dimanche, avril 7

Comment gérer les relations sino-américaines

De Project Syndicate, par Stephen S. Roach – Longuement retardé, le voyage du secrétaire d’Etat américain Antony Blinken à Pékin a finalement eu lieu ; il a alors convenu avec ses interlocuteurs chinois de renforcer les échanges entre les citoyens de leurs pays respectifs et promis de poursuivre les pourparlers.

Cette visite a suscité l’optimisme, mais elle n’a guère contribué à désamorcer le climat de plus en plus tendu des relations sino-américaines.

Récemment une série d’accidents ont été évités de justesse entre les navires de guerre des deux superpuissances dans le détroit de Taïwan et entre leurs avions au-dessus de la mer de Chine méridionale. Dans ce contexte, le non rétablissement des communications entre militaires chinois et américains est particulièrement inquiétant. Il faut aussi évoquer la présence militaire de la Chine à Cuba et la surveillance à laquelle elle se livre depuis ce lieu. Ce n’est pas sans rappeler les événements qui ont précipité la crise des missiles de Cuba en 1962, l’un des moments les plus périlleux de la guerre froide. Aussi le risque d’un conflit accidentel reste-t-il élevé (ce que je souligne dans mon dernier livre).

La dépendance excessive à l’égard de la diplomatie personnalisée constitue un problème sous-jacent. Cette diplomatie a certes joué un rôle crucial au début des relations sino-américaines. Plus qu’une simple mise en scène, le voyage historique du président américain Nixon en Chine en 1972 a constitué une stratégie décisive de « triangulation » à l’égard de l’ex-Union soviétique. De multiples liens personnels ont contribué à faire évoluer la situation lors de première Guerre froide, avec Nixon et Mao Zedong sur le devant de la scène, soutenus en arrière-plan par Kissinger et Zhou Enlai pour régler les détails des relations entre les USA et la Chine.

Mais cette époque est révolue, la diplomatie personnalisée a fait son temps. La gestion des relations sino-américaines est entre les mains de dirigeants à la fois très susceptibles et soumis à des contraintes politiques, aussi les différends entre les deux superpuissances sont-ils devenus extrêmement difficiles à résoudre. Aucun des deux dirigeants ne peut se permettre d’être perçu comme faible. Aujourd’hui, dans la résolution des conflits, il s’agit de ne pas perdre la face plutôt que de grande stratégie.

Le président Xi Jinping par exemple, a décidé de s’asseoir en bout de table lors de sa brève réunion de 35 minutes avec M. Blinken, donnant l’impression que ce dernier était un subalterne. Et à peine M. Blinken avait-il quitté le pays que le président Biden qualifiait le dirigeant chinois de dictateur, enflammant encore davantage la susceptibilité d’un pays imprégné des souvenirs douloureux d’un siècle d’humiliation.

Cette stratégie ne fonctionne plus, car la diplomatie tire sa légitimité de la politique intérieure. Du côté américain, l’hostilité à l’égard de la Chine a lié les mains de Blinken bien avant qu’il ne mette les pieds à Pékin. Le représentant américain Mike Gallagher, président républicain de la nouvelle commission de la Chambre des représentants sur la Chine, a eu le culot de mettre cette hostilité sur le compte des discussions, clamant sur CNBC et dans le Wall Street Journal qu’elles conduisent inévitablement à baisser la garde face à une agression étrangère.

Malheureusement, Gallagher parle au nom d’un « consensus de Washington » anti-chinois très vivace qui a sérieusement limité la liberté d’action de Blinken. Le soutien bipartisan en faveur d’un tel extrémisme tend à étouffer toute créativité au sein de la diplomatie américaine.

Coté chinois, malgré le parti unique, les considérations de politique intérieure jouent un rôle tout aussi important. La légitimité de Xi repose sur son « rêve chinois » de « grand rajeunissement de la nation chinoise« . Pourtant, sans une croissance économique soutenue, Xi ne pourra peut-être pas tenir sa promesse et risque d’être alors confronté à la colère de l’opinion publique et du Parti.

La faible croissance économique de la Chine est donc particulièrement préoccupante. Un plan de relance largement attendu pourrait atténuer les pressions à court terme sur l’économie, néanmoins la convergence des difficultés économiques et démographiques reste problématique pour les perspectives de croissance à moyen et à long terme de la Chine. Si l’on ajoute à cela le recul de croissance dû au conflit avec les USA et leurs alliés, il ne fait aucun doute que le « déficit de rajeunissement » qui se creuse limite sérieusement la marge de manoeuvre des dirigeants chinois.

La fragilité des egos exacerbe le problème. Les maladresses rhétoriques (l’expression « autocratie contre démocratie » de Biden), les effets de scène (le position de la chaise de Xi lors de sa rencontre avec Blinken) et les piques verbales (le terme de « dictateur » utilisé par Biden) prennent des proportions démesurées. Lorsque les dirigeants n’ont pas la carapace nécessaire à la résolution des conflits, les réactions à chaud de la diplomatie personnalisée sont contre-productives.

Une nouvelle stratégie s’impose d’urgence : elle doit être plus institutionnalisée, de manière à ce que la résolution du conflit ne dépende pas exclusivement de dirigeants hyper réactifs, soumis à des pressions politiques. Il faut donc revoir l’architecture des relations sino-américaines pour qu’elle soit davantage axée sur un processus, qu’elle intègre une plus grande expertise technique au niveau des groupes de travail et qu’elle se concentre davantage sur une stratégie de résolution mutuelle des problèmes.

Ma proposition d’un secrétariat USA-Chine va bien au-delà des tentatives antérieures d’engagement institutionnel, à savoir le Dialogue stratégique et économique et la Commission mixte sur le commerce et les échanges. Ces deux initiatives n’ont pas réussi à empêcher le conflit en cours parce qu’elles ne sont pas allées assez loin dans la mise en place d’un cadre permanent et solide. Trump y a mis fin et Biden ne les a pas ressuscitées.

Comme beaucoup d’autres, je me méfie d’une approche bureaucratique face aux multiples et épineux problèmes qui se posent entre deux pays puissants. D’après le « consensus de Washington« , les Chinois privilégient de longue date le discours à l’action, le processus au respect des règles, la temporisation au compromis ; et une nouvelle bureaucratie ajouterait des niveaux de décision supplémentaires et de la complexité au traitement déjà difficile des désaccords fondamentaux entre des systèmes très différents. Les progrès resteront difficiles.

Une approche plus institutionnelle est préférable à la diplomatie actuelle, politisée et personnalisée. Ce qui fonctionnait il y a 50 ans ne fonctionne plus aujourd’hui, car le contexte a changé. La Chine concurrence désormais les USA en terme d’hégémonie. La résolution du conflit sino-américain nécessite bien plus qu’un Nixon de l’ère moderne se rendant en Chine.

La diplomatie personnalisée ne permettra pas de résoudre le conflit sino-américain. Un renouveau est nécessaire pour sortir de ce bourbier, ce sera un chemin long et difficile. Un secrétariat USA-Chine serait la meilleure option pour résoudre le conflit – avant qu’il ne soit trop tard.

Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz

Stephen_S_Roach

Stephen Roach est enseignant à l’université de Yale. Il a été président de Morgan Stanley Asia. Son dernier livre s’intitule Accidental Conflict: America, China, and the Clash of False Narratives (Yale University Press, 2022).

Copyright: Project Syndicate, 2023.
www.project-syndicate.org

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