samedi, avril 27

La diplomatie des infrastructures, un « win-win » mitigé entre la Chine et l’Afrique

Dans la cadre du Forum de Coopération Chine-Afrique (FOCAC), instauré en l’an 2000, la Chine a fait de la construction des infrastructures un pilier de sa coopération avec les pays africains.

Il s’agissait d’une part d’un moyen de construire des infrastructures par des entreprises chinoises et d’être acteur de la modernisation dans des pays dans le besoin, mais aussi de s’assurer de la loyauté ces dirigeants. D’autre part, la Chine assurait la protection de la chaîne d’approvisionnement en ressource énergétique dont elle a grandement besoin.

Construire des infrastructures pour redorer son image

Les projets engagés gratuitement ou à des prêts à taux zéro par la Chine en Afrique ont augmenté sa réputation mondiale et lui ont assuré un soutien infaillible du continent au sein des instances internationales. Mais selon Hema Narang, chercheuse indépendante et intervenante à l’Université de Delhi, «cette générosité s’inscrit dans une tendance plus large selon laquelle la Chine fait don de divers projets, des bâtiments parlementaires aux stades, à des pays du monde entier».

En septembre 2021, l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM) a publié un rapport mettant en avant les constructions réalisées par des compagnies chinoises depuis un demi-siècle. Selon le bilan établi, 24 palais présidentiels ou de Premiers ministres, 26 bâtiments parlementaires, 32 installations militaires ont été construits par la Chine, dans des pays tels que la Namibie, l’Angola, l’Ouganda, et le Ghana. D’ailleurs, en 2023, la Chine a apporté une aide financière conséquente à la construction du siège du Centre africain de contrôle et de prévention des maladies (CDC Afrique) à Addis-Abeba, en Éthiopie, à la suite de la pandémie de Covid-19. Avant cela,

«La stratégie chinoise consistant à s’engager dans une diplomatie de projets de prestige, en particulier en Afrique, est remarquable depuis la construction du siège de l’Union africaine en 2012. Ces grandes structures servent de vitrines symboliques des capacités de la Chine, positionnant le pays comme un facilitateur de modernisation et de progrès. Ces projets jouent un rôle crucial dans la quête du prestige international de la Chine, fonctionnant comme des outils puissants pour influencer les perceptions mondiales et cultiver une image positive», a expliqué Hema Narang dans son article «Infrastructure diplomacy the key to China’s influence in Africa».

Or ces constructions ne sont pas un cadeau de la Chine aux pays africains, selon Hema Narang, mais une manière de lier «celui qui donne et celui qui reçoit», permettant de consolider les relations et de donner une image honorable au donateur. D’autant plus que la Chine ne parle pas de cadeau, mais d’«aide au développement». Un slogan donnant à la Chine un rôle de partenaire et de soutien aux pays africains.

Pour de nombreux dirigeants africains les investissements chinois en Afrique améliorent le cadre de vie des africains, et représentent une opportunité économique et commerciale, lui permettant se diversifier les partenariats économiques des pays africains. D’ailleurs, «la montée en puissance de la Chine dans le domaine de construction des infrastructures sur le continent s’est accrue depuis le lancement de l’Initiative La Ceinture et la Route (Belt and Road Initiative/BRI)» à l’automne 201, d’après Hinrich Foundation, fondation basée à Singapour. En effet, la Chine précise dans son livre blanc, publié en 2021, et intitulé «La Chine et l’Afrique dans la nouvelle ère : un partenariat d’égalité», que de 2016 à 2020, l’investissement total dans les projets d’infrastructure en Afrique a atteint près de 200 milliards de dollars.

Ainsi, «depuis la fondation du Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC), les entreprises chinoises ont utilisé divers fonds pour aider les pays africains à construire et à moderniser plus de 10.000 kilomètres de chemins de fer, près de 100.000 kilomètres d’autoroutes, près de 1.000 ponts et 100 ports, ainsi que 66.000 kilomètres de lignes de transmission et de distribution d’électricité», a souligné le document.

Ces entreprises chinoises ont également aidé à construire en Afrique un réseau électrique de 120 millions de kilowatts, un réseau de communication de base de 150.000 kilomètres et un service de réseau couvrant près de 700 millions de terminaux d’utilisateurs, entre autre. De nombreux projets chinois impliquent des prêts et des investissements directs, plusieurs sont de véritables dons, comme des centres gouvernementaux, des stades et d’autres bâtiments prestigieux dans des pays africains. Ces projets sont des symboles de la relation Chine-Afrique, concrétisant «l’influence de la Chine et de son engagement en faveur du progrès socio-économique de ses partenaires africains», mais aussi consolidant «son image de puissance mondiale, en maximisant sa visibilité et en gagnant une influence politique en Afrique et sur la scène internationale».

