jeudi, mars 21

La France au Mali : «le pyromane-pompier»

La situation dramatique que vivent les pays du Sahel en général, le Mali en particulier, depuis une dizaine d’années suscite chez les Maliens des questionnements relatifs aux intentions réelles de la France vis à vis du Mali et de la région.

Prof. Yoro DIALLO
Chercheur Principal / Directeur Exécutif du Centre d’Etudes Francophones
Directeur du Musée Africain
Institute of African Studies, Zhejiang Normal University, CHINA

Remontons dans le temps, arrêtons-nous à partir de l’année 2011 pour nourrir la réflexion au regard des actes posés de façon chronologique par la France. En 2011, se servant du mensonge d’état du Président Nicolas Sarkozy et son Conseiller Bernard Henri Levy, la France embarque l’OTAN dans sa funeste entreprise de tuer Mouammar El Kadhafi.

Elle arme l’opposition au régime Libyen qu’elle appelle « rébellion populaire ». L’assassinat de Mouammar El Kadhafi provoque le chaos en Libye et l’implosion de l’arsenal militaire du pays. Dans sa macabre mission, la France propose aux Touaregs d’origine malienne engagés dans l’armée libyenne de lâcher Kadhafi contre un état Touareg dans le Nord Mali.

Mr Hama Ag Mahmoud ancien membre du MNLA en charge des Affaires Extérieures confirmera ce deal en ces termes : « La France a demandé au MNLA de l’aider à faire déserter tous les combattants Touaregs qui étaient dans l’armée libyenne pendant la guerre de Libye et de bloquer le recrutement des Libyens dans le nord du Mali et dans l’Aïr au Niger. En contrepartie, elle nous avait donné son feu vert pour l’indépendance de l’Azawad. C’est l’accord qui a été conclu avec la France…».

Forts de l’engagement de la France, les Touaregs maliens retournent au pays avec armes et bagages en traversant des frontières sans être inquiétés. Ils seront accueillis par les autorités maliennes qui ne voyaient pas en eux un danger pour la sécurité nationale. Quelques semaines après leur installation ce groupe Touareg fait la jonction avec le Mouvement de Libération de l’Azawad (MLA) et les signataires de l’Accord de paix de 2006 pour créer le Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA) et ravive la rébellion.

Pour mémoire, au moment du déclenchement de cette rébellion séparatiste, les responsables politiques et administratifs de la région de Kidal étaient tous des ressortissants de ladite région : les maires, les présidents de conseils de cercle, les députés, les préfets et le gouverneur. A la même période, l’Agence Nationale d’Investissement des Collectivités Territoriales (l’ANICT) principal instrument de développement des collectivités de base était dirigée depuis plusieurs années par un Touareg.

Le 24 janvier 2012, appuyés par des terroristes étrangers membres d’AQMI, les rebelles massacrent une centaine de militaires maliens à Aguelhok. Alain Jupé, Ministre des Affaires Étrangères de France, réagit : « Le MNLA est en train de remporter d’incontestables succès dont il faudra tenir compte ».

Le 4 février 2012, les dirigeants français autorisent une manifestation de soutien au MNLA devant l’Assemblée Nationale française. Quelques jours plus tard au Senat, Alain Jupé expose les intentions réelles du gouvernement français en ces termes: « Le Mali a échoué face aux combattants du MNLA. La question de la révolution du peuple de l’Azawad mérite d’être traitée à fond pour une issue définitive ».

Le 2 avril 2012, Alain Jupé participe au Sommet de la CEDEAO à Dakar, à quel titre se demande-t-on ? Lors de ce sommet, il s’oppose à la constitution d’une force d’intervention africaine de 3000 hommes, estimant que cette force est disproportionnée face aux Touaregs qu’il évalue à 500 combattants. Le 6 avril 2012, les autorités maliennes et les rebelles signent un Accord laissant entrevoir une résolution de la crise.

Au même moment, la France autorise les portes paroles de la rébellion  à mener campagne pour l’indépendance des régions nord du Mali sous le nom de « Etat de l’Azawad ». Les télévisions françaises, TV5, France 24 et le Parlement Européen à Bruxelles, leur servent de plateforme de communication. Le groupe « Ançar Eddine » dirigé par Iyad Ag Ghaly, ancien diplomate malien en Arabie Saoudite profite de cette situation pour s’associer à d’autres groupes terroristes et constituer une colonne pour descendre vers le centre du Mali.

