samedi, mars 23

Accord commercial inédit entre Beijing et Taipei

« Grâce à leur pacte, Beijing et Taipei sont proches comme jamais depuis la fin de la guerre civile » en 1949, titrait le South China Morning Post dans son édition du 30 juin 2010. En effet, les deux parties ont signé un accord-cadre de coopération économique (ACCE), à Chongqing la veille. Après deux années de rapprochement, cet accord, jugé historique, devrait faciliter le commerce bilatéral.

Bien qu’une majorité de taïwanais, principalement les acteurs économiques, approuvent cette évolution économique et diplomatique, « la validation de l’accord n’est pas acquise à Taïwan« , selon le SCMP. En effet, le texte doit encore être validé au Parlement, qui doit faire face à une opposition, hostile à la Chine continentale. Le Parti Démocratique Progressiste (PDP) craint d’ailleurs la réunification politique de Taïwan, indépendante depuis 1949, sans pour autant que Beijing ne l’est jamais reconnue comme telle.

Un tournant économique

Chiang Pin-kung, négociateur-en-chef taïwanais, a assuré que « cette signature marque un tournant dans les relations économiques entre les deux parties. Elle est également un grand pas en avant pour les deux dans la tendance générale d’intégration économique régionale et de mondialisation ».

L’ACCE prévoit, entre autre, des droits de douane préférentiels, voire nuls, sur 539 produits taïwanais, allant de la pétrochimie aux pièces automobiles. Cela représente 16% des exportations de l’île vers la Chine continentale, qui est le 1er partenaire commercial de Taïwan. Mais également la destination numéro 1 de ses investissements.

En contrepartie, 267 produits chinois, soit 10,5% des exportations chinoises vers Taïwan, auront les même droits de douanes. Selon le gouvernement taïwanais, cet accord-cadre devrait créer 260.000 emplois dans l’île et ajouter 1,7 point de pourcentage à la croissance de l’île.

Deux côtés s'opposent. D'un côté,  les "Bleu" pour le rapprochement avec Beijing et de l'aitre, Pékin. Les "Bleu foncé" pour l'unification. De l'autre, les "Vert" contre l'existence d'une seule Chine et Taïwan est une entité bien distincte. Et les "Vert foncé" veulent une déclaration d'indépendance.
Drapeau taïwanais en bleu et chinois, en rouge

D’autant que la vente de produits taïwanais en Chine est estimé à 14 milliards de dollars et celle de produits chinois à Taïwan à 3 milliards de dollars. Pour le quotidien taïwanais Chungkuo Shihpao, ce texte va ouvrir la porte « aux investissements dans les secteurs des services, de la finance et des assurances ». Les domaines bancaire, culturel et médical y sont également inclus.

Selon Yin Ziyi, chercheur de l’université de Qinghua interrogé par le quotidien Jingji Cankao Bao – cité par Courrier International – « jusqu’à maintenant, les coopérations économiques relevaient d’initiatives lancées par des entreprises à titre individuel, alors que là il s’agit d’un accord officiel qui va normaliser les relations économiques entre les deux rives ».

Pour la présidente du Conseil des affaires continentales, Lai Shin-Yuan, les deux parties seront sur un plan d’égalité, et pour elle, Taïwan a su tenir tête face aux négociateurs chinois.

Cependant, les opposants de l’ACCE ont estimé que cet accord-cadre allait surtout détruite le secteur manufacturier de l’île. En réponse, Lai Shin-Yuan a assuré que les petites et moyennes entreprises auront la possibilité d’exporter leurs produits vers la Chine à un moindre coût.

Mais la concurrence chinoise dans ce secteur est bien plus féroce qu’à Taïwan, de nombreuses entreprises occidentales, asiatiques et africaines en ont fait les frais. De son côté, Chen Tain-Jy, professeur de l’université de Taipei, assure que cet accord permettra de concurrencer la Corée du Sud.

