,5 mds tonnes de fer (haute concentration de phosphore), l’entreprise nationale algérienne du fer et de l’acier (Feraal) a conclu un protocole d’accord avec un consortium chinois pour l’exploitation de la mine de fer de Gara Djebilet, dans la province de Tindouf. Le consortium est composé de China International Water & Electric Corp, Heyday Solar et la société sidérurgique Metallurgical Corp Of China.

Selon le ministre de l’Énergie et des Mines, la signature du protocole d’accord sera suivie  par la création d’une coentreprise entre Feraal et le consortium chinois pour développer le projet. Le coût du projet avec des données contradictoires certaines sources ont  avancé au départ, 2/3 milliards de dollars et récemment plus de 5 milliards de dollars,  étant  prévu en trois étapes, jusqu’à 2025 qui verra la première production de fer au niveau de la zone exploitée.

En application de ce mémorandum, il sera procédé à la formation d’une joint-venture (51% pour la partie algérienne et 49% pour la partie chinoise) qui sera chargée de l’exploitation à la source jusqu’à la production et la transformation. Ce projet vise à garantir et à sécuriser l’approvisionnement. Le lancement des travaux de réalisation permettra la création de près de 3.000 emplois.

Concernant  le projet du port Centre d’El Hamdania, financé en partie par Exim Bank of China, d’une capacité de 25,7 millions de tonnes/an et d’un coût d’investissement de prévu au départ 3,3 millions de dollars, l’actuel ministre en 2021 l’estiment entre 5/6 milliards de dollars, la réalisation du futur port en eau profonde est prévue pour durer 7 ans, où  les travaux devaient démarrer en 2021 avec une  première phase qui devait être sera livrée en 2025.

En vertu d’un protocole d’entente conclu le 17 janvier 2016, sa réalisation a été confiée à une société mixte de droit algérien composée du Groupe public des services portuaires et de deux compagnies chinoises que sont CSCEC (China State Construction Engineering Corporation) et CHEC (China Harbour Engineering Company). Régie par la règle 51/49%, cette société mixte est chargée de réaliser les travaux d’études, de construction, d’exploitation et de gestion de cette infrastructure portuaire

SELON VOUS, QUELLE EST LA PLACE DE L’ALGÉRIE DANS LA STRATÉGIE CHINOISE DES NOUVELLES ROUTES DE LA SOIE ?

Concernant le gazoduc Nigeria Europe, le choix final sera entre les mains des européens. Pour le Maroc ou l’Algérie, principal client, le choix de la Route de la Soie le sera fait par la Chine, car les deux pays sont déterminants pour la future carte géostratégique.

D’ailleurs, l’Algérie et le Maroc entre 2017/2018 ont adhéré à à cette initiative qui vise à améliorer  les liaisons commerciales entre l’Asie, l’Europe, l’Afrique, et même au-delà par la construction de ports, de voies ferrées, d’aéroports ou de parcs industriels, ce qui explique la relative neutralité de ces deux pays dans le conflit qui oppose la Russie à l’Ukraine où la majorité des échanges économiques de la Chine se fait avec l’Occident, la Russie représentant moins de 17% .

Parallèlement, on observe un changement dans les relations qu’entretient la Chine avec les pays du Maghreb. Si elles étaient jusqu’à il y a environ deux décennies centrées sur une proximité idéologique, donc très peu de nature économique, le pragmatisme a pris le dessus et la balance s’inverse, accélérant les échanges commerciaux.

Au carrefour de l’Europe et de l’Afrique, possédant une place stratégique au cœur de la méditerranée, disposant de réserve en matière première conséquente, se trouve le Maghreb, composé de l’Algérie, du Maroc, de la Tunisie, de la Libye et de la Mauritanie. Le Maghreb se situe ainsi  aux croisements des intérêts stratégiques, économiques et politiques de demain.

Selon une étude de l’’École de guerre économique française, l’ouverture de routes commerciales est actuellement étudiée, les marchandises arrivent depuis le canal de Suez jusqu’aux côtes maghrébines. Ensuite, deux routes sont envisagées : une première, en partance d’Alger, traversant Alger-Tamanrasset et finissant sa course à Lagos; la deuxième suivrait les côtes méditerranéennes jusqu’au port de Tanger, se  servant du couloir mauritanien pour atteindre l’Afrique et par là pour alimenter l’Europe,  l’Algérie devant être attentive à cette nouvelle stratégie qui modifie l’équilibre des rapports de force.

