jeudi, mai 2

Un humoriste fait une blague sur l’armée et reçoit une amende record

Le producteur du spectacle de Li Haoshi a reçu une amende de près de deux millions d’euros, laissant craindre un nouveau durcissement de la censure en Chine.

La sanction à l’encontre d’un producteur de spectacles a jeté un froid sur le milieu culturel chinois, rappelant que la libre expression artistique est de plus en plus limitée. Les autorités ont infligé une amende de près de deux millions d’euros à la société de production Xiaoguo Culture Media et suspendu ses spectacles après une blague, jugée déplacée, d’un humoriste sur l’Armée populaire de libération (APL).

Le comédien Li Haoshi a détourné un célèbre slogan de l’armée. Pour les autorités, il s’agit d’une infraction à la loi et a «des conséquences négatives» sur la société.

Lors d’un spectacle le 13 mai 2023, l’humoriste avait expliqué qu’il avait adopté deux «chiens féroces». Il a fait le récit d’une course poursuite avec des écureuils en expliquant qu’à ses yeux, ses deux chiens étaient «capables de gagner de batailles et avec style».

Or dans un discours en 2013, le président chinois Xi Jiping avait estimé que l’un des objectifs du Parti communiste était de «bâtir une armée du peuple qui suit les commandements du Parti, est capable de gagner des batailles et avec style».

Pas de ligne définie

La scène artistique chinoise a toujours été contrôlée par le PCC mais sous la présidence de Xi Jinping, les autorités ont renforcé leur surveillance. D’autant que certains n’hésitent pas à utiliser l’humour pour critiquer le gouvernement, et notamment le président chinois, comparé auparavant à Winnie l’Ourson.

Les stands-ups sont relativement nouveaux en Chine, et sont particulièrement risqués car «il est difficile de savoir quelles sont les limites», a estimé Xiaoning Lu, de l’institut SOAS China à l’Université de Londres. Certains nationalistes considèrent qu’ils sont un produit importé de l’Occident, a-t-elle souligné à l’Agence France Presse.

La sanction infligée à Xiaoguo montre que «la marge de tolérance des autorités concernant les discours non conformistes est encore moins importante», a estimé auprès de l’AFP Vivienne Shue, spécialiste de la Chine contemporaine à l’Université d’Oxford.

Auparavant, «il était plus courant» de voir les personnes transgressant la ligne «s’en tirer avec un simple avertissement». Dans le cas de Li Haoshi, les autorités ont infligé une amende à Xiaoguo et ouvert une enquête à l’encontre de l’humoriste.

Selon Steve Tsang, de l’institut SOAS China, cette sanction «a clairement été prononcée» pour susciter la crainte au sein du milieu culturel. A la suite de cette sanction, des spectacles musicaux et humoristiques ont été annulés à travers tout le pays. Dans certains cas, la «force majeure» a été invoquée mais, pour d’autres, aucune raison n’a été mentionnée.

«La bonne orientation politique»

Le PCC a toujours eu la maîtrise de manière drastique du milieu artistique, cooptant certains à des fins de propagande politique et réprimant tous ceux qui remettaient en question son autorité, les confinant à de la dissidence.

Pour le fondateur de la Chine nouvelle, Mao Zedong, il n’existait pas «d’art détaché ou indépendant de la politique». D’ailleurs, lors de l’étalibssement de la République populaire de Chine, Mao Zedong a assuré que la culture était au serive du parti et de l’état, obligeant le monde littéraire, intellectuel et artistique à