La question des prêts et du piège de la dette

Toutefois, la Chine utilise les prêts d’infrastructure contre des ressources en Afrique comme outil de coopération économique gagnant-gagnant (win-win), ce qui pose un certains nombres de questions. Parmi lesquelles, est-ce que les prêts n’entraînent-ils pas des situations économiques et financières difficiles pour certains?

Or les prêts octroyés par la Chine seraient selon plusieurs pays occidentaux responsables de la dette colossale de certains pays africains, accusant la Chine d’engager les pays africains dans un «diplomatie du piège de la dette». Ils affirment que les prêts chinois aux pays africains sont prédateurs et conçus pour les piéger dans une dette, donnant à Pékin le contrôle de leurs économies et de leurs ressources. Le montant des prêts que la Chine a accordés à 49 pays africains et institutions régionales entre 2000 et 2022 dépasse les 170 milliards de dollars.

Certains experts attestent que la Chine n’est pas responsable de l’endettement de ces pays. Justin Yifu Lin, ancien vice-président de la Banque mondiale, dans les «pays très endettés d’Afrique, la dette causée par les infrastructures chinoises ne représente en moyenne que 15% de la dette totale de ces pays, c’est-à-dire une proportion très faible. Les autres 85% de la dette sont dus à d’autres pays, en particulier les pays occidentaux, au cours des années passées».

En août 2022, une étude publiée par l’ONG britannique Debt Justice atteste que les gouvernements africains ont trois fois plus de dettes auprès des banques occidentales, des gestionnaires d’actifs et des négociants en pétrole qu’auprès de la Chine. D’ailleurs, le taux d’intérêt moyen sur les prêts du secteur privé est de 5%, contre 2,7% sur les prêts des prêteurs publics et privés chinois. «Si la Chine est le premier créancier bilatéral du continent, la majeure partie de la dette des pays africains est détenue par des créanciers privés occidentaux», ont aussi écrit les chercheurs du Département politique et relations internationales de l’université d’Oxford, et Harry Verhoeven, du Centre d’études de la politique énergétique mondiale à l’université de Columbia.

D’autres experts comme Jana de Kluiver, chargée de recherche sur l’Afrique dans le monde à l’Institut d’études de sécurité (ISS) de Pretoria, explique que la Chine n’est pas la principale cause de la crise de la dette en Afrique, mais le manque de transparence, l’impact de ses contrats sur les industries locales et l’absence d’options de restructuration collective dans leurs clauses suscitaient des inquiétudes.

En effet, certains prêts contiennent des conditions difficiles à tenir, telles que l’interdiction des restructurations collectives et d’importantes clauses de confidentialité pouvant limiter la capacité à prendre des décisions financières indépendantes et souveraines des emprunteurs. A cela s’ajoute, entre autre, l’augmentation de la «dette cachée» des banques publiques chinoises qui représente un problème de gestion financière et de responsabilité. «En outre, les offres chinoises proposent des packages incluant financement, construction et exploitation des projets à des conditions souvent avantageuses (certains prêts courent sur quarante ans, avec une période de grâce de dix ans)», selon le politologue centrafricain, Michel Ndalacko.

Des investissements redirigés

Les prêts chinois sont essentiels dans «le financement des projets d’infrastructure et la stimulation de la croissance économique dans de nombreux pays africains». Toutefois, cette aide conséquente et ces prêts se réduisent au fur et à mesure, depuis la pandémie de Covid-19, et l’instauration de nouvelles priorités en Chine, ainsi que la baisse de la croissance économique du pays. Ainsi, en juin 2023, lors de la troisième Exposition économique et commerciale Chine-Afrique, «les décaissements de prêts ont été réduits de moitié avec des projets signés pour environ 10 milliards de dollars, contre 20 milliards lors de l’édition 2019», selon Yara Rizk, journaliste à Jeune Afrique.

Cette baisse vient également de la volonté des autorités chinoises de ne plus financer de gros projets d’infrastructures, souvent critiqués pour leurs effets dévastateurs sur l’environnement et l’endettement qu’il entraîne dans certains pays africains. La Chine veut donc privilégier des projets de plus petite taille d’un montant maximum de 50 millions de dollars avec des retombées positives, dont le recrutement local et la participation au développement économique et social du pays.

