dimanche, juin 1

Donald Trump fera-t-il basculer la course à l’IA en faveur de la Chine ?

De Project Syndicate, par Qiyuan Xu et Wang Yaqiang – Leur guerre tarifaire est peut-être dans l’impasse, mais la compétition pour la suprématie technologique entre les États-Unis et la Chine passe à la vitesse supérieure. Alors que les deux pays s’affrontent pour dominer l’IA – et les gains de productivité et géopolitiques qui en découleront – une question se pose avec acuité. Les capacités de la Chine en matière d’IA rattraperont-elles, voire dépasseront-elles, celles des États-Unis ?

Le moteur de cette tendance est une série de politiques introduites par l’administration du président américain Donald Trump. La présidence de Trump marque une rupture radicale avec l’engagement en faveur de l’ouverture qui a sous-tendu le leadership technologique de l’Amérique pendant des décennies. Les mesures destinées à ramener l’innovation aux États-Unis pourraient revenir en boomerang et finir par ouvrir la voie à la domination chinoise.

L’évolution de l’économie numérique peut donner un aperçu de la manière dont la course à l’IA se déroulera dans le sillage des politiques de Trump. Dans les années 1990, les États-Unis ont mené la révolution de l’Internet, dominant la phase charnière du « zéro à un », en faisant passer rapidement les innovations du laboratoire au marché. Cela a alimenté ce que beaucoup ont qualifié à l’époque de « nouvelle économie », caractérisée par une croissance rapide, de forts gains de productivité et une faible inflation. La Chine, d’abord suiveuse, a ensuite insufflé un dynamisme remarquable à l’économie numérique en développant ses propres technologies innovantes.

Le développement numérique de la Chine s’est déroulé en trois étapes. La première a été celle de la copie et du suivi : du milieu des années 1990 au début des années 2000, les entreprises chinoises ont reproduit les modèles américains en lançant des portails web et des services en ligne qui ont entraîné une croissance explosive du nombre d’utilisateurs.

La deuxième étape a été celle de la localisation et de l’amélioration. Alors que l’écosystème numérique chinois est arrivé à maturité entre 2005 et 2015, les entreprises technologiques chinoises ont commencé à tirer parti de leur connaissance approfondie des utilisateurs nationaux et des conditions du marché pour affiner leurs services. Des plateformes comme WeChat et Taobao ont non seulement adapté les concepts américains, mais les ont également développés, pour finalement dépasser leurs homologues occidentaux comme WhatsApp et eBay sur le marché chinois.

La troisième étape a été marquée par des innovations de rupture. Au cours de la dernière décennie, les entreprises technologiques chinoises sont passées de l’imitation à l’innovation, en créant de nouveaux modèles numériques et en dépassant leurs concurrents étrangers. L’exemple le plus frappant est TikTok de ByteDance, qui a positionné la Chine à l’avant-garde de la culture en ligne, remodelé les médias sociaux et forcé les entreprises américaines comme Meta à rattraper leur retard.

Cette dynamique est déjà évidente dans des domaines comme les énergies renouvelables et les véhicules électriques, et l’IA ne fera pas exception. Après le lancement de ChatGPT fin 2022, qui a sans doute marqué le passage de l’IA à l’ère de l’adoption massive, la Chine a rapidement démontré sa capacité à copier les modèles occidentaux.

La sortie de DeepSeek en janvier a marqué l’entrée de la Chine dans la phase de localisation et d’amélioration, le modèle R1 de l’entreprise étant 30 à 50 fois moins cher à utiliser que celui d’OpenAI. En février, l’écart de performance entre les meilleurs modèles chinois et américains s’était réduit à 1,7 %, contre 9,3 % en 2024. Et alors qu’il a fallu deux mois à ChatGPT pour atteindre 100 millions d’utilisateurs actifs, DeepSeek a franchi cette étape en sept jours seulement.

