
Une carte textile des mémoires migrantes, des fragments d’histoires familiales et des échos du passé colonial européen en Asie : jusqu’au 17 août, l’exposition « Les Voyages merveilleux et étranges » met en lumière, au Centre scientifique et culturel de Macao (CCCM) à Lisbonne, les liens entre l’Europe et sa dernière colonie asiatique à travers des œuvres tissées de récits auto-ethnographiques.
Conçue par le duo artistique formé par Marta Stanisława Sala (Pologne) et Cheong Kin Man (Macao), aujourd’hui actifs entre Berlin, Cracovie, Katowice et Lisbonne, l’exposition réunit une douzaine de travaux, parmi lesquels des pièces textiles, des vidéos expérimentales et des livres d’artistes. Leur démarche s’inspire du sémiologue Roland Barthes, de l’écrivain Édouard Glissant, ainsi que de penseurs décoloniaux comme Françoise Vergès.
Au cœur de l’exposition, « La Boussole d’Utopie » (2024–2025), une installation circulaire de trois mètres de diamètre composée de tissus suspendus sur une structure en bambou, fusionne les recherches du duo sur la traduction entre langages visuels et récits de voyages. L’œuvre transpose les rythmes de la poésie cantonaise en motifs colorés, tout en évoquant la traversée à la nage que le père de Cheong entreprit clandestinement depuis la Chine maoïste vers Macao, alors sous domination portugaise. Elle fait aussi référence au passage de figures historiques comme le Comte Benyowsky, gouverneur du roi de France à Madagascar, ayant transité par Macao et Taïwan au XVIIIe siècle.
Commandée pour la Biennale de Macao, l’installation « Apocalypses » (2023) adopte une approche similaire. Elle retrace l’histoire migratoire polonaise depuis Vilnius jusqu’en Sibérie, en intégrant notamment deux chemises ayant appartenu au père de l’artiste, Wojciech Sala (1949–2022), premier maire post-communiste de Chrzanów, accueilli en France dans les années 1990 dans un échange visant à moderniser les communes polonaises à l’occidentale.
Admirateurs de l’œuvre de Barthes, les deux artistes ont entamé leur collaboration en 2021 sous le patronage du Sénat de Berlin. Ils interrogent notamment la réception du concept de « néant » dans « L’Empire des signes », soulignant que le caractère correspondant signifie à l’origine en chinois « danse ». Cette réflexion les a menés à développer un système d’écriture fictionnel inspiré de la couture manuelle, ainsi qu’une langue construite composée de plus de deux mille idéogrammes inventés.
Cette production littéraire spéculative, prolongement du projet « Apocalypses » et aujourd’hui forte de plus de 700 pages, est également présentée au CCCM. Elle a été montrée récemment au Goethe-Institut de Lisbonne et au musée national Soares dos Reis, à Porto, où elle est actuellement exposée dans le cadre de la Foire du livre jusqu’en septembre.
La cinéaste allemande Deborah Uhde, invitée par le duo, signe l’œuvre « White Slices Blind Spots » (2024), consacrée à la mémoire du colonialisme allemand dans la région de Kiautschou (Qingdao) à travers des fictions d’archives et des récits fragmentés. Cette perspective éclaire les parallèles entre différents passés impériaux en Asie de l’Est.
À Lisbonne, « Les Voyages merveilleux et étranges » prolonge un projet amorcé en 2024 avec deux expositions organisées par la Maison de Cracovie (Krakauer Haus) en Allemagne, le Département des relations internationales de Nuremberg ainsi que l’Institut Confucius de Nuremberg et d’Erlangen, en partenariat avec la municipalité de Cracovie et la Fundação Oriente au Portugal.
Sous le commissariat de la chercheuse colombienne Lorena Tabares Salamanca, l’exposition portugaise bénéficie du soutien des ambassades de Pologne et de Colombie au Portugal, du ministère polonais de la Culture et du Patrimoine national, de la Fundação Oriente, du Goethe-Institut, de la Ville de Cracovie, de l’institut Boym de Pologne et de l’association culturelle Babel de Macao.
IMAGE DE UNe: Marta Sala avec « Père et Soldat » au Musée de Macao à Lisbonne. Photo : Cheong Kin Man / Ville de Cracovie