jeudi, avril 18

Le Casse-tête chinois d’Alain Roux

Professeur émérite de l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco), Alain Roux est auteur de Casse-tête chinois, où il met en évidence le destin du Grand Timonier, passé d’icône de la Révolution culturelle, descendu de son piédestal, puis œuvre historique.

Dans son ouvrage, il parvient à situer « dans son temps et son espace« , la vie de Mao Zedong. Dans une interview accordée à L’Humanité, en février 2010, le sinologue explique que le projet de ce livre « est venu de la constatation d’un paradoxe : depuis trente ans, la Chine connaît un développement de type capitaliste mais Mao est toujours considéré par le PCC comme un de ses éléments de référence, inscrit même dans les statuts du PCC. »

Pour l’auteur, « Mao continue à survivre au maoïsme, lequel s’est pourtant clos sur un bilan d’échec. Comment un personnage d’une telle envergure résiste-t-il, au moins en Chine, à tous les désastres dont il a été coupable ? ». Cette question est le point de départ de la réflexion d’Alain Roux, qui explique que « traiter Mao comme objet de l’histoire, (est, ndlr) seul moyen de répondre à ce paradoxe. »

Le sinologue évoque Simon Leys et son ouvrage Les Habits neufs du président Mao, Li Zhisui, avec la Vie privée du président Mao, et Philip Short avec Mao Tsé-Toung, qui « ont confirmé la possibilité d’une réflexion d’historien sur Mao. » C’est l’ouvrage, de Jung Chang et Jon Halliday, Mao, l’histoire inconnue, qui a suscité « de vraies interrogations quant à la démarche de ces auteurs. »

Ces livres « apportent des informations inédites qui ne peuvent plus être ignorées, mais en même temps ils partent d’un a priori que je n’accepte pas en tant qu’historien. Faire de Mao un monstre depuis l’origine de son engagement est extrêmement réducteur et méprisant vis-à-vis du peuple chinois. On peut y voir un risque d’instrumentalisation de l’histoire pour casser une légende qui perdure en Chine. On passe d’une légende dorée qui ne peut plus être aujourd’hui à une légende noire qui encombre inutilement la recherche historique, » assure Alain Roux.

Pour réalisée cette étude, Alain Roux s’est appuyé sur les recherches de Stuart Schram, historien sinologue américain, considéré comme le meilleur spécialiste de Mao. Ce dernier a, dès les années 1962-1963, accompli « un travail déterminant pour la connaissance de Mao et de ses idées. »

L’histoire en Chine se divise en deux, d’un côté, une histoire officielle, « édifiante, qui sert à tirer des leçons morales et politiques des études menées sur des grands hommes du passé. Fussent-ils pervers. » De l’autre, une tradition de l’histoire parallèle, dite « indiscrète.« 

Il s’agit d’une « histoire externe comme disent les Chinois, très people, où s’entremêlent ragots et scandales, mais qui peut être porteuse de toute une série d’informations sur lesquelles on n’a pas encore de bases documentaires accessibles. »

La difficulté pour l’historien est l’impossibilité de vérifier les sources, « leur crédibilité est limitée mais elles ouvrent des hypothèses, des perspectives qui peuvent se retrouver ensuite confirmées par des archives. »

Après des années de recherche, Mao Zedong est pour Alain Roux, « un patriote, son engagement premier a été nationaliste. » A la question, est-ce que Mao était socialiste ? Il répond,

« qu’est-ce que veut dire le socialisme pour un Chinois ? Le mot lui-même en chinois n’est pas clair. Il se rapproche plutôt du terme sociologie. Pour Mao, le socialisme s’apparente à l’étatisme. Il consiste à confier au parti-État la responsabilité de moderniser le pays par en haut. Cet étatisme entre chez Mao en conflit avec sa vision d’un monde égalitaire, sans classes sociales ni races ni nations, la Grande Harmonie, qui remonte à la tradition chinoise. »

« Mao donne l’impression qu’il a voulu une Chine moins injuste, plus égalitaire. Dans les faits, c’est un projet plutôt populiste. (…) Mao n’a pas grande confiance dans la classe ouvrière. Il a été en 1922, au Hunan, un dirigeant ouvrier qui a conduit des grèves, mais il est déçu très rapidement par le prolétariat chinois, il l’a dit à un représentant de l’Internationale communiste de passage dans sa province : il a trouvé la classe ouvrière peu combative, corporatiste, encadrée par les sociétés secrètes. Pour ces raisons, il a recherché d’autres forces sociales pour porter la révolution. À partir de 1925, il pense à la paysannerie. Durant l’hiver 1926-1927, il découvre et exalte à l’excès la force du mouvement paysan dans la province de Hunan, » explique l’historien à L’Humanité.

Mao est « un théoricien de la guérilla qui exploite le lien entre la guerre et la politique ». Après avoir perdu le pouvoir « au bon moment », il apparu comme un recours. Il ressent le besoin de devenir un théoricien après la Longue Marche, quand il est devenu le numéro 1 du PCC entre 1935 et 1941. Mao « s’imposa alors comme l’homme de l’adaptation du marxisme à la réalité chinoise, » explique Alain Roux.

Les communistes chinois ne parlent de pas de maoïsme, mais de la pensée Mao Zedong se situe au niveau du léninisme, qui est perçu comme une adaptation du marxisme aux réalités russes. En 1945, Mao fait de « sa pensée la base théorique sur laquelle le pouvoir croissant des communistes repose. »

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