Pour redorer son image, la Chine veut aussi limiter les risques financiers, notamment celui de ne plus être remboursé par des pays africains de plus en plus endettés, a expliqué à Radio France, Mary-Françoise Renard, professeur émérite d’économie à l’Université de Clermont-Auvergne et autrice de «La Chine dans l’économie mondiale» aux Presses universitaires Blaise Pascal.

Selon cette dernière, «au début de l’engagement de la Chine, il y a eu beaucoup de prêts qui ont été accordés sans véritable analyse économique. On a prêté un peu à tout-va. Certains ministres africains disaient, avec la Chine, il suffit de demander pour qu’on ait de l’argent. Et là, la Chine redresse un peu la barre, car les risques sont quand même relativement élevés. Donc le premier objectif, c’est de limiter les risques».

Or désormais, la Chine veut rassurer les pays africains, en leur assurant des prêts moins élevés avec des critères plus souples. Le but est de conserver ses alliés, de ne pas s’aliéner la population, en recrutant localement, et d’assurer une coopération équitable, basé sur le fameux «gagnant-gagnant» prôné par le FOCAC (Forum de Coopération Chine-Afrique) depuis l’an 2000, Mais même si la Chine ne finance plus elle-même, elle pousse son secteur privé à investir dans de vastes projets d’infrastructures comme la construction d’une usine de pales d’éoliennes dans la région Nador dans le nord du Maroc.

D’autant que la Chine construit de nombreuses infrastructures en Afrique dans son propre intérêt, car elle a besoin «des ressources énergétiques dont regorge le continent africain, et ce dernier a besoin des aides chinoises pour se développer», a expliqué Barthélemy Courmont qui cite le pétrole du Nigeria, de l’Algérie, de la Libye, de l’Angola, du Soudan et de la Guinée équatoriale; le fer et le cuivre de l’Afrique du Sud et de la Zambie; le cobalt et le coltan de la République démocratique du Congo; le bois du Gabon, du Cameroun et du Congo, ainsi que le chrome au Zimbabwe.

La construction d’infrastructures par la Chine en Afrique représente un enjeu stratégique pour Pékin, qui veut assurer ses approvisionnements énergétiques, mais de bois, de coton et dans le domaine de l’agriculture. Raisons pour lesquelles, la Chine ne mettra pas fin à ses investissements en Afrique, ceux-ci prendront une forme nouvelle, avec le développement de coopération sectorielle et d’un engagement plus important du secteur privé.

Sources des citations

  • Jana de Kluiver, «Les enjeux complexes de la dette dans les relations Chine-Afrique», 2 novembre 2023, Institut d’Etude de sécurité. https://issafrica.org/fr/iss-today/les-enjeux-complexes-de-la-dette-dans-les-relations-chine-afrique
  • «Relations internationales : la dette chinoise et l’Afrique», Jeune Afrique, partenariat avec le Quotidien du peuple. https://www.jeuneafrique.com/brandcontent/1349301/relations-internationales-la-dette-chinoise-et-lafrique/
  • Fatma Bendhaou, «Les prêts chinois, une opportunité ou un cheval de Troie ? (Analyse)», 9 septembre 2021, Agence Anadolu. https://www.aa.com.tr/fr/afrique/afrique-les-pr%C3%AAts-chinois-une-opportunit%C3%A9-ou-un-cheval-de-troie-analyse/2360668
  • Courmont, Barthélemy, «Quand la Chine investit dans les infrastructures», Géoéconomie, vol. 81, no. 4, 2016, pp.159-175. https://www.cairn.info/revue-geoeconomie-2016-4-page-159.htm
  • Yara Rizk, «Croissance, prêts, investissements… L’Afrique face à une Chine en perte de vitesse», 2 janvier 2024, Jeune Afrique. https://www.jeuneafrique.com/1512905/economie-entreprises/croissance-prets-investissements-lafrique-face-a-une-chine-en-perte-de-vitesse/
  • «En Afrique, la Chine rafle 31% des projets d’infrastructures, contre 12% pour les puissances occidentales (rapport)», 22 août 2023, Agence Ecofin. https://www.agenceecofin.com/actualites/2208-111005-en-afrique-la-chine-rafle-31-des-projets-d-infrastructures-contre-12-pour-les-puissances-occidentales-rapport
  • «Pourquoi la Chine réduit ses prêts souverains à l’Afrique ?», 26 janvier 2024, Radio France. https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-journal-de-l-eco/pourquoi-la-chine-reduit-ses-prets-souverains-a-l-afrique-5514000

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