jeudi, mars 28

Terres rares: le petit Burundi s’invite à la table de la Chine

Par Agence Ecofin, de Louis-Nino Kansoun – Depuis plusieurs mois, on assiste à un regain d’intérêt international pour le marché des terres rares que la Chine domine sans partage en assurant 71% de la production.

Or ces précieux minéraux sont indispensable aux industries technologiques. Avec la guerre commerciale entre l’empire du Milieu et les Etats-Unis, la nécessité pour l’Occident d’avoir des alternatives à l’offre chinoise s’est accrue.

Depuis fin 2017, un petit pays africain montre le chemin, le Burundi. Grâce à un partenariat avec une compagnie étrangère dénommée Rainbow Rare Earths, le pays exploite aujourd’hui la seule mine de terres rares du continent. Et l’impact sur son économie est déjà palpable.

Être pionnier a un coût

La Chine exerce un monopole sur le secteur des terres rares. Pourtant, selon le Bureau de recherches géologiques et minières, le pays ne détient que 47% des réserves mondiales de ce groupe de 17 éléments aux propriétés multiples.

En effet, contrairement à ce que leur nom suggère, les terres rares ne sont pas du tout rares. Elles sont même assez répandues, comme certains métaux de base. Par exemple, le cérium est aussi répandu dans l’écorce terrestre que d’autres métaux plus usuels comme le cuivre.

Mais ils sont généralement mélangés à d’autres minéraux, ce qui rend leur extraction et leur raffinage coûteux, surtout lorsque les normes environnementales doivent être respectées.

Ainsi, si l’empire du Milieu domine autant le secteur, c’est parce qu’il a accepté de prendre ce risque pour l’environnement (rejet de quantités considérables de produits toxiques et radioactifs, entre autres) que d’autres pays comme le Brésil ou la Russie ont longtemps hésité à prendre. Selon le site Statista.com, alors que la Chine a produit 132 000 tonnes de terres rares en 2019, le deuxième producteur (les Etats-Unis) ne totalisait que 26 000 tonnes devant des pays comme l’Australie, la Birmanie, l’Inde.

En Afrique, plusieurs grands projets de terres rares sont annoncés pour les prochaines années, mais la mine burundaise de Gakara est depuis 2017 la seule en exploitation. Le pays enclavé d’Afrique de l’Est fait donc pour le moment office de pionnier, en cela qu’il montre le chemin à suivre pour d’autres nations comme l’Afrique du Sud, la Namibie, la Tanzanie, ou encore l’Angola.

Gakara, la première et la seule mine de terres rares en Afrique

Si le Burundi fait office de pionnier dans l’exploitation des terres rares en Afrique, Rainbow Rare Earths (RRE) l’est tout autant. La société cotée à Londres et contrôlée par le magnat grec des mines, Adonis Pouroulis, a acquis le statut de premier (et jusque-là unique) producteur de terres rares en Afrique, au prix d’années d’efforts dans l’exploration et le développement du projet Gakara.

Son dur labeur est récompensé quand elle annonce début décembre 2017, l’entrée en production commerciale de la mine. Un cadeau idéal, aussi bien pour le gouvernement et le peuple burundais que pour les actionnaires de la compagnie. Selon les termes du partenariat entre l’Etat burundais et RRE, l’exploitation à Gakara peut durer au moins 25 ans.

« Rainbow peut maintenant prétendre à juste titre être le seul producteur de terres rares en Afrique et le producteur avec la plus haute teneur au monde. Nous avons mis en œuvre avec succès notre stratégie déclarée en développant la mine, en construisant notre usine de traitement jusqu’à sa mise en service finale et en exportant maintenant notre première cargaison de concentré minéral », s’était alors réjoui Martin Eales, PDG de la compagnie, ajoutant que l’objectif à atteindre avant la fin de l’année 2018 est une production annuelle de 5000 tonnes.

