L’art macanais et polonais réinvente le langage au coeur de Berlin
L’ancien aéroport de Tempelhof à Berlin, lieu chargé d’histoire — des rassemblements nazis massifs au pont aérien crucial du blocus soviétique (1948-1949) — a été, le 5 octobre, le théâtre d’une expérience artistique multilingue. Le projet d’art public « Neukölln Trans-lingual », conduit par l’artiste macanais Cheong Kin Man et la Polonaise Marta Stanisława Sala, a invité les résidents berlinois à participer à des performances centrées sur la diversité linguistique.
Soutenu notamment par le Sénat de Berlin, la Foundation Oriente (Portugal) et l’Institut français de Berlin, le projet visait, selon le mécène allemand, à « promouvoir le dialogue interculturel et valoriser la diversité linguistique » du quartier de Neukölln, où se côtoient plus d’une centaine de langues. Comme l’ont rapporté les quotidiens portugais de Macao, Jornal Tribuna de Macau et Ponto Final, l’action du duo, actif entre Berlin, Lisbonne, la Pologne et Macao, s’inscrit pleinement dans le paysage culturel contemporain. L’ambassade du Portugal à Berlin a d’ailleurs souligné sur les réseaux sociaux que l’initiative « aborde l’urgence de repenser le translinguisme comme un patrimoine culturel commun à l’ensemble de la population berlinoise. »
Lors de la première manifestation, « Terrain de Jeu Translingue », les participants ont pratiqué une gymnastique « idéographique », un exercice collectif inspiré des anciens caractères sino-asiatiques où les idées et le sens se traduisent par des gestes. Cette session, tenue dans l’enceinte de l’ancien aéroport malgré la pluie, a permis la création d’un langage collectif à l’aide de douze drapeaux symbolisant « des formes d’expression non verbales et des écritures déconstruites », selon les autorités berlinoises. L’œuvre antérieure du duo, « Initiation semi-fictive à l’écriture oraculaire », avait déjà esquissé les bases de cette recherche à la Maison des cultures du monde de Berlin.
L’artiste espagnol Marcos García Pérez a coanimé ces exercices, tandis que la créatrice germano-polonaise Katarzyna Sala a présenté un travail sonore multilingue.
Le programme s’est poursuivi au Mayer Pavilion, espace culturel fondé par l’artiste italien Andrea Mineo. Le deuxième happening, « Atelier de poésie », a pris la forme d’un atelier translinguistique mené avec le poète germano-kurde Abdulkadir Musa, formé notamment à la littérature française à Alep. Les participants y ont composé des poèmes mêlant des mots de plusieurs langues, intégrés par les artistes au drapeau final de l’exposition.
La dernière action a invité le public à créer des mots à partir de sons du quotidien avant de former des vers dans ce langage inventé. Ce geste prolonge la performance vidéo expérimentale de l’année précédente du duo, « La fluidité du langage », commandée par la Galerie baltique d’art contemporain de Pologne.
L’influence française du projet est particulièrement notable. Dès 2021, la première collaboration de Cheong et Sala à Berlin réimaginait « L’Empire des signes » de Roland Barthes lors d’une performance participative. Depuis, leurs travaux explorent l’interaction entre langue, traduction et imaginaire culturel, entre l’Europe et Macao. La dramaturge francophone Miriam Coretta Schulte a également participé aux événements berlinois.
Des acteurs basés à Macao ont contribué au projet, notamment l’actrice Helen Ko et Tam Chi Chün, directeur artistique du Théâtre expérimental de Macao et membre du Conseil de développement culturel de Macao. Ko a participé à la composition de poésie translingue, tandis que Tam a partagé son expérience de collaboration avec le duo lors d’événements au Portugal en juin dernier, notamment au Goethe-Institut Portugal et au Musée national Soares dos Reis.
« Neukölln Trans-lingual » est une création collaborative rassemblant des locuteurs de multiples langues, dont plusieurs dialectes chinois (cantonais, mandarin, zhejiang), le français, l’arabe, le kurde, l’hébreu, le russe et l’ukrainien, illustrant comment l’art peut dépasser l’anonymat social et les barrières linguistiques.
Au Mayer Pavillon, la journée s’est conclue par une exposition éphémère de douze œuvres textiles combinant poésie translingue et motifs graphiques.
Le projet a bénéficié d’un vaste réseau institutionnel, incluant l’Institut Camões – Centre culturel portugais de Berlin (ambassade du Portugal), l’association allemande Pratique urbaine (Urbane Praxis), l’Université nouvelle de Lisbonne, ainsi qu’à Varsovie, la Fondation pour le développement de la société créative (FRSK) et l’Institut Boym d’études asiatiques et mondiales.
PhoFoto Cheong Kin Man – Jornal Tribuna de Macau