Le Président de la République par intérim à l’époque demande à la France un « appui aérien et en renseignements » pour aider à restaurer l’intégrité territoriale du Mali. Il n’était pas question de troupes françaises au sol. Plus tard, Django Sissoko, à l’époque, premier Ministre le confirmera en ces termes : « Il faut qu’on nous explique pourquoi la France est intervenue au sol… ».

Le 11 janvier 2013 l’opération Serval est déclenchée. Un hélicoptère de l’armée française fait face à une colonne de djihadistes à Konna et à Diabali. Les villes de Tombouctou et de Gao seront libérées par les armées Française et malienne. L’armée française interdit à l’armée malienne l’accès à Kidal alors occupée par Ançar Eddine de Iyad Ag Ghaly.  

Elle y ramène le MNLA dont les responsables avaient fui devant le MUJAO et Ançar Eddine pour se réfugier au Burkina Faso et en Mauritanie. Les autorités françaises incitent les groupes rebelles à l’union, organise l’alliance entre de différentes entités pour constituer la CMA qu’elle impose comme l’interlocuteur du gouvernement malien.

Le Président François Hollande déclare au sujet des élections : « nous serons intraitable sur le maintien de la date de l’élection présidentielle de juillet 2013 ». Des lors, il apparait clairement que l’extension du terrorisme et de l’insécurité prennent leur source dans l’engagement des autorités françaises auprès du MNLA. L’armée française sanctuarise Kidal, aide les mouvements rebelles à se réorganiser, s’écartant ainsi du mandat qui lui a été confié. En janvier 2013 : « Les objectifs assignés à l’opération Serval étaient: détruire le terrorisme, restaurer l’intégrité territoriale du Mali et mettre en œuvre les Résolutions de l’ONU ».

Le 2 février 2013, la Présidente de la Commission des Affaires Etrangères de l’Assemblée Nationale de France, Madame Elizabeth Guigou déclare : « Il faut qu’un plan d’autonomie du Nord-Mali soit mis en place ». Le 3 février 2013, Alain Jupé affirme : « L’une de mes dernières visites en tant que Ministre des Affaires étrangères c’est au Mali et j’ai dit au Président Touré deux choses : combattre AQMI, ne pas tergiverser et répondre aux demandes d’autonomie des Touaregs… ».

Le Député du Parti politique au pouvoir l’UMP, Alain Marsaud dit : « Il n’existe pas un Mali, mais au minimum deux. Nous avons avec Serval, protégé le premier, celui du Sud, au détriment du second, celui du Nord…la paix dans cette région essentielle de l’Afrique passe par une partition, forcément douloureuse mais il n’est pas d’autres solutions, y compris pour nous Français, engagés militairement sur zone ».

Au mois de Mars 2013, M. Christian Royer, ambassadeur de France au Mali a conseille au gouvernement français de se démarquer du MNLA, pour ne pas se compromettre avec ce mouvement ultra-minoritaire jusqu’au sein de la communauté touarègue et discrédité pour ses accointances avec les terroristes. Il sera immédiatement relevé de ses fonctions pour être remplacé par M. Gilles Huberson précédemment Ambassadeur de France en Mauritanie et ancien agent des services secrets français.

En février 2014, le chef d’une mission du Conseil de Sécurité, représentant de la France au Conseil de Sécurité, M. Gérard Arnaud, répond un député malien en disant : « La MINUSMA ne s’engagera pas dans une guerre contre le MNLA. Si le Mali s’y engage il perdra la guerre ».

Peu après cette déclaration, le 24 mai 2014 l’Armée malienne réussit à reprendre Kidal avant de la perdre quelques heures plus tard face à une conjonction de forces non identifiées à ce jour. La bataille de Kidal demeure à présent recouverte par le flou comme le reconnait le Président Ibrahim Boubacar Keita: « …Il y a beaucoup de non-dits ».

Il apparait clairement que des forces étrangères ont contribué au retournement de la situation en faveur des rebelles de la CMA. Après la bataille de Kidal, l’engagement de la France aux côtés de la CMA est mis à nu. Dans son repli, le groupement tactique interarmes (GTIA) « Sigui » quitte Aguelhok, demande asile dans le camp de la MINUSMA. Il sera autorisé à y séjourner à condition que les soldats déposent leurs armes dans des conteneurs. Au moment de repartir, le chef d’état-major de la MINUSMA, le Français Hervé Gomart, refuse de remettre les armes au motif qu’elles sont considérées comme butin de guerre et  ne peuvent être restituées qu’avec l’accord de la CMA.