Pour le dernier mois de l’année 2017, toutefois, seulement 75 tonnes de concentrés de terres rares ont pu être exportées via le port de Mombasa au Kenya. Plusieurs acheteurs s’étaient en effet positionnés en amont pour acheter annuellement jusqu’à 10 000 tonnes de la production de Gakara, dont la teneur du minerai comprise entre 47% et 67% d’oxyde de terres rares total (TREO) est l’une des plus importantes au monde.

Au total, 575 tonnes de concentrés de terres rares ont été produites pour l’exercice annuel achevé le 30 juin 2018. L’exercice suivant, la société a exporté 850 tonnes.

Rainbow Rare Earths n’arrive donc pas à atteindre son objectif, mais ce n’est que partie remise même si, avec la pandémie de Covid-19, il semble peu probable qu’elle y arrive cette année. Cela ne remet toutefois pas en cause le potentiel, ni l’investissement de la société à Gakara.

Selon une estimation JORC fournie fin 2018 par RRE, le projet Gakara hébergerait en effet une ressource d’environ 1,2 million de tonnes de minerai contenu dans une petite fraction de la superficie du permis minier.

Trois zones de minéralisations importantes sont identifiées, à savoir Gasagwe (qui fait l’objet d’exploitation) Murambi Sud et Gomvyi Centre. « Trois des zones comprennent 12 481 tonnes de ressources minérales à 55% de TREO. Ces ressources fourniront, à elles seules, plus de deux ans d’alimentation pour notre projet qui consiste à produire jusqu’à 5000 tonnes de concentrés, et nous continuerons bien sûr à explorer ces gisements », a commenté Martin Eales.

Un impact croissant sur l’économie

Pour tout savoir des relations entre la Chine et l’Afrique

Le Burundi est l’un des pays les plus pauvres de la planète et son économie repose largement sur l’agriculture qui emploie environ 80% de la population active. Le café et le thé représentent depuis des années les principaux produits d’exportation.

Pourtant, bien que sa contribution au PIB soit encore marginale, le secteur minier s’affirme de plus en plus, notamment sur le plan des recettes d’exportations. Depuis l’entrée en production de la mine de terres rares Gakara, la contribution des mines aux recettes d’exportation a d’ailleurs augmenté, dépassant même pour la première fois le café et le thé.

Selon les données de la Banque centrale du Burundi, la valeur des exportations de minerais a bondi en 2017 pour totaliser 112,979 milliards de francs burundais (58,4 millions $) contre 29,638 milliards (15,3 millions $) l’année précédente.

Un an plus tard, l’importance des terres rares est même devenue incontestable, car les recettes du secteur minier ont encore augmenté, avec un montant de 122,689 milliards de francs burundais (63,4 millions $), soit bien plus que les exportations de café et de thé, réunies (environ 119 milliards de francs burundais).

« Le secteur minier apporte maintenant plus de 50% des devises étrangères. Il y contribuera encore davantage, jusqu’à 70% dans le futur. Le secteur minier apporte plus que ceux du café et du thé réunis », confiait, en juillet 2019 à Reuters, Léonidas Sindayigaya, porte-parole du ministère des Mines.

Si l’économie burundaise traverse depuis 2015 une période délicate, à cause de la baisse de l’aide extérieure, la place croissante qu’occupe le secteur minier est une bouffée d’oxygène pour le gouvernement. Ce dernier gagnerait donc énormément à ne pas abandonner ses efforts d’investissement dans les mines s’il veut concrétiser le potentiel du secteur. Il peut ainsi profiter de son idylle avec RRE pour mettre en place une stratégie de développement durable.

Une chose est certaine, la vision de la compagnie, elle, ne fait aucun doute. Avec le succès de son opération de Gakara, Rainbow Rare Earths a déjà affiché son ambition de devenir « un fournisseur stratégique clé pour le marché mondial des terres rares ». Pour réaliser cet objectif, elle compte faire entrer en production de nouvelles zones minières en plus des gisements Gasagwe et Murambi à Gakara et investir dans la compréhension des ressources du projet. Elle investit également dans des projets d’exploration, ailleurs en Afrique, notamment au Zimbabwe et en Afrique du Sud.

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