vendredi, avril 19

« Quand la Chine éternue »

De Project Syndicate – Par Stephen S. Roach – L’économie mondiale, c’est indéniable, a pris froid. L’épidémie de Covid-19 survient en un point particulièrement vulnérable du cycle économique. La production mondiale n’a augmenté en 2019 que de 2,9 % – le rythme le plus lent depuis la crise financière de 2009-2009, à 0,4 point seulement du seuil des 2,5 %, généralement associé à une récession mondiale.

Cette vulnérabilité s’est en outre accrue, dans la plupart des économies importantes, au cours de l’année dernière, ce qui rend plus incertaines encore les prévisions pour l’année 2020. Au Japon, quatrième économie mondiale, la contraction de la croissance, au quatrième trimestre, correspondrait, en rythme annuel, à une chute de 6,3 % – beaucoup plus abrupte qu’on ne la prévoyait, après une nouvelle augmentation de la taxe sur la consommation. Au mois de décembre, la production industrielle a brusquement chuté tant en Allemagne (-3,5 %) qu’en France (-2,6 %), respectivement les cinquième et dixième économies mondiales.

Les États-Unis, la deuxième économie mondiale, semblent en comparaison relativement résilients, mais on ne peut guère qualifier de boom une croissance du PIB réel (ajusté de l’inflation) de 2,1% pour le quatrième trimestre de 2019. Et en Chine – aujourd’hui la première économie à parité de pouvoir d’achat –, la croissance a ralenti, pour atteindre son niveau le plus bas depuis vingt-sept ans, à 6 % pour le dernier trimestre de 2019.

Pour le dire autrement, il n’y avait pas, en ce début d’année, de marges de manœuvre pour un accident. Et pourtant, l’accident a eu lieu : le choc du Covid-19 en Chine. Au cours du mois dernier, la combinaison de mesures de quarantaine sans précédent dans la province de Hubei (qui compte 58,5 millions d’habitants) et de restrictions draconiennes des déplacements d’une ville à l’autre (tout comme des déplacements internationaux), a peu ou prou conduit l’économie chinoise au point mort.

Les indices de l’activité quotidienne calculés par l’équipe Chine de Morgan Stanley soulignent le caractère national de la perturbation. Pour février 2020, la consommation de charbon (soit encore 60 % de l’énergie totale consommée en Chine) est en baisse de 38 % par rapport à l’année précédente, et les comparaisons pour ce qui concerne les transports à l’échelle nationale révèlent une dégradation plus importante encore ; le retour dans les usines de presque 300 millions de travailleurs migrants après les vacances du nouvel an lunaire s’est donc avéré extrêmement difficile.

Les perturbations de l’offre sont particulièrement importantes. Non seulement la Chine est, de loin, le premier exportateur mondial, mais elle joue aussi un rôle critique au centre des chaînes de valeur mondiales. Des études récentes montrent que celles-ci comptent environ pour 75 % de la croissance du commerce total, et que la Chine représente la source la plus importante de cette expansion. L’alerte récemment lancée par Apple concernant ses résultats nets dit tout : le choc chinois est un goulet d’étranglement majeur de l’offre globale.

Mais du côté de la demande, les effets collatéraux sont aussi très importants. Après tout, la Chine est aujourd’hui la première source de demande extérieure pour la plupart des économies asiatiques. Il n’est donc guère surprenant de constater que les chiffres du commerce, pour le Japon comme pour Corée du Sud, montrent, en ce début d’année 2020, des signes évident de faiblesse. En conséquence de quoi, il est pour ainsi dire certain que le Japon enregistrera deux trimestres consécutifs de croissance négative, ce qui signifie qu’après chacune de ses trois augmentations de la taxe sur la consommation (en1997, en 2014 et en 2019), il aura subi une récession, et que celle-ci sera la troisième.

La faiblesse de la demande chinoise va probablement frapper aussi très durement une économie européenne – et notamment l’Allemagne – qui s’affaiblit déjà ; et elle pourrait même causer quelques dégâts à l’économie apparemment intouchable des États-Unis, dont la Chine est le troisième marché d’exportation, et celui dont la croissance est la plus rapide. La chute brutale enregistrée par les premières mesures de la confiance des directeurs d’achats aux États-Unis pour le mois de février en laisse soupçonner la possibilité et donne raison à l’adage inusable selon lequel aucun pays ne peut faire figure d’oasis lorsque l’économie mondiale s’essouffle.