Le 24 janvier 2015, le général français Christian Thibaud, chef d’état-major de la MINUSMA, signe avec la CMA un accord établissant une zone de sécurité entre Tabankort et Anéfis. L’objectif dudit accord était de couvrir la retraite de la CMA délogée d’Anéfis.

En Mai 2015, deux jours après la signature à Bamako de l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger, le Ministre français de la défense, Jean-Yves Le Drian déclare à Radio France Internationale: « le Sud et le Nord ont essayé de vivre ensemble. Mais cela n’a pas été possible. Il faut une autre forme de gouvernance pour conforter le vivre ensemble ».

Le 21 novembre 2017, le général Christian Allavène, chef d’état-major de la force Barkhane a affirmé au cours d’une conférence de presse à Bamako : « Des groupes armés au nord du Mali, pourtant signataires de l’Accord pour la paix et la réconciliation ont un pied dans l’Accord et un autre dans les groupes terroristes…Nous en avons aujourd’hui les preuves matérielles qui démontrent cette collision ».

Malgré cette déclaration, les autorités françaises continuent d’apporter leur soutien aux rebelles séparatistes de la CMA. Cette situation que vit le Mali depuis des années est marquée par des restrictions que la France impose au gouvernement malien dans le cadre d’opérations sur le terrain et d’achat de matériels.

A cet sujet le Premier ministre malien déclare: « on ne peut pas nous interdire d’acheter du matériel avec un pays si on a un accord parce qu’un autre ne veut pas…Il faut qu’on ait la possibilité de regarder vers d’autres horizons, qu’on élargisse les possibilités de coopération pour maitriser notre défense nationale ».  A la tribune de l’ONU, il accuse la France d’un « abandon en plein vol ».

Le 29 septembre 2021, la Ministre française des armées a jugé « inacceptables » les propos du premier ministre malien. Le 30 septembre 2021, le Président Emmanuel Macron, à la suite du Ministre des Affaires étrangères français déclare : « J’ai été choqué. Ces propos sont inacceptables…C’est une honte et ça déshonore ce qui n’est même pas un gouvernement issu de deux coups d’État. ..Nous sommes là parce que l’Etat malien l’a demandé. Sans la France, le Mali serait dans les mains des terroristes ».

Le 5 octobre 2021, le Ministre algérien des Affaires Étrangères Ramtane Lamamra en visite à Bamako apporte un vrai soutien au Mali en ces termes: « Nos partenaires étrangers ont besoin de décoloniser leur propre histoire, de se libérer de certains comportements, de certaines visions intrinsèquement liées à la logique incohérente portée par la prétendue mission civilisatrice de l’Occident qui a été la couverture idéologique pour essayer de faire passer le crime contre l’humanité qu’a été la colonisation . Cette décolonisation s’annonce comme une priorité pour faire en sorte que ce que je qualifierais de faillite mémorielle, que trahissent les propos concernant l’Algérie, concernant le Mali qui ont été tenus récemment. Cette faillite mémorielle qui est malheureusement intergénérationnelle chez certains membres et acteurs de la vie politique française, parfois au niveau les plus élevés. Et donc cette faillite mémorielle qui pousse les relations de la France officielle avec certains de nos pays dans des situations de crises malencontreuses devrait pouvoir s’assainir par un respect mutuel inconditionnel ».

Le 8 Octobre 2021, dans un entretien avec l’agence de presse russe RIA Novosti, le Premier ministre malien met clairement en cause la France : « Le Gouvernement malien jusqu’à présent n’a pas son autorité sur Kidal. C’est la France qui a créée cette enclave, une zone de groupe armés qui sont entrainés par les officiers français. Nous en avons le preuves ». A ce jour aucune autorité française n’a réagis à cette grave accusation.

L’enlisement de la situation au Mali et au sahel relève de la volonté de la France pour justifier sa présence et l’occupation militaire du Mali afin de procéder à la partition du pays à long terme. La France et ses alliés instrumentalisent des mouvements insurrectionnels, séparatistes, terroristes comme ils l’ont fait dans d’autres pays africains (RD Congo, Rwanda, Centrafrique, etc..) avec comme objectif stratégique avoir comme interlocuteur des états affaiblis ou des micros états. Et faciliter le pillage des ressources naturelles du pays concerné.

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