vendredi, avril 12

Une évolution contrastée du nombre de célibataires en Chine

Chaque année émerge une prise de conscience de plus en plus révélatrice de l’évolution croissante du nombre de célibataires en Chine, à l’occasion de la journée des célibataires « 光棍节 » ou « 独身节 », prévue le 11 novembre et imaginée à l’origine par des étudiants chinois de l’université de Nanjing.

Au-delà de considérations économiques, il est important d’analyser le rôle de cette fête dans la mentalité des célibataires chinois, car elle est le symbole d’une affirmation haut et fort de ce statut, statut très souvent moqué ou subit de plein fouet au sein de la société. L’Académie chinoise des sciences sociales a été l’une des pionnières dans l’étude de ce « boom » des célibataires, conséquence de politiques ou croyances chinoises omniprésentes et omnipotentes.

Initialement, la mise en place d’une politique nationale de l’enfant unique en République Populaire de Chine de 1979 à 2015, dans le but d’éviter une surpopulation, a entrainé un déséquilibre homme-femme significatif. Cette politique, certes restrictive, l’est devenue encore plus, lorsque le poids de la représentation chinoise de la famille est venu la compléter.

Historiquement, face à cette politique, on a préféré avoir un fils dans les milieux ruraux chinois, pour qu’il puisse travailler dans les champs et être l’exemple du respect de la piété filiale, chère à la philosophie confucéenne. Afin d’éclairer cette analyse de l’évolution croissante du nombre de célibataires en Chine, il est important de comprendre le poids historique et idéologique de la famille, dont l’acte de naissance consacrée est le mariage, même si le taux qui lui est accordé est en baisse depuis 2013.

La philosophie confucéenne repose sur une société patriarcale ou domine le pouvoir des pères, des anciens, le fils étant soumis au père comme le sujet l’est vis à vis du prince. Le devoir d’assistance envers les parents et celui de leur rendre les honneurs est la clé de voute de la société familiale chinoise, ce qui explique pendant cette période une surmortalité féminine importante, un nombre d’avortements et d’abandons de petites filles en nette croissance.

En effet, le mariage chinois étant qualifié de « virilocal », l’épouse quittant sa famille pour vivre dans celle de son mari (conformément à l’article 9 de la Loi de la République Populaire de Chine sur le mariage adoptée en 2003), les couples chinois préfèrent avoir un garçon, afin que celui-ci, ainsi que son épouse, s’occupent d’eux pour leurs vieux jours et perpétuent la lignée familiale.

Même si, depuis novembre 2002, l’identification du sexe d’un fœtus pour des raisons non médicales et les avortements sélectifs sont proscrits en Chine, cette élimination des filles persévère dans l’ombre dans certaines régions chinoises, le ratio de naissance garçon-fille par an attestant encore de ce déséquilibre, avec 116 garçons qui naissent pour 100 filles en Chine.

Le couple traditionnel vole en éclat

Ce déséquilibre a encore laissé des marques très prégnantes à l’heure actuelle, car il a laissé émerger deux types de profils dont les chances d’être célibataire sont importantes. Selon l’Académie chinoise des sciences sociales, en 2020, il y aurait 30 millions d’hommes de plus que de femmes en âge légal de se marier, ce qui accroît dans un premier temps, la préoccupation historique des hommes célibataires chinois en milieu rural.

Du fait d’une surreprésentation d’hommes sur le marché matrimonial, les hommes représentant 51,1% de la population à la fin 2018 contre 48,9% pour les femmes, les femmes vont pratiquer une sorte de « surenchère » dans le sens où, celles-ci vont préférer épouser un futur conjoint susceptible de leur apporter un confort matériel (maison en ville, revenus élevés…).

Pour les hommes en milieu rural, ces exigences ne répondent pas à leur mode et niveau de vie, d’autant plus qu’ils doivent subir la pression de leurs parents (certains allant même jusqu’à parler de responsabilité « l’avenir de notre famille repose sur mes épaules »), et vivre avec un sentiment de honte, de culpabilité, ces hommes étant qualifiés de « 光棍 » c’est-à-dire « branches mortes ou branches nues » (référence au fait qu’ils n’apporteront jamais de fruits).

Cette situation va entraîner différents comportements chez eux, certains partant à l’étranger pour trouver une épouse, ou d’autres tentant leur chance en ville, comme en témoigne l’évolution des courbes liées à la répartition sexuelle des employés d’usines d’assemblage dans des villes industrialisées. Par conséquent, les hommes au faible statut social et économique sont ceux les plus touchés par le célibat.

Dans un second temps, les femmes surdiplômées composent le second profil de ces nouveaux célibataires. Historiquement, même si l’avortement sélectif était répandu, de nombreuses familles furent contraintes d’élever une petite fille. Ces filles furent poussées à faire des études, aspect étant jusqu’ici privilégié pour les fils ainés. De cette adaptation est née un grand nombre de femmes surdiplômées, concentrées sur leur ascension sociale, mais non mariées à l’âge de 27 ans.

