
Depuis sa création en 1967, l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) a cultivé une réputation de confiance et de dialogue qui a fait de la région un synonyme de paix, de stabilité et de dynamisme.
Les réalisations de nos dix États membres – qui seront bientôt onze avec l’admission prévue du Timor-Leste en 2025 – sont ancrées dans une culture de consensus, de communication ouverte et de solidarité.
Cette tradition de coopération a permis à l’ANASE de gérer les tensions, de prévenir les conflits et de favoriser la prospérité dans l’une des régions les plus diverses du monde.
L’esprit de solidarité de l’ANASE a été récemment mis à l’épreuve lorsque la Malaisie, qui préside actuellement le groupe, a convoqué les dirigeants du Cambodge et de la Thaïlande dans un contexte de violents affrontements le long de leur frontière. Grâce à une écoute attentive, à une médiation fondée sur des principes et à la participation constructive des États-Unis et de la Chine, les parties ont obtenu un cessez-le-feu immédiat. Cet épisode a réaffirmé non seulement la valeur durable du dialogue et du respect mutuel, mais aussi la confiance que les citoyens de l’ANASE placent dans l’association en tant que gardienne de la paix et de la stabilité.
Avec l’escalade des rivalités entre grandes puissances, l’intensification de la concurrence géoéconomique et l’érosion de la confiance dans le multilatéralisme, l’ANASE est confrontée à un monde en mutation. Dans un tel environnement, la centralité de l’ANASE n’est pas seulement une aspiration diplomatique, c’est une nécessité existentielle.
Créée au milieu des turbulences de la guerre froide, l’ANASE est depuis longtemps synonyme de paix, de neutralité et de stabilité. Le 46e sommet de l’ANASE, qui s’est tenu à Kuala Lumpur en mai, a réaffirmé cette mission tout en marquant une étape historique : la décision unanime d’accueillir le Timor-Oriental en tant que onzième membre, renforçant ainsi l’engagement de l’ANASE en faveur de l’inclusion et de l’unité.
La préservation de l’autonomie de l’ANASE – la capacité de parler d’une seule voix plutôt que de se faire parler à sa place – exige de la vigilance. Elle exige que nous nous accrochions aux valeurs de patience et de diplomatie constante qui sous-tendent depuis longtemps l’ordre régional.
Avec une population de 660 millions d’habitants, l’ANASE est l’un des marchés les plus dynamiques du monde. Toutefois, pour réaliser son potentiel, la région doit réduire les écarts de développement et établir des liens plus solides et plus équitables entre les États membres. Lors du 47e sommet de l’ANASE, qui se tiendra également à Kuala Lumpur en octobre prochain, nous ferons progresser les efforts visant à démanteler les barrières tarifaires et non tarifaires et nous renouvellerons notre engagement en faveur d’un commerce porteur d’avantages durables et inclusifs.
Face à la montée du protectionnisme et aux guerres tarifaires qui menacent la croissance mondiale, l’ANASE doit tracer une voie différente et renforcer sa résilience grâce à l’ouverture et aux réformes. Le partenariat économique global régional (RCEP), le plus grand accord commercial de l’histoire, est le point d’ancrage de notre architecture économique régionale. Sa mise en œuvre effective est essentielle pour garantir des opportunités tangibles à nos populations et une prospérité durable à nos économies.
Dans le même temps, l’ANASE doit élargir ses partenariats mondiaux. Le sommet historique ANASE-Conseil de coopération du Golfe-Chine qui s’est tenu au début de cette année, ainsi que les efforts en cours pour moderniser les accords avec la Chine, l’Inde et la Corée du Sud, soulignent notre volonté de jeter des ponts bien au-delà de notre voisinage immédiat. L’économie numérique devant être le moteur de la prochaine phase de croissance de l’ASEAN, la conclusion du cadre de l’économie numérique de l’ASEAN est devenue une priorité urgente, en particulier dans un contexte d’intensification de la concurrence pour le leadership dans le domaine de l’IA et d’autres technologies transformatrices.
Ces initiatives – qui couvrent le commerce, la technologie et la connectivité – servent un seul objectif primordial : sauvegarder l’autonomie de l’ASEAN dans une ère d’incertitude. Lors de notre sommet de mai, les dirigeants de l’ASEAN ont mis en garde contre les mesures commerciales unilatérales, les tarifs douaniers de rétorsion et la fragmentation croissante. Notre réponse à ces menaces mondiales doit être un engagement renouvelé en faveur de l’ouverture, de la réforme et d’un système commercial fondé sur des règles.
L’ouverture économique favorise la résilience et les réformes. La fragmentation, en revanche, fait grimper les coûts, décourage l’investissement et accroît la vulnérabilité aux chocs. La volatilité des devises, la fuite soudaine des capitaux et les perturbations des chaînes d’approvisionnement en denrées alimentaires, en énergie et en matières premières se propagent rapidement au-delà des frontières, déstabilisant les sociétés. Si la mondialisation a ses défauts, elle a également créé une interdépendance par le biais d’intérêts partagés, mettant un frein à l’unilatéralisme irréfléchi.
Cette retenue est plus que jamais nécessaire face au changement climatique. L’intégration de la durabilité dans le programme économique de l’ANASE est désormais un impératif urgent. L’accélération du réseau électrique de l’ANASE illustre notre détermination à investir dans les énergies propres, à créer des emplois verts et à assurer la sécurité énergétique à long terme. Le statu quo n’est plus une option ; une action audacieuse aujourd’hui est le prix d’un avenir juste et durable.
Dans un monde de plus en plus imprévisible, la fortune de l’ANASE s’élèvera ou s’effondrera ensemble. Nous devons donc renforcer notre cohésion en revitalisant des cadres géostratégiques de longue date, tels que la zone de paix, de liberté et de neutralité, et en renforçant les mécanismes dirigés par l’ANASE, tels que le sommet de l’Asie de l’Est et le forum régional de l’ANASE. Ces plateformes restent indispensables au dialogue, à l’instauration de la confiance et à la diplomatie préventive.
Le sommet ANASE-CCG, ainsi que notre nouvelle initiative trilatérale avec le CCG et la Chine, représentent une étape audacieuse vers l’alignement des talents et des besoins énergétiques de l’Asie du Sud-Est avec les capitaux du Golfe et la portée mondiale de la Chine. La nouvelle task force géoéconomique de l’ANASE renforcera encore notre capacité à réagir collectivement en période de volatilité et d’incertitude.
L’ANASE ne peut pas dicter le cours des événements mondiaux, mais nous ne devons pas non plus nous résigner à la passivité. Nous pouvons, et nous devons, façonner notre propre avenir avec courage, prévoyance et solidarité. En restant fidèle à ses valeurs fondatrices tout en s’adaptant aux nouvelles réalités, l’ANASE peut rester un phare de paix, de prospérité et de progrès pour les générations à venir.
Anwar Ibrahim est Premier ministre et ministre des Finances de Malaisie.
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