Réciprocité sélective : Comment le Ghana peut transformer la politique chinoise de droits de douane nuls en une stratégie gagnant-gagnant
Paul Frimpong – En juin 2025, la Chine a annoncé une décision historique : l’accès sans droits de douane aux 53 pays africains avec lesquels elle entretient des relations diplomatiques. Dévoilée lors d’une réunion de haut niveau à Changsha, cette politique étend le traitement en franchise de droits à 98 % des produits taxables, symbolisant l’engagement croissant de Pékin en faveur de la coopération Sud-Sud par le biais du commerce plutôt que de l’aide. Pour le Ghana, il s’agit à la fois d’une opportunité historique et d’un test stratégique.
Cette initiative promet d’ouvrir de vastes perspectives aux exportations ghanéennes – du cacao transformé, des noix de cajou et du beurre de karité aux produits horticoles et manufacturés légers – au moment même où le pays poursuit activement une stratégie axée sur les exportations et la productivité dans le cadre de son initiative « Économie 24 heures sur 24 ». Cependant, derrière cet optimisme se cache un casse-tête économique complexe.
Le Ghana n’étant pas classé parmi les pays les moins avancés (PMA), l’offre de la Chine pourrait, selon les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), exiger une réciprocité : des concessions tarifaires de la part du Ghana en contrepartie. Cet article soutient que le Ghana doit privilégier une « réciprocité intelligente », une approche sélective et fondée sur les données, qui respecte les obligations de l’OMC tout en protégeant les producteurs nationaux. Menée de manière stratégique, l’initiative chinoise de droits de douane nuls pourrait se transformer d’un geste généreux en un cadre mutuellement avantageux, favorisant l’industrialisation du Ghana et renforçant sa vision d’une économie fonctionnant 24 h/24.
Profil commercial et contexte économique du Ghana
Les relations commerciales du Ghana avec la Chine se sont considérablement développées au cours des deux dernières décennies. La Chine est aujourd’hui le premier partenaire commercial du Ghana, représentant environ 17 à 20 % de ses importations totales et constituant une destination importante pour ses exportations, bien que dans une moindre mesure. La structure de ces échanges demeure cependant très asymétrique. Le Ghana exporte principalement des matières premières – or, pétrole brut, fèves de cacao et bois – tout en important une large gamme de produits manufacturés, notamment des machines, des textiles, des produits électroniques, de l’acier et des matériaux de construction.
Ce déséquilibre révèle un problème structurel plus profond : l’économie ghanéenne reste largement dépendante des exportations de matières premières, vulnérables aux fluctuations de prix et à faible valeur ajoutée. L’initiative gouvernementale « Économie 24 heures sur 24 » vise à remédier à cette situation en favorisant une productivité industrielle continue, en encourageant la diversification des exportations et en positionnant le Ghana comme une plateforme régionale de production et de logistique dans le cadre de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf).
Dans ce contexte, la politique de droits de douane nuls de la Chine pourrait servir de catalyseur opportun, offrant au Ghana une puissante incitation à restructurer sa base d’exportation, à approfondir ses liens industriels et à passer d’un exportateur de matières premières à un producteur de biens à valeur ajoutée pour le marché chinois.
Opportunités – La promesse de la politique de droits de douane nuls de la Chine
La politique de droits de douane nuls de la Chine offre au Ghana une opportunité considérable de restructurer son profil d’exportation et de renforcer son intégration aux chaînes de valeur mondiales. La suppression des droits de douane sur la quasi-totalité des produits ouvre un vaste potentiel pour les exportations non traditionnelles, notamment le cacao transformé, le beurre de karité, les noix de cajou, les fruits, les textiles et l’artisanat. Ces secteurs possèdent déjà des avantages comparatifs, mais peinent à accéder aux marchés concurrentiels. L’accès sans droits de douane au marché chinois pourrait stimuler une nouvelle demande, dynamiser les moyens de subsistance en milieu rural et favoriser la création d’emplois dans de multiples chaînes de valeur.
Au-delà des biens, cette initiative a également des implications pour les investissements directs étrangers (IDE). Le Ghana pourrait tirer parti de cette politique pour attirer les fabricants chinois souhaitant relocaliser ou développer leur production en Afrique, en utilisant le Ghana comme base pour desservir à la fois la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) et le marché chinois. De tels liens industriels soutiendraient la production locale, le transfert de technologies et le renforcement des compétences – des piliers essentiels d’une croissance durable.
Plus important encore, le cadre de droits de douane nuls s’inscrit dans les objectifs de l’initiative ghanéenne « Économie 24 heures sur 24 », qui vise à stimuler la productivité par une activité industrielle continue. En développant ses capacités d’exportation et en favorisant l’émergence de nouveaux pôles industriels, le Ghana peut transformer l’accès aux marchés en un véritable développement économique, et non en gains commerciaux symboliques.