Ce sont les épidémiologistes qui finiront par avoir le dernier mot sur l’issue du Covid-19 et de ses effets économiques. Si cette science est très au-delà de mes compétences, j’ai compris, comme tout le monde, que la souche actuelle de coronavirus semble plus contagieuse mais moins mortelle que ne l’avait été celle du SRAS en 2003. J’étais à Pékin lors de cette poussée épidémique, voici dix-sept ans, et je me rappelle parfaitement la crainte et le sentiment d’incertitude qui avaient alors saisi la Chine.

La bonne nouvelle est que la perturbation avait été brève – une défaillance qui n’avait duré qu’un trimestre, de deux points de pourcentage sur la croissance du PIB nominal –, suivie d’une vigoureuse reprise au cours des quatre trimestres suivants. Mais les circonstances étaient alors très différentes. En 2003, la Chine était encore en pleine expansion – avec un PIB réel qui grimpait de 10 % – et l’économie mondiale enregistrait une croissance de 4,3 %. Pour la Chine et le monde, les perturbations liées au SRAS ne furent à peine qu’une péripétie.

« La Chine pourrait manquer son objectif de croissance annuelle de 6% pour 2020 »

Une fois encore, nous sommes loin aujourd’hui d’une telle situation. Le Covid-19 frappe en un temps de beaucoup plus grande vulnérabilité économique. Le choc est sensiblement concentré sur le principal moteur de la croissance. Le Fonds monétaire international situe la part de la Chine dans production mondiale à hauteur de 19,7 % cette année, soit plus du double de ce qu’elle était en 2003 – 8,5 % –, lorsque s’est déclarée l’épidémie du SRAS. En outre, la Chine ayant compté elle-même pour 37 % de la croissance cumulative du PIB mondial depuis 2008, et aucune autre économie ne pouvant prétendre venir combler le vide, le risque d’une nette récession mondiale dans la première moitié de l’année 2020 semble une très réelle possibilité.

Effectivement, elle aussi passera. Si la production du vaccin prendra du temps – six à douze moi au minimum disent les experts –, on peut penser qu’avec la combinaison de températures plus clémentes dans l’hémisphère nord et de mesures d’endiguement sans précédent, le taux de contamination atteindra son maximum dans les prochains mois. Mais la réaction économique sera probablement en décalage avec la courbe de contamination du virus, tout comme une levée prématurée des quarantaines et des restrictions de déplacement pourrait soulever une nouvelle vague, plus étendue, de contamination au Covid-19.

Cela impliquerait, au minimum, une baisse de la croissance pendant deux trimestres en Chine, alors que celle imputable au SRAS n’avait duré qu’un seul trimestre, par conséquent que Pékin n’atteindrait pas son objectif annuel de croissance de 6% pour 2020, et qu’il s’en faudrait d’un point de pourcentage. Les récentes mesures de relance prises par la Chine, qui visent essentiellement à renforcer le rebond devant suivre les quarantaines, ne pourront contrebalancer l’effet des restrictions draconiennes actuellement imposées.

Cela n’entame pas beaucoup l’optimisme qui fait actuellement consensus chez les investisseurs. Les chocs, après tout, ne sont que des perturbations temporaires d’une tendance de fond. S’il est tentant de minimiser pour cette raison même le choc actuel, l’important est d’avoir une lecture correcte des conséquences de la tendance de fond. La santé de l’économie mondiale était faible, et s’affaiblissait, avant que ne frappe le Covid-19.

La courbe en « V » qui caractérise le redressement après un épisode du type SRAS sera donc beaucoup plus difficile à reproduire – en raison notamment du peu de marges dont disposent les autorités monétaires et budgétaires des États-Unis, du Japon et de l’Europe. C’est là que résidait évidemment, depuis le début, le grand risque. En ces temps où l’achat à la baisse laisse miroiter les bénéfices, le rhume chinois pourrait s’avérer particulièrement contrariant pour des marchés de capitaux depuis longtemps enclins à la satisfaction.

Traduit de l’anglais par François Boisivon

Stephen S. Roach, ancien président pour l’Asie de Morgan Stanley, enseigne à l’université de Yale ; il est l’auteur de Unbalanced: The Codependency of America and China [non traduit].

Copyright: Project Syndicate, 2020.
www.project-syndicate.org

 

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