La Chine a besoin d’un objectif de consommation
Par Stephen S. Roach – La saison de la planification bat son plein en Chine. Avant la publication officielle du 15e plan quinquennal (2026-2030) en mars 2026, les premiers signes émanant du quatrième plénum du Parti communiste chinois, qui vient de s’achever, laissent à penser qu’il s’agira encore de la même chose : l’accent sera mis sur la poursuite de l’extraordinaire ascension industrielle et technologique de la Chine, sous l’impulsion de ce que le président chinois Xi Jinping a appelé les « nouvelles forces productives ».
Ce serait une erreur dans le sens suivant : les prouesses techno-industrielles de la Chine sont si bien établies qu’il n’est pas nécessaire de s’attarder sur l’évidence. L’exercice de planification devrait plutôt viser à relever le défi le plus important du pays : un rééquilibrage tant attendu, axé sur la consommation. À cette fin, le 15e plan quinquennal devrait se fixer pour objectif explicite de faire passer la part de la consommation des ménages dans le PIB de près de 40 % à 50 % d’ici à 2035.
Le débat sur le rééquilibrage dure depuis des décennies. Il a été soulevé pour la première fois en mars 2007 par l’ancien premier ministre Wen Jiabao, qui l’a présenté comme le deuxième de ses désormais célèbres « quatre uns » – unstable, unbalanced, uncoordinated, unsustainable (instable, déséquilibrée, non coordonnée et non durable) – qui, selon lui, mettaient en péril l’économie chinoise, apparemment forte. Bien sûr, le terme « déséquilibre » n’est qu’une référence elliptique au consommateur chinois. Dans le contexte des quatre « uns », il soulève ce qui est devenu depuis lors la question structurelle la plus importante pour l’économie chinoise : la nécessité de trouver de nouvelles sources de croissance.
Si les autorités chinoises ont été particulièrement habiles à résoudre le premier « un » (instabilité), comme l’ont démontré la crise financière mondiale de 2008-2009 et la pandémie de COVID-19, le quatrième « un » qui met à l’épreuve la promesse politique du rêve chinois de Xi Jinping. Si sa croissance économique n’est pas durable, la Chine ne parviendra pas à atteindre l’objectif qu’elle s’est fixé, à savoir devenir un « grand pays socialiste moderne », avec un niveau de vie similaire à celui des économies avancées, d’ici le milieu du siècle. Selon mes calculs, il faudra pour cela que la croissance du PIB réel par habitant atteigne 5,75% par an sur la période 2030-2049, ce qui représente une augmentation significative par rapport au rythme de 4,25% enregistré en 2022-2030, mais qui reste bien en deçà de la moyenne de 8,4% observée entre 1981 et 2021.
Cet objectif ne sera pas facile à atteindre, car bon nombre des moteurs de croissance les plus puissants de la Chine sont à bout de souffle. Le secteur immobilier, en proie à des difficultés, restera probablement sous pression à la baisse pendant des années. Le secteur des exportations chinoises, apparemment résistant, sera presque certainement ébranlé par la montée du protectionnisme. Même les tout-puissants investissements en actifs fixes, qui représentent actuellement environ 40% du PIB chinois, atteignent leurs limites.
Par élimination, c’est donc au consommateur chinois qu’il incombe de combler le déficit. J’insiste sur ce point depuis que Wen Jiabao a formulé pour la première fois les quatre « uns », et d’autres sont parvenus à la même conclusion. Si le gouvernement chinois mentionne toujours la stimulation de la demande des consommateurs lorsqu’il évoque ses défis économiques, c’est cependant à côté d’une série d’autres objectifs, qui vont de la stimulation de la croissance de l’emploi à la lutte contre les inégalités de revenus, en passant par le développement d’énergies alternatives et l’innovation indigène. Ce dont l’économie chinoise déséquilibrée a réellement besoin, c’est d’une attention particulière pour revigorer le rôle du consommateur chinois en tant que moteur de croissance plus puissant.
Je ne veux pas dire par là que la Chine devrait renoncer à tout ce qu’elle a accompli au cours des 50 dernières années, en particulier à ses récentes avancées technologiques. Je ne suggère pas non plus que la Chine revienne à son héritage de planification centrale pour tenter d’orienter son économie dans une direction différente. Pour moi, un objectif et un plan sont deux choses différentes : Un plan fournit un cadre stratégique général, tandis qu’une cible spécifie un objectif numérique qui est cohérent avec ce plan. La Chine peut à la fois planifier et fixer des objectifs.
Il est vrai qu’un ratio consommation des ménages/PIB de 50% serait un objectif difficile à atteindre ; selon mes estimations, il faudrait que la consommation des ménages augmente deux fois plus vite que le reste de l’économie chinoise. Ce résultat peut sembler improbable, mais il est réalisable, compte tenu de la faiblesse attendue du logement, des exportations et des investissements en actifs fixes.
L’objectif de consommation de la Chine doit être considéré comme similaire aux objectifs de stabilité des prix ou de plein emploi en Occident. Nous les appelons « mandats », mais ce n’est qu’un autre terme pour désigner des objectifs. La fixation de tels objectifs est utile pour la gestion de toute économie, car elle permet de cibler les objectifs et d’encourager la responsabilisation.
En définitive, le moment est venu pour la Chine de se fixer un objectif explicite en matière de consommation des ménages. La manière dont les dirigeants chinois conçoivent leurs politiques pour atteindre cet objectif leur appartient bien sûr. Je suis depuis longtemps favorable au renforcement du filet de sécurité sociale afin de réduire les niveaux élevés d’épargne de précaution motivée par la peur dans une société qui vieillit rapidement. D’autres se sont concentrés sur la réforme du système archaïque du hukou (permis de résidence), en particulier pour les travailleurs migrants, le relèvement de l’âge de la retraite, le développement de la « silver economy » et, ce que le gouvernement préfère depuis peu, la mise en œuvre de campagnes de reprise pour les biens de consommation durables.
À ce stade, je me soucie moins du débat sur les politiques les plus efficaces que de l’engagement en faveur d’un objectif de rééquilibrage spécifique. Au fil des ans, j’ai appris que la Chine excelle à relever de tels défis. Si le 15e plan quinquennal fixait clairement l’objectif de porter la consommation des ménages à 50% du PIB d’ici à 2035, je suis persuadé que les décideurs chinois adopteraient alors le bon dosage de mesures en faveur de la consommation.
Un nouvel objectif contribuerait grandement à forcer les dirigeants chinois à résoudre ce qui est devenu un débat fastidieux et de plus en plus urgent. Comme Wen l’a prévenu avec clairvoyance il y a près de 19 ans, ne pas rééquilibrer l’économie chinoise n’est pas une option viable.

Stephen S. Roach, membre de la faculté de l’université de Yale et ancien président de Morgan Stanley Asia, est l’auteur de Unbalanced : The Codependency of America and China (Yale University Press, 2014) et Accidental Conflict : America, China, and the Clash of False Narratives (Yale University Press, 2022).
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