Ces femmes, qualifiées de « 剩女 » ou « filles qui restent », sont tiraillées entre le désir de poursuivre leur carrière et la pression sociale, familiale qui découle d’une absence de conjoint et donc de perspective de mariage. En effet, le mariage en Chine est une étape importante du passage à la vie adulte et est un marqueur de statut social. Cette étape est un préalable nécessaire à toute relation sexuelle conjugale, le mariage étant très précoce dans ce pays par comparaison à d’autres pays voisins (l’âge moyen au mariage à la campagne était de 24,8 ans pour les hommes et de 22,8 ans pour les femmes en 2010, contre respectivement 26,2 ans et 24,4 ans dans les villes).

Il est en effet établi que, même si la Loi de la République Populaire de Chine sur le mariage en 2003 dans son article 6 énonce que l’âge de mariage est fixé pour l’homme à 22 ans révolus et 20 ans révolus pour la femme, les mariages avant cet âge ne sont pas rares, selon les recensements de 2000 et 2010, car en Chine on considère encore habituellement 18 ans comme le seuil d’entrée dans l’âge adulte, et la plupart des jeunes hommes sont jugés prêts pour le mariage dès cet âge. Dès lors, à 27 ans, ces femmes sont considérées comme en retard ou « périmées ».

En l’état actuel des choses, il faut bien comprendre qu’un jeune chinois sur 5 ne parvient pas à trouver une épouse et qu’en 2030 un homme chinois sur trois, de moins de 40 ans, n’aura jamais été marié. Cette question des célibataires est devenue au fil des années une véritable préoccupation sociale, reprise et suivie avec attention par le pouvoir politique en place.

En effet, cette proportion croissante de célibataires inquiète, par peur d’une déstabilisation de l’ordre social établit, car la société chinoise n’a pas été conçue pour les célibataires depuis la Révolution culturelle lancée en 1966. Cette croissance du nombre de célibataires est une question éminemment politique et économique, lorsque l’on observe, par exemple, le nombre croissant de migrations internes, avec un excédent d’hommes dans des villes industrialisées, qui pose des questions de logements et d’accès à l’emploi.

Ce constat en termes de célibat épouse aussi une situation économique et sociale différenciée, distincte entre la Chine occidentale et la Chine orientale, une Chine souvent définie comme à deux vitesses. Cette fracture géographique est un critère majeur dans l’esprit d’une femme choisissant son époux, en prêtant attention au cadre de vie de son futur époux et de sa famille, plus précisément sous l’angle des moyens de transport et des voies de communication disponibles.

Des femmes qui ont grandi et vécu dans les plaines chinoises seront par exemple réticentes à l’idée de s’installer dans des zones montagneuses. Enfin, à long terme, le déficit de femmes et le faible taux de fécondité réduiront davantage la population active et accélèreront le vieillissement de la population, ce qui constitue un constat préoccupant pour les hommes politiques chinois dans une société où l’entraide intergénérationnelle est instituée.

L’un des principaux leviers d’action pour le pouvoir chinois consiste en une revalorisation de l’image de la femme au sein de la société et s’inscrit dans une volonté plus large d’encourager davantage de naissances et de faire face au vieillissement rapide de la population avec l’annonce de nouvelles mesures dans le cadre de son nouveau « plan quinquennal » 2021-2025.

D’un autre côté, émerge aussi des actes citoyens afin de trouver une solution à ces célibataires forcés. On pense notamment au développement de « marchés aux célibataires », se développant principalement dans les grandes villes chinoises, qui consiste en un échange de « CV » des enfants de parents présents dans le but que leur fils ou leur fille trouve l’âme sœur. L’importance du réseau ou « 关系 » d’un individu est aussi important en Chine, réseau qui a une influence certes sur le statut socio-économique de l’individu mais sur les relations et les potentielles rencontres qu’un individu puisse faire et nouer.

Depuis les réformes économiques du début des années 1980, le coût du mariage d’un fils en milieu rural qui comprend une nouvelle maison, la dot et les frais de cérémonie a considérablement augmenté. La situation financière des parents et leur capacité à emprunter de grosses sommes sont donc devenus des facteurs très importants de l’accès au mariage pour le ou les fils. S’installe alors un cercle vicieux, certains célibataires de zones rurales préférant différer leur projet de mariage pour économiser de l’argent et acquérir une maison, alors que leurs chances de se marier s’amenuisent passées la trentaine.

Par voie de conséquence, il nous faut faire une différence entre le célibat volontaire et célibat involontaire sur ce sujet épineux et contemporain. On trouve en zone rurale un nombre encore croissant de « villages de célibataires », villages possédant un fort pourcentage d’hommes célibataires involontaires. Un des défis repose sur le fait que nous sommes qu’au début de la visibilité de ces nouveaux enjeux sociétaux, dans le sens où une préférence à la naissance du garçon sur la fille des années 1980-1990, commence uniquement à apporter ses effets et conséquences.

Il faut tout de même relativiser cet enjeu car la proportion d’hommes ruraux non mariés n’est que de 4%, proportion qui diminue à 2% en ville et pour les femmes rurales ou citadines la proportion est de moins de 1%. De plus, la pénurie de conjointes en Chine rurale est ancienne, certains hommes n’ayant pas réussi à se marier à l’âge attendu y compris lorsque la fécondité était élevée et le rapport de masculinité à la naissance normal depuis des générations.

Roddier Florian

Étudiant en Master 1 Géostratégie, Défense et Sécurité internationale à l’Institut d’Études Politiques d’Aix-en-Provence.

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