Défis – Règles de l’OMC, réciprocité et risques
Si la politique de droits de douane nuls de la Chine est porteuse d’immenses promesses, elle soulève également des défis complexes pour le Ghana. Le principal d’entre eux concerne la conformité aux règles de l’OMC. Le Ghana n’étant pas classé parmi les pays les moins avancés (PMA), un accès préférentiel inconditionnel au marché chinois pourrait être perçu comme incompatible avec le principe de la nation la plus favorisée (NPF) de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Cela signifie que, tôt ou tard, Pékin pourrait exiger la réciprocité, en demandant au Ghana d’accorder en contrepartie des concessions tarifaires sur certains produits chinois.
Cependant, une réciprocité sans stratégie concertée risque d’aggraver le déséquilibre commercial du Ghana. Le pays importe déjà bien plus de Chine qu’il n’en exporte, et des concessions tarifaires généralisées pourraient inonder le marché local de produits chinois. Ceci nuirait à la production nationale et compromettrait la compétitivité des secteurs émergents, essentiels à l’économie ghanéenne fonctionnant 24 heures sur 24.
De plus, la capacité institutionnelle du Ghana à contrôler et à faire appliquer les règles commerciales – telles que les règles d’origine et les mécanismes antidumping – demeure limitée. Sans un ajustement précis, l’accord de droits de douane nuls pourrait, par inadvertance, aggraver les vulnérabilités structurelles au lieu de les réduire.
La voie à suivre : concevoir une réciprocité intelligente
Pour transformer les opportunités en progrès concrets, le Ghana doit adopter une approche stratégique et fondée sur les données en matière de réciprocité, une approche qui protège son économie nationale tout en respectant ses obligations envers l’OMC. Une concession tarifaire générale accordée à la Chine exposerait les industries locales à une concurrence déloyale. Le Ghana devrait plutôt privilégier la réciprocité sélective, un cadre pragmatique qui concilie ouverture et protection.
Dans le cadre de cette approche, les décideurs politiques commenceraient par analyser le panier d’importations ghanéennes en provenance de Chine à l’aide de données commerciales détaillées. L’objectif serait d’identifier les catégories de produits que le Ghana importe en très faibles volumes ou qu’il ne produit pas localement, par exemple des machines spécialisées ou des composants industriels intermédiaires. Le Ghana pourrait alors accorder des exemptions tarifaires uniquement sur ces articles, satisfaisant ainsi aux exigences de réciprocité de l’OMC tout en évitant de nuire aux industries locales sensibles telles que le textile, la céramique et l’agroalimentaire.
La réciprocité devrait également aller au-delà des droits de douane. Le Ghana peut négocier des accords de réciprocité industrielle et technologique, en attirant des investissements chinois dans les secteurs manufacturier, des énergies renouvelables et de l’agroalimentaire. Ceci favoriserait le transfert de technologies, le développement des compétences et la création d’emplois, garantissant ainsi que le commerce contribue au renforcement des capacités à long terme plutôt qu’à la dépendance.
Enfin, l’alignement de cette stratégie sur l’initiative « Économie 24 heures sur 24 » peut consolider l’ambition du Ghana de devenir un pôle de production continue. En associant une libéralisation sélective des échanges à une collaboration industrielle, le Ghana peut transformer la politique de droits de douane nuls de la Chine, d’un simple geste de bonne volonté, en un véritable levier de transformation industrielle et de diversification des exportations.
Recommandations politiques
Afin de tirer pleinement parti de la politique de droits de douane nuls de la Chine, le Ghana devrait envisager les actions suivantes :
- Adopter une réciprocité fondée sur les données : fonder les décisions tarifaires sur des données commerciales empiriques afin d’identifier les gammes de produits à faible risque.
- Négocier des partenariats industriels : conditionner les concessions tarifaires aux engagements de la Chine en matière de production locale, de transfert de compétences et d’investissements verts.
- Protéger les secteurs sensibles : maintenir des mesures de protection pour les industries essentielles à la création d’emplois et à la valeur ajoutée.
- Renforcer les capacités d’exportation : développer le financement des exportations, la logistique et l’aide à la certification pour les entreprises ghanéennes ciblant le marché chinois.
- Renforcer la coordination institutionnelle : harmoniser les efforts entre le GEPA, le MOTI, le GRA, etc., afin de garantir une mise en œuvre cohérente de la politique commerciale.
Conclusion – Faire du commerce un levier de transformation
L’initiative de droits de douane nuls de la Chine est bien plus qu’un simple geste diplomatique : c’est une ouverture stratégique susceptible de redéfinir l’avenir commercial et industriel du Ghana. Toutefois, le résultat final dépendra de la manière dont le Ghana gérera la réciprocité. Une approche bien calibrée et fondée sur les données peut transformer les risques potentiels en opportunités de transformation structurelle.
Le Ghana doit se comporter non pas comme un bénéficiaire passif de la bienveillance, mais comme un partenaire actif qui définit les modalités de cet engagement. Grâce à une réciprocité stratégique, le pays peut faire de cette politique la pierre angulaire de son économie dynamique, favorisant une croissance inclusive, une résilience industrielle et une prospérité durable.
Paul Frimpong
Fondateur et directeur exécutif,
Centre Afrique-Chine pour les politiques et le conseil