L’un des principaux avantages de la Chine est son vaste réservoir de talents en ingénierie. Le pays produit chaque année quatre fois plus de diplômés en Stem (Science, technologie, ingénierie et mathématiques) que les États-Unis. Au-delà de la taille, ce « dividende de l’ingénieur » reflète une forte éthique du travail et un état d’esprit pragmatique orienté vers l’optimisation complexe et pratique, comme le démontre l’architecture du système DeepSeek.

Avec plus d’un milliard d’internautes et une base industrielle diversifiée, la Chine offre également des conditions inégalées pour déployer, tester et affiner les applications de l’IA. La Chine représente près de 30 % de la production manufacturière mondiale et génère de grandes quantités de données. Rien qu’en 2019, son secteur manufacturier a produit 1 812 pétaoctets de données, et nous estimons que ce chiffre atteindra 2 435 Po en 2024.

L’énergie est un autre facteur essentiel. En 2023, la Chine a produit environ 9456 térawattheures d’électricité – 32 % du total mondial et plus du double de la production américaine de 4 178 TWh – ce qui lui donne un avantage majeur pour alimenter les centres de données à grande échelle essentiels à l’adoption généralisée de l’IA.

La position de l’Amérique dans la course à l’IA est encore affaiblie par les coupes opérées par Trump dans le financement de la recherche et les restrictions à l’immigration. En février, par exemple, l’administration Trump a licencié 170 employés à la National Science Foundation, dont des experts en IA, et il a proposé de réduire le budget de l’agence de plus de 50 %.

Ces réductions – auxquelles s’ajoutent les retards dans l’attribution des fonds aux National Institutes of Health et le gel d’environ 2,2 milliards de dollars de subventions fédérales à l’université de Harvard – risquent de bloquer la recherche fondamentale et d’entraver l’innovation dans le domaine de l’IA. Par ailleurs, les politiques d’immigration restrictives rendront probablement plus difficile pour les États-Unis d’attirer et de retenir les talents mondiaux, ce qui pourrait déclencher une fuite des cerveaux inversée, les travailleurs chinois qualifiés de la technologie rentrant au pays pour occuper des postes bien rémunérés dans un secteur en pleine croissance.

Bien que l’administration Trump ait soutenu des initiatives d’infrastructure massives comme Stargate – un programme de centres de données d’IA de 500 milliards de dollars, construits par OpenAI, Oracle et SoftBank – de tels projets risquent de renforcer la domination des Big Tech et d’étouffer l’innovation nécessaire pour réaliser des percées technologiques transformatrices.

Mais le problème le plus profond réside dans le fait que l’Amérique s’éloigne de l’ouverture économique. Alors que les entreprises américaines comme OpenAI deviennent de plus en plus fermées, les entreprises chinoises adoptent des stratégies de code source ouvert. Et tandis que les politiques de Trump en matière de commerce et d’immigration font fuir les talents mondiaux et les collaborateurs internationaux, la Chine commercialise activement ses modèles d’IA à bas prix auprès de ses partenaires commerciaux.

La Chine est sans aucun doute confrontée à ses propres défis internes, aggravés par les restrictions commerciales américaines qui ont limité son accès aux semi-conducteurs avancés. Sur le plan intérieur, les responsables politiques chinois doivent trouver un équilibre délicat entre l’encouragement de l’innovation et l’application de contrôles stricts des données. Mais si aucune des deux parties ne dispose d’un chemin facile vers la domination de l’IA, le programme Maga (Make America Great Again) de Trump pourrait, par inadvertance, contribuer à rendre la Chine à nouveau grande (Make China Great Again).

Qiyuan Xu, maître de conférences (ci-contre) et directeur adjoint de l’Institut d’économie et de politique mondiales de l’Académie chinoise des sciences sociales, est l’auteur de nombreux ouvrages, dont Reshaping the Global Industrial Chain : China’s Choices. Wang Yaqiang est chercheur à la Lee Kuan Yew School of Public Policy de l’Université nationale de Singapour.

Droits d’auteur : Project Syndicate, 2025.
www.project-syndicate.org

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