jeudi, mars 28

« Quel avenir pour la politique économique du Parti communiste chinois? »

De Project Syndicate, par Nancy Qian – « Au cours des 100 dernières années, le PCC [Parti communiste chinois] a uni et conduit le peuple chinois pour écrire le chapitre le plus magnifique de l’histoire millénaire de la nation chinoise ».

Xi Jinping, secrétaire général du PCC et président de la République populaire de Chine

C’est ce qu’a déclaré le président Xi Jinping lors de la célébration du centenaire du PCC dans un discours qui soulignait le rôle du Parti dans la réussite de l’Empire du milieu, en particulier son essor économique – pourtant son bilan économique est mitigé. Même ceux qui le reconnaissent oublient souvent que ses succès et ses échecs découlent des mêmes fondamentaux économiques.

Sous la direction du PCC, la Chine a effectivement accompli un « saut historique », passant du stade de pays l’un des plus pauvres du monde, avec des « forces productives relativement arriérées », à celui de pays à revenu intermédiaire doté de la deuxième plus grande économie mondiale.

Xi Jinping a cependant omis de dire que ce bilan est entaché d’échecs majeurs, notamment le Grand Bond en avant (1958-1962) qui a entraîné la plus grande famine de l’Histoire de l’humanité, et durant des décennies un contrôle des naissances abusif qui a contribué à une crise démographique de plus en plus grave.

La capacité du PCC à mobiliser les ressources lui a permis de fournir des biens publics à grande échelle qui ont contribué au développement du pays. Dès le début des années 1950, le Parti a investi massivement dans la santé publique et dans l’éducation.

C’est ainsi que la Chine a enregistré l’une des augmentations durables les plus rapides de l’espérance de vie à la naissance qui est passée de 35-40 ans en 1949 à 77,3 ans aujourd’hui. Le taux de scolarisation a également grimpé en flèche, passant de 20% à pratiquement 100% dans le primaire, et de 6% à 88% dans le secondaire. Le taux d’alphabétisation est passé de 20% en 1949 à 97% aujourd’hui.

Dans la période de réformes qui a débuté en 1979, l’État a également investi dans les transports et les énergies renouvelables. Entre 1988 et 2019, la longueur du réseau autoroutier chinois a été multipliée par 6, elle dépasse maintenant celle du réseau fédéral aux USA.

Par ailleurs, l’Empire du milieu a construit 50 centrales nucléaires de troisième génération. Il donne le feu vert à la construction de 6 à 8 nouveaux réacteurs chaque année et il a récemment annoncé le déploiement d’un réseau électrique à ultra-haute tension. Il s’agit d’un engagement ambitieux : faire en sorte que les énergies éolienne, hydraulique et solaire représentent 25 % de la consommation d’énergie primaire du pays d’ici 2030.

Cette capacité à mobiliser des ressources pour investir dans des biens publics à une telle échelle reflète l’un des plus grands atouts du PCC : il dispose du pouvoir politique nécessaire pour faire adopter des politiques économiques favorables à la croissance du pays dans des domaines où l’investissement privé serait insuffisant.

Les investissements dans la santé, l’éducation, les énergies renouvelables et les infrastructures contribuent sans aucun doute à la croissance économique et vont dans le sens de l’intérêt général. Mais les bénéficiaires ne sont pas toujours ceux qui les financent.

Les personnes éduquées et en bonne santé sont plus productives sur le plan économique, mais les parents qui ont beaucoup investi dans l’éducation de leur enfant ne récoltent pas toujours les fruits de leurs efforts. Les énergies renouvelables profiteront aux générations futures, mais elles nuisent aujourd’hui aux économies locales qui dépendent du charbon. Les nouvelles autoroutes profitent aux populations connectées, mais les agriculteurs expulsés de leurs terres pour les construire perdent leur gagne-pain.

Ces exemples montrent que la non prise en compte des divergences entre l’intérêt général et les intérêts individuels peut conduire à des situations problématiques. Sans l’intervention de l’Etat, les investissements sont insuffisants. Mais alors que dans d’autres pays les individus peuvent faire valoir leurs arguments, en Chine le Parti peut imposer ses décisions sans discussion. Un leadership politique fort favorise souvent le progrès, mais du fait de l’échelle et de l’inflexibilité de la mise en œuvre de la politique chinoise, si le pouvoir se trompe, les conséquences peuvent s’avérer catastrophiques.

Image d’illustration

C’est ce qui s’est produit lors du Grand bond en avant, lorsque la collectivisation de l’agriculture a contraint les paysans à cultiver sans compensation financière et sans droit de propriété individuelle. Une politique mal conçue a rendu difficile le maintien de la production et son suivi au niveau régional. La Grande famine chinoise qui en a résulté a fait entre 22 et 45 millions de morts en seulement deux ans, et l’économie a stagné. Et pendant les deux décennies suivantes, le pays a connu une croissance négative ou nulle.

La politique démographique de la Chine pourrait créer un autre problème grave. Lorsque la République populaire a été fondée en 1949, elle comptait 540 millions d’habitants. Puis le PCC a favorisé la natalité, par exemple en limitant l’accès à la contraception, et la population est passée à 841 millions en 1971.

Après cette famine, le PCC a voulu limiter la croissance démographique par une mesure extrême, la politique de l’enfant unique appliquée de 1979 à 2016. La population a cependant continué à croître pendant cette période, pour atteindre aujourd’hui 1,4 milliards d’habitants. Mais cette politique a déséquilibré la démographie de la Chine qui connait maintenant un nombre élevé de personnes âgées dépendantes et elle a contribué à un ratio hommes/femmes trop élevé.

La mise en œuvre du Grand bond en avant et de la limitation des naissances, de même que les investissements dans la santé, l’éducation, les énergies renouvelables ou les infrastructures, reposaient sur la capacité du Parti à mobiliser la base pour convaincre ses sympathisants et contraindre les retardataires. Mais il faut bien distinguer les domaines où il y a convergence entre intérêt général et intérêt individuel, et ceux où ils peuvent s’opposer.

Ainsi la plupart des avantages liés à la production agricole et à la croissance démographique bénéficient à ceux qui en sont à l’origine : intérêt individuel et intérêt général se rejoignent. Dans ce cas, l’intervention de l’Etat n’est guère nécessaire, elle peut même être contre-productive en raison notamment de la difficulté qu’il y a à évaluer le volume de production souhaitable par agriculteur ou le nombre idéal d’enfants par famille.

Dans son discours, Xi Jinping a consacré beaucoup d’attention aux projets du Parti et à son objectif de « faire de la Chine un grand pays socialiste moderne à tous égards » d’ici 2049, date du 100° anniversaire de la République populaire. Pour réussir, le PCC devra utiliser son pouvoir pour appliquer sa politique économique. Espérons qu’il l’exercera judicieusement, en se limitant aux secteurs où l’intérêt général ne coïncide pas avec l’intérêt individuel et qu’il laissera le reste au peuple chinois.

Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz

Nancy Qian est professeur à l’école de gestion Kellogg de l’université Northwestern dans l’Illinois et directrice-fondatrice du « China Lab » de cette université.

Copyright: Project Syndicate, 2021.
www.project-syndicate.org

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