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Le nouveau « choc chinois » frappe de plein fouet les pays pauvres

Le nouveau « choc chinois » frappe de plein fouet les pays pauvres

D’après Project Syndicate, par Shoumitro Chatterjee et Arvind Subramanian – L’excédent commercial croissant de la Chine suscite à nouveau l’inquiétude aux États-Unis et en Europe. Mais les véritables victimes de ce nouveau « choc chinois » ne se trouveront pas en Occident. Elles se trouveront dans les pays en développement, où des centaines de millions de personnes dépendent encore du secteur manufacturier pour leur emploi et leur ascension sociale. La domination commerciale de la Chine menace non seulement la croissance des pays du Sud, mais elle remet également en cause sa propre prétention au leadership mondial.

Les travaux de référence de David Autor et de ses co-auteurs ont montré comment le premier choc chinois, du milieu des années 1990 à la fin des années 2000, a anéanti des emplois industriels et des communautés entières aux États-Unis. Pourtant, une grande partie de cette adaptation reflétait des forces plus profondes et de long terme : le progrès technologique et la réaffectation progressive des travailleurs des usines vers les services – une évolution antérieure au choc chinois, mais accélérée par celui-ci. De ce fait, les économies avancées se sont largement désintéressées des secteurs à faible valeur ajoutée que la Chine continue de dominer.

Aujourd’hui, l’excédent commercial manufacturier de la Chine s’élève à environ 2000 milliards de dollars, dont près de 1400 milliards proviennent de biens à faible valeur ajoutée. Pour l’Occident, le nouveau choc chinois est donc plus ciblé, concentré sur quelques secteurs comme les véhicules électriques et les énergies renouvelables, ainsi que sur des technologies spécifiques où les importations chinoises représentent encore environ 1,5% du PIB occidental.

La situation est bien plus alarmante pour les pays à revenu faible et intermédiaire (PRFI), qui voient leurs secteurs clés – à savoir les industries manufacturières à faible valeur ajoutée, essentielles à la création d’emplois et au développement économique – menacés. Représentant près de 4% du PIB cumulé des PRFI, le choc des importations chinoises pèse plus lourd (et croissant) sur leurs économies que les importations de biens à haute valeur ajoutée dans les pays développés.

Quelle est la gravité de cette menace ? Un indicateur pertinent consiste à comparer la part des exportations chinoises à faible valeur ajoutée des PRFI à sa part de la population active mondiale. La Chine représente encore plus de la moitié des exportations mondiales de biens à faible valeur ajoutée (voir graphique), et bien que sa part de marché ait légèrement diminué depuis son pic de 2015, la tendance aurait dû être bien plus marquée, compte tenu du déclin de sa population active. L’écart entre la part des exportations chinoises et sa part de la population active – environ 28 points de pourcentage – suggère que la Chine continue d’occuper un « excédent » de parts de marché à l’exportation, qui pourrait autrement soutenir des dizaines de millions d’emplois manufacturiers dans les économies les plus pauvres.

Ce qui rend cette persistance encore plus frappante, c’est que les salaires dans le secteur manufacturier chinois sont désormais bien supérieurs à ceux des pays à revenu faible et intermédiaire – et continuent d’augmenter. Par exemple, dans l’habillement, secteur emblématique à forte intensité de main-d’œuvre, le salaire annuel moyen en Chine avoisine les 10 000 dollars, soit environ cinq fois plus qu’au Bangladesh et quatre fois plus qu’en Inde.

Malgré de tels écarts de salaires, la vigueur des exportations chinoises serait moins préoccupante si elle résultait uniquement de gains de productivité et de l’automatisation. Dans ce cas, il faudrait toujours s’interroger sur la légitimité de l’hégémonie chinoise, car les véritables puissances hégémoniques s’adaptent plutôt qu’elles n’évincent les autres, mais cela ne serait pas nécessairement injuste. Or, de plus en plus d’éléments indiquent que ce n’est pas le cas. La Chine présente plutôt des signes de distorsions politiques importantes. Subventions industrielles, taux de change sous-évalués et surcapacité persistante faussent la concurrence en sa faveur. La domination continue de la Chine reflète non seulement son efficacité, mais aussi des choix politiques délibérés qui empêchent les pays les plus pauvres de progresser sur l’échelle du développement.

L’histoire souligne l’injustice de la stratégie chinoise. Charles Kindleberger a notamment affirmé que les puissances hégémoniques fournissent des biens publics mondiaux, tels que des financements en temps de crise, des ressources pour le développement à long terme et un soutien à l’ouverture des marchés. Après la Seconde Guerre mondiale, lorsque les États-Unis étaient la puissance économique hégémonique mondiale, ils ont créé un espace de production et d’exportation pour d’autres pays – d’abord le Japon, puis les Tigres asiatiques, et enfin la Chine elle-même. Leur volonté d’absorber les importations et de permettre aux autres de se développer était essentielle à leur leadership mondial. Or, aujourd’hui, alors que l’administration Trump se désengage de ce rôle, les actions de la Chine détermineront si elle peut véritablement remplacer les États-Unis en tant que fournisseur responsable de ce bien public mondial crucial.

La pression exercée sur les pays à revenu faible et intermédiaire est déjà manifeste dans le renforcement de leurs actions commerciales contre la Chine. Les récents troubles en Indonésie – conséquence de la désindustrialisation et de l’exposition à la concurrence chinoise – soulignent l’enjeu. Il faut reconnaître à la Chine le mérite d’avoir pris des mesures symboliques pour exercer un véritable leadership, notamment en renonçant volontairement à son statut de pays en développement auprès de l’Organisation mondiale du commerce et en accordant un accès en franchise de droits aux pays les plus pauvres.

Mais ces gestes resteront vains tant que la Chine ne se retirera pas véritablement de l’espace manufacturier mondial. Si elle aspire réellement au leadership mondial, elle doit intégrer une vérité simple : les puissances hégémoniques acquièrent leur légitimité non pas en dominant les autres, en particulier les plus pauvres, mais en favorisant leur ascension. Le nouveau choc chinois ne se limite pas à ses conséquences économiques. Il met également à l’épreuve la capacité de la Chine à être un garant équitable de la prospérité mondiale, ou à demeurer un redoutable acteur d’un mercantilisme opportuniste.

Shoumitro Chatterjee, professeur adjoint d’économie internationale à l’Université Johns Hopkins, est chercheur associé à la Fondation Carnegie pour la paix internationale. Arvind Subramanian, ancien conseiller économique principal du gouvernement indien, est chercheur principal au Peterson Institute for International Economics et auteur de *Eclipse : Vivre dans l’ombre de la domination économique chinoise* (Peterson Institute for International Economics, 2011).

Copyright : Project Syndicate, 2025.
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