dimanche, mars 24

Regard sur la coopération Russie-Afrique

Le premier Sommet du forum économique Russie-Afrique tenu les 23 et 24 Octobre 2019 à Sotchi a fait l’objet de divers commentaires et remarques de la part de nombreux observateurs des relations internationales.

Pour certains, cette conférence au sommet qui a réuni une trentaine de Chefs d’Etats et de Gouvernements d’Afrique et de Russie, co-présidée par les Présidents Abdel Fatah Al-Sissi d’Egypte et Vladimir Poutine de Russie a marqué « le grand retour » de la Russie sur le continent Africain.

Pour d’autres le Forum a confirmé que la Fédération de Russie est en train de se positionner en Afrique comme « une troisième voie » entre la Chine et les puissances occidentales.  L’Afrique apparait comme une priorité de la diplomatie économique de la Russie. Si cette priorité semble nouvelle, les relations entre le pays et l’Afrique ne datent pas d’aujourd’hui. Ce « grand retour » de la Russie était perceptible depuis quelques années.

En effet depuis son accession à la présidence de la République, Vladimir Poutine ne cesse d’œuvrer pour redonner à la Fédération de Russie « sa place » sur la scène  internationale, notamment sur le continent Africain. La place qu’occupait  ce pays en Afrique durant la période de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (l’URSS)  était à la fois idéologique et économique et militaire.

En 2006, la Russie décide d’annuler la dette militaire de l’Algérie. Cette dette s’élevait à  près de 4,7 milliards de dollars. Le geste a été interprété comme un « signe d’amitié » en faveur d’un partenaire de longue date. En 2014, la Russie manifeste assez vigoureusement sa présence en Afrique à la suite des sanctions occidentales consécutives à l’annexion de la Crimée. Dès lors elle s’est engagée à renouer avec les partenaires du temps de l’URSS, mais aussi à nouer de nouveaux partenariats politiques et commerciaux sur le continent.

L’Afrique, le continent le plus riche de la planète en matière de ressources naturelles semble répondre aux attentes de la Russie. En l’espace de quatre années elle établit des relations de coopération avec une dizaine de pays africains. En 2018 des sociétés privées russes vont s’installer en République Centrafricaine pour assurer la formation des soldats de l’armée régulière de ce pays. Cette activité sera diversement appréciée du côté des pays occidentaux notamment la France.

Comment  la Russie s’y prend-elle dans sa nouvelle forme de coopération avec l’Afrique ?

Comparativement à la période de l’URSS, la méthode ne semble pas avoir beaucoup évoluée. La  Russie propose à ses partenaires d’Afrique son expertise en matière de défense, de sécurité d’armement, de recherche minière et d’énergie nucléaire. Elle souhaite en retour avoir accès aux ressources naturelles, notamment minières. Présentement, près des deux tiers des investissements russes en Afrique portent sur les secteurs de l’énergie et des mines.

La Russie recherche aussi et surtout à établir un réseau d’amis qui pourraient lui apporter le soutien dont elle aura besoin lors des votes aux Nations Unies. L’Afrique possède un nombre assez important de voix au sein de l’Organisation des Nations Unies. Que peut-on observer comme résultats probants de la démarche de la Russie en Afrique? Il n’est pas aisé de donner une évaluation précise de l’action que mène actuellement la Fédération de Russie sur le continent Africain.

Au plan politique la Russie œuvre à renforcer sa coopération d’abord avec les anciens  partenaires de l’URSS. Elle s’y engage au moment où la «politique néocolonialiste» des pays Européens en général, de la France en particulier  est en train d’être vigoureusement dénoncée par les populations. La jeunesse africaine manifeste de plus en plus son opposition à la politique de l’ancienne puissance coloniale sur le continent.

L’objectif principal recherché serait entre autres de rétablir «le soft power» de la Russie.  Pour mémoire de nombreuses élites africaines ont été formées à l’Université Patrice Lumumba de Moscou durant la période de l’Union Soviétique. Les anciens chefs d’Etat, Eduardo dos Santos d’Angola et Thabo Mbeki de la République Sud-Africaine y ont étudiés.