QUEL REGARD PORTEZ-VOUS SUR L’INVESTISSEMENT CHINOIS EN AFRIQUE ? 

Au préalable, signalons que l’intégration  des économies africaines  est relativement faible. L’enquête réalisée par la Banque mondiale montre qu’en 2020 existent d’importantes disparités d’intégration entre les zones: Mercours entre 14,7 et 16,4%, Cédéao entre 8,7 et 11,5%, Comesa entre 5,7 et 5,9% et la Cea entre 3,7 et 5,9%.

Certes, pour l’Afrique, avec plus d’un milliard de consommateurs et un PIB combiné d’environ 3 000 milliards de dollars américains, la nouvelle zone de libre-échange continentale crée le deuxième plus vaste marché mondial derrière le Partenariat régional en Asie et dans le Pacifique, mais reste un long parcours, le commerce intra-africain en 2020 représentant environ 15,2% selon la Cnuced.

Lors de la tenue du Forum sino-africain en septembre 2018, le président de la République populaire de Chine, a annoncé, la mobilisation de 60 milliards de dollars pour l’investissement en Afrique. Cela avait été déjà annoncée lors du précédent sommet Chine-Afrique, à Johannesburg en 2015.

Le géant asiatique a investi annuellement plusieurs milliards de dollars en Afrique depuis 2015 dans des infrastructures (routes, chemins de fer, ports) ou des parcs industriels. Mais ces investissements, largement salués par les pays africains désirant doper leur développement économique, a également dangereusement grossi leur endettement et leur dépendance vis-à-vis de Pékin.

Ce soutien de la Chine comprendra 15 milliards de dollars (12,93 milliards d’euros) « d’aide gratuite et de prêts sans intérêts », des lignes de crédit et des investissements d’entreprises chinoises, alors que Pékin est volontiers accusé d’imposer à ses partenaires un endettement insoutenable.  

Du 11 mars 2020 (date officielle du début de la pandémie de Covid-19) à juin 2021, la Chine a investi 11,2 milliards de dollars sur le continent africain selon le China Global Investment Tracker, think-tank American Enterprise Institute (AEI), soit l’équivalent du PIB annuel du Rwanda en 2020, sur un montant global de 75 milliards de dollars dans le monde.

Pour rappel, depuis 2010, les sociétés chinoises ont investi 35 milliards de dollars au Nigeria (pays particulièrement porteur pour son pétrole), 11,7 milliards en République Démocratique du Congo, le Tchad et le Cameroun ont, quant à eux, reçu 7 milliards de dollars contre 4,5 milliards  pour le Sénégal et 4,9 milliards pour la Côte d’Ivoire.

Mais la Chine privilégiant ses intérêts propres, ayant une stratégie planétaire investi également en Mauritanie, dans d’autres pays africains où au Maroc où les échanges bilatéraux ont enregistré une croissance de 50% ces cinq dernières années, de 4 milliards de dollars (3,5 milliards d’euros) en 2016 à 6 milliards de dollars en 2021, plus de 80 projets d’investissements chinois étant en développement, un des dernier projet en date porte sur la production de jantes en aluminium et se déroulera en deux phases  avec  un  investissement de 350 millions d’euros et 1.200 emplois.

Le continent africain abrite les économies parmi les plus dynamiques, avec un potentiel important pour les transformations structurelles, l’industrialisation et les investissements stratégiques. La création estimée de 3 millions d’emplois formels est largement insuffisante pour les 10 à 12 millions de jeunes qui arrivent sur le marché du travail chaque année.

Entre 2015/2020, on estimait que sur les 420/500 millions de jeunes sur l’ensemble du continent, seulement 1/6 avaient un emploi salarié. Cependant, les résultats au niveau des pays africains dépendent fortement de l’impact qu’ils auront sur le revenu intérieur, de la valeur ajoutée locale et de leur capacité à devenir concurrentiels

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