samedi, mars 23

« Chaîne des âmes » dansante et mythologique

Par Cheong Kin Man – Accompagnés par la musique électronique du DJ israélien Ori Lichtik, les mouvements de corps féminins très féminins et de corps masculins très masculins sont recomposés avec un système de rythmes intenses. Certains de ces corps transpirent plus que d’autres – les danseurs ne sont donc pas nus, ils portent les costumes de la costumière suédoise Rebecca Hytting.

Cette quasi-perfection de corps humains dansants a fait ses premières apparitions dans plusieurs pays européens et a de nouveau été présentée la semaine dernière à l’ancienne centrale thermique de l’ancien Berlin-Est, rebaptisée « Kraftwerk Berlin » (« Kraftwerk » signifie, en allemand, centrale électrique) depuis sa transformation en 2006 en site culturel.

En regardant la pièce, « Soul Chain » (littéralement, « chaîne d’âmes »), mise en scène par la célèbre chorégraphe israélienne Sharon Eyal avec son collaborateur artistique et compatriote Gai Behar, j’ai vu comment le spectacle est devenu, dans mon imagination, un rituel.

L’apparente perfection des corps – lorsque je pensais aux sculptures en mouvement – ​​m’a éloigné du spectacle et m’a conduit aux voix habituellement sereines du sémiologue et écrivain Roland Barthes, en disant :

« … la danse, faite de gestes rituels, vue des milliers de fois, agit comme une cosmétique de mouvements, cache la nudité, submerge le spectacle dans une couverture « adoucie » de gestes inutiles et, pourtant, essentiels… »*

(Traduction brésilienne des « Mythologies » de Rita Buongermino et Pedro de Souza)

Avec une structure de capitulation claire, la pièce apparaît divisée en plusieurs parties de durées équilibrées. Dans chaque « chapitre », un à trois ou quatre danseurs « dirigent » la pièce avec des gestes spécifiques, tandis que le reste du groupe incarne des mouvements presque identiques : cela m’évoque non seulement des défilés militaires ou des spectacles dans les spectacles, mais surtout la religiosité des danses ou simplement les gestes primitifs.

Déjà dans « L’Empire des signes » (traduction brésilienne de Leyla Perrone-Moisés), Barthes commençait ses premières pages avec une calligraphie japonaise du caractère « MU, le vide » ou « ». Ce caractère sino-asiatique signifie également « ne pas avoir » ou « rien ». Ou plutôt, cela signifie un autre côté de l’équilibre « d’avoir ». Et, de « rien », vient la danse.

Je serais heureux de dire à l’écrivain décédé que la danse vient de ce « rien »: le caractère moderne « 舞 » (prononcé en cantonais « mou, » « dance/r ») est la version la plus récente de ce « rien » ou « le vide». En déconstruisant étymologiquement ces deux caractères, le « 無 » (à la prononciation identique) visualise, dans sa forme la plus ancienne d’il y a trois millénaires, une personne debout (différente des plusieurs caractères que nous avons déjà présentés dans le JTM qui indiquent une personne à genoux), selon la théorie de la danse avec des décorations faites de queues. Pour ceux qui s’intéressent à cette théorie, il existe une traduction française du « Printemps et automnes de Lü Buwei », dont elle est issue.

Quant au caractère actuel de « dance/r », créé plusieurs siècles plus tard, sa partie supérieure est presque identique à l’autre signe dans l’écriture moderne, mais le caractère « » lui a été ajouté, dans la partie inférieure, qui symbolise, dans sa forme d’écriture plus primitive, deux pieds humains, un droit et un gauche.

D’où la romantisation de l’origine mythologique et la continuité presque religieuse dans la tradition de l’acte de danser.

Le Théâtre d’État de Mayence, en charge de production de la pièce, déclare, en allemand : « Inspiré par les émotions fortes de l’amour, Soul Chain unit ballet et musique électronique avec une danse contemporaine à couper le souffle », tandis que la version anglaise parle d’un « mariage contemporain et captivant » de ballet et d’électro.

Honne Dohrmann, directeur de la compagnie « tanzmainz » (« danse-mayence ») en question explique, en allemand, dans une introduction à la pièce, en utilisant le mot « Handschrift », qui signifie « signature » ou littéralement « manuscrit » : « Soul Chain porte les caractéristiques de sa signature artistique [d’Eyal]; d’une part, la pièce est basée sur une technique de ballet très forte et [d’autre part] elle est marquée par une musique électronique très rythmée, très dynamique ».

Curieusement, dans le gallicisme cantonais, « 芭蕾舞 » (« pá-loi-mou », ballet-danse), le premier caractère « pá » indique historiquement une sorte d’herbe utilisée dans le chamanisme incarné dans l’acte de danser, selon le poème « Honoring the Spirits » qui a été écrit au IVe ou IIIe siècle avant notre ère. La poste de Macao a fait connaître ce poème au monde de langue portugaise en lançant les timbres « Jiu Ge » (les « Neuf Chants” ou « Neuf Chansons ») de la peintresse et designer macanaise Poon Kam Ling, en 2015.

Dommage qu’au lieu de « des milliers de fois », je n’ai pu voir la pièce qu’une seule fois. En la reconstituant dans mon imaginaire mythologique, je laisse de côté toute pensée anthropologique critique et ne résiste pas à citer les noms des danseurs qui matérialisent cette beauté : Alberto Terribile, Amber Pansters, Bojana Mitrović, Cornelius Mickel, Cristel de Frankrijker, Daria Hlinkina, Federico Longo, Finn Lakeberg, John Wannehag, Louis Thuriot, Maasa Sakano, Madeline Harms, Marija Slavec, Matti Tauru, Milena Wiese, Nora Monsecour et Zachary Chant.

Vient maintenant la musique de Rodrigo Leão – intégrée dans la pièce – que le public de Macao connaît si bien.

* Le texte originel est le suivant: «… la danse, faite de gestes rituels, vus mille fois, agit comme un cosmétique de mouvements, elle cache la nudité, enfouit le spectacle sous un glacis de gestes inutiles et pourtant principaux … »

L’article fût publié originellement le 17 décembre 2021 en portugais dans le Jornal Tribuna de Macau, quotidien portugais de Macao. Les transcriptions du cantonais en portugais ont été faites selon le « Syllabaire codé de romanisation cantonaise » de 1985, romanisation officielle portugaise du cantonais à Macao. L’auteur remercie Camille Sevestre pour les suggestions pour améliorer le texte en français mais assume néanmoins la totalité des propos.

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