Dans le domaine énergétique, la Russie n’a pas encore réussi à finaliser un accord sur le  programme nucléaire avec l’Afrique du Sud. Lors de ce premier forum économique Russie-Afrique, elle a proposé aux pays africains sa science en matière d’énergie nucléaire. Elle mise sur le fait que l’Afrique a un besoin crucial en électricité. Aujourd’hui, plus de la moitié de la population africaine n’a pas accès à l’électricité.

A l’horizon 2050, le continent devrait compter près de deux milliards d’habitants. A Sotchi les experts de l’agence nucléaire russe (Rosatom) ont démarché les délégations africaines en proposant la technologie nucléaire russe à des fins civiles afin de favoriser le développement du continent. Avant le sommet, le 17 octobre 2019, l’’agence russe de l’énergie nucléaire (Rosatom) avait signé un accord préliminaire de coopération avec le Rwanda pour construire dans ce pays un centre de recherche sur le nucléaire. A ce jour, la Russie dispose de protocoles d’accord avec une vingtaine de pays africains dont l’Egypte, l’Ethiopie, le Ghana, le Nigeria, le Kenya, le Soudan, l’Ouganda, le Rwanda, la Zambie.

En plus de l’Afrique du Sud qui possède déjà une centrale nucléaire d’autres pays africains se préparent à disposer de cette énergie dans les années à venir. Selon les spécialistes, les centrales nucléaires de la Russie ont l’avantage d’être moins chères que celles des occidentaux. Il faut aussi noter que l’agence Russe de l’énergie nucléaire (Rosatom), en plus de ses services  propose de prêts avantageux aux partenaires.

Dans le domaine des mines, la Russie, premier producteur mondial de diamants, dispose d’une expérience avérée en matière de recherche et d’exploitation minière. En 2020, elle a présidée l’Initiative internationale de lutte contre les « diamants de la guerre » appelée « le Processus de Kimberley »Elle milite en faveur de la levée de l’embargo sur les diamants afin de légaliser l’exploitation et l’exportation des mines en Afrique, particulièrement en République Centrafricaine. A cet effet, elle a  déjà signée des accords d’exploration et d’exploitation dans ce pays.

Dans le domaine militaire et de la sécurité, le 25 juin 2019, en marge du forum Armée 2019, tenu à Moscou, le Mali a signé, un accord de coopération militaire avec la Russie. Ledit accord porte notamment sur la formation de spécialistes militaires, la coopération en matière de maintien de la paix et de lutte contre le terrorisme. A cette occasion, le Ministre Russe de la Défense a déclaré : « L’intensification des liens militaires est dans l’intérêt de nos deux pays. La Russie est prête à contribuer à la normalisation de la situation au Mali et à la création de conditions pour une paix et une stabilité durables ».

Il y a lieu de noter que la coopération militaire entre la Russie et le Mali date depuis les années 1960. En effet au lendemain de l’accession du pays à l’indépendance, le Mali a établi avec l’URSS, une coopération militaire pour la formation et l’équipement des forces armées maliennes. L’éclatement de l’Union Soviétique en 1991 a mis cette coopération militaire en léthargie. A ce jour on note  qu’une vingtaine de pays africains ont signé des accords de coopération avec la Russie dans les domaines militaires et de la sécurité.

L’intensification de la coopération entre la Russie et les  pays d’Afrique et d’Asie intervient dans le contexte de la détérioration des relations  entre la Russie et les Occidentaux. Cette détérioration est devenue une véritable confrontation en Ukraine, installant une «nouvelle Guerre froide». 

On peut s’attendre à ce que l’interaction Russie-Afrique s’améliore de plus en plus et retrouve un niveau assez élevé. Cela est d’autant plus envisageable que la Russie affiche sa volonté de faire de certains pays africains (l’Ethiopie par exemple), un centre d’excellence en science et technologie.

A cet égard, l’ancien Président du Burkina Faso, M. Roch Marc Christian Kaboré pour sa part déclare: « Nous sommes tout à fait en droit de diversifier nos partenaires sans aucune contrainte, parce que… nous n’avons pas de relation d’exclusivité avec un partenaire quelconque. Ce sont nos intérêts que nous suivons ». La perte de confiance des Africains par rapport aux européens pourrait bien profiter à la Russie, même si certains pensent que le pays n’a pas la puissance économique d’antan.

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