Une classe politique divisée

Depuis l’arrivée en 2008, de Ma Ying-Jeou au pouvoir, les relations bilatérales se sont apaisées, et le dialogue a reprit. Séparés depuis 60 ans, Taïwan et la Chine continentale ont signé un accord économique prenant des accents politiques significatifs, car cette signature scelle réellement un rapprochement diplomatique et économique, encore jamais vu, depuis 1949.

Pour Yang Yung-ming, spécialiste en science politique à la Soochow University de Taipei, cet accord risque de rendre Taipei dépendante du commerce avec la Chine, et « ses options politiques se réduisent« . Les indépendantistes craignent que cette dépendance économique ne fasse disparaître le régime démocratique mis en place depuis l’indépendance de 1949.

Cette position politique de Taïwan, a fait d’elle la bête noire de Beijing, qui n’a pas pu contrôler les hauts responsables politiques de l’île, certains soutenus par les États-Unis. A l’instar du précédent président de Taïwan, Chen Shui-bian (2000-2008), ce dernier ne tenait pas à se rapprocher de Beijing. Il n’avait d’ailleurs pas hésité à se confronter aux dirigeants chinois et avait comme objectif de « préserver la souveraineté de Taïwan et de sauvegarder les profits économiques de l’île« .

L’accord signé devrait apaiser les tensions, et permettre à la Chine de récupérer sa position à Taïwan. Cependant, elle devra faire face à l’opposition indépendantiste, qui prend de plus en plus d’ampleur, notamment avec sa victoire aux élections législatives partielles de mars 2010.

Les opposants donnent de la voix

Le 26 juin, des dizaines de milliers de personnes ont manifesté dans les rues de Taipei pour protester contre cet accord-cadre de coopération économique, à l’appel du Parti Démocratique Progressiste (pro-indépendance), sous des slogans « Sauvez Taïwan! » ou « Contre l’ECFA! ».

Première femme élus à Taïwan, Tsai Ing-wen
Présidente du PDP, Tsai Ing-wen

Dénonçant un premier pas vers la réunification entre Beijing et Taipei, l’ACCE est selon l’opposition, un moyen pour la Chine de renforcer son influence sur l’île. « Taïwan doit pouvoir décider de son avenir« , a déclaré la présidente du PDP, Tsai Ing-wen, devant un parterre de sympathisants et manifestants. « Nous ne voulons pas être victimes de l’ACCE, de nombreuses personnes vont perdre leur emploi« , a-t-elle ajouté.

« On sait bien qu’au fond, le Président veut une réunification. Ce pacte va nous lier économiquement, puis politiquement avec la Chine« , a indiqué l’ancien président Lee Teng-hui, 87 ans, principal détracteur de l’Accord cadre de coopération économique (ECFA). Pour ce dernier, « heureusement qu’on a encore un système démocratique pour protéger Taiwan ». Cependant, il a accusé Ma Ying-jeou et son parti, le Kuomintang (KMT), de « coopérer avec les communistes de Chine pour unifier Taiwan« .

Un rapprochement scellé

D’après le quotidien Libération, « beaucoup de Taïwanais voient dans cet accord l’application de la fameuse tactique communiste du ‘Front uni’, visant à placer l’adversaire dans un état de dépendance afin de mieux l’étouffer« .

Mais deux mois après la signature de ce texte, le Parlement de Taïwan, dominé par le KMT, a approuvé le 17 août, cet accord de libre-échange entre la Chine et Taïwan. Après seulement une journée de débat sur les 16 articles constituant l’ACCE), les parlementaires ont voté le texte par 68 voix pour et aucune contre.

Les députés de l’opposition n’ont pas participé au vote, mais ont vivement protesté. Cette dernière a assuré que l’ACCE allait détruire de nombreux emplois à Taïwan et accroître la dépendance de l’île nationaliste à la Chine.

De son côté, le gouvernement taïwanais a fait valoir que l’accord favorisera la croissance et l’emploi, ajoutant qu’il protégera également l’île de l’isolement, au moment où les accords de libre-échange en Asie se multiplient.

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