vendredi, mars 15

L’Amérique et la Chine sur une trajectoire de collision

De project Syndicate, par Nouriel Roubini – À la suite du sommet du G7 de ce mois de mai à Hiroshima, la président américain Joe Biden a déclaré qu’il s’attendait à un « dégel » des relations avec la Chine. Or, malgré la tenue de plusieurs rencontres bilatérales officielles – et bien que la secrétaire du Trésor des États-Unis, Janet Yellen, exprime l’espoir d’un déplacement prochain en Chine – ces relations demeurent frigides.

En effet, bien loin du dégel, la nouvelle guerre froide se fait de plus en plus glaciale, et le sommet du G7 a lui-même mis en lumière les inquiétudes de la Chine face à des États-Unis qui appliquent à son égard une stratégie «d’endiguement, d’encerclement et de répression». Contrairement aux rassemblements précédents, lors desquels les dirigeants du G7 avaient principalement discouru et peu agi, ce sommet s’est révélé l’un des plus importants dans l’histoire du groupe. États-Unis, Japon, Europe, ainsi que leurs amis et alliés ont fait savoir plus clairement que jamais leur intention d’unir leurs forces pour contrer la Chine.

Par ailleurs, le Japon (qui exerce actuellement la présidence tournante du groupe) a pris soin d’inviter plusieurs grands dirigeants de pays du Sud, notamment le Premier ministre indien Narendra Modi. En tendant la main à un certain nombre de puissances croissantes et intermédiaires, le G7 espère en convaincre d’autres de se joindre à sa réponse plus musclée face à l’ascension de la Chine. Beaucoup s’entendront en effet probablement sur la description formulée, celle d’une puissance chinoise autoritaire, pratiquant un capitalisme d’État, de plus en plus affirmée dans la projection de sa force en Asie et à travers le monde.

Bien que l’Inde (qui exerce cette année la présidence du G20) ait adopté une position neutre concernant la guerre menée par la Russie en Ukraine, elle est depuis longtemps enfermée dans une rivalité stratégique avec la Chine, qui s’explique notamment par le fait que les deux pays partagent une frontière très étendue, en grande partie disputée. Par conséquent, même si l’Inde ne devient pas un allié formel des pays occidentaux, elle continuera de se positionner en tant que puissance mondiale croissante indépendante, dont les intérêts s’alignent davantage avec l’Occident qu’avec la Chine et ses alliés de facto (Russie, Iran, Corée du Nord et Pakistan).

L’Inde est par ailleurs membre du Dialogue quadrilatéral pour la sécurité (Quad), un groupe de coopération sécuritaire incluant également les États-Unis, le Japon et l’Australie, dont l’objectif explicite réside dans la dissuasion de la Chine ; le Japon et l’Inde entretiennent en outre des relations amicales de longue date, et partagent une histoire d’antagonisme vis-à-vis de la Chine.

Le Japon a également invité l’Indonésie, la Corée du Sud (auprès de laquelle il espère une amélioration des relations diplomatiques, compte tenu d’inquiétudes communes concernant la Chine), le Brésil (autre puissance majeure du Sud), le président de l’Union africaine Azali Assoumani, ainsi que le président ukrainien Volodymyr Zelensky. Le message était clair : l’amitié sino-russe «sans limite» entraîne de sérieuses conséquences dans la manière dont les autres puissances perçoivent la Chine.

Allant plus loin encore, le G7 consacre une part substantielle de son communiqué final à expliquer comment le groupe fera face et dissuadera la Chine dans les années à venir. Le document réprouve notamment une politique chinoise de «coercition économique», et souligne l’importance d’un partenariat indopacifique pour contrecarrer les efforts chinois de domination de l’Asie. Il critique l’expansionnisme chinois à l’Est ainsi qu’en mer de Chine méridionale, et inclut un avertissement sans équivoque contre toute tentative chinoise d’invasion ou d’attaque visant Taïwan.

Prenant des mesures de «dérisquage» dans leurs relations avec la Chine, les dirigeants occidentaux appliquent un langage seulement légèrement moins agressif que celui de la «dissociation». Le changement ne concerne toutefois pas seulement le jargon diplomatique. D’après le communiqué, les efforts occidentaux d’endiguement s’accompagneront d’une politique d’engagement auprès des pays du Sud, au travers d’investissements majeurs dans la transition énergétique, face au risque de voir certains pays clés être attirés dans la sphère d’influence de la Chine.

Pas étonnant que la Chine n’ait pu contenir sa colère contre le G7. En plus d’avoir eu lieu en parallèle d’un rassemblement du Quad, le sommet d’Hiroshima intervient dans une période au cours de laquelle l’OTAN débute son propre pivot vers l’Asie, pendant que l’alliance AUKUS (qui réunit Australie, Royaume-Uni et États-Unis) se prépare à se confronter à la Chine dans le Pacifique.

Dans le même temps, la guerre technologique et économique entre l’Occident et la Chine poursuit son escalade. Le Japon impose des restrictions sur les exportations de semi-conducteurs vers la Chine, aussi draconiennes que celles mises en place par les États-Unis, et l’administration Biden exerce une pression sur Taïwan et la Corée du Sud pour qu’elles en fassent de même. En réaction, la Chine a interdit les puces fabriquées par la société Micron, basée aux États-Unis.

Le fabricant américain de puces électroniques Nvidia étant rapidement devenu une superpuissance dans le monde des affaires – en raison de l’explosion de la demande autour de ses puces avancées qui alimentent les applications d’IA – il peut lui aussi s’attendre à de nouvelles restrictions sur ses ventes en Chine. Les dirigeants américains ont clairement fait savoir leur intention de maintenir un retard chinois d’au moins une génération dans la course à la suprématie en matière d’IA. Le CHIPS and Science Act adopté l’an dernier introduit des incitations massives visant à rapatrier la production de puces électroniques.

Intervient désormais le risque de voir la Chine, en difficulté dans le comblement de son retard technologique sur l’Occident, exploiter sa position dominante en matière de production et de raffinage de métaux de terres rares – indispensables à la transition écologique – en représailles contre les sanctions et les restrictions commerciales américaines. La Chine a d’ores et déjà enregistré une explosion de ses exportations de véhicules électriques d’environ 700 % depuis 2019, et débute actuellement le déploiement d’avions de ligne commerciaux pour concurrencer Boeing et Airbus.

Ainsi, le G7 a beau sembler être parvenu à dissuader la Chine sans entraîner d’escalade de la guerre froide, la perception à Pékin suggère un échec des dirigeants occidentaux dans l’établissement d’un équilibre. Il apparaît aujourd’hui plus évident que jamais que les États-Unis et l’Occident entendent résolument contenir la montée en puissance de la Chine.

Bien entendu, les Chinois ont tendance à oublier que l’escalade actuelle résulte tout autant, si ce n’est plus, de leurs propres politiques agressives que de la stratégie américaine. Dans un récent entretien à l’occasion de son 100e anniversaire, Henry Kissinger – artisan de la stratégie américaine d’« ouverture à la Chine » en 1972 – met en garde : à moins que les deux puissances ne parviennent à une nouvelle entente stratégique, elles demeureront sur une trajectoire de collision. Plus la glace est dure, plus le risque est élevé de la voir se fissurer violemment.

Traduit de l’anglais par Martin Morel

Nouriel Roubini, professeur émérite d’économie à la Stern School of Business de l’Université de New York, et économiste en chef d’Atlas Capital Team, est l’auteur de l’ouvrage intitulé Megathreats: Ten Dangerous Trends That Imperil Our Future, and How to Survive Them (Little, Brown and Company, 2022).

Copyright: Project Syndicate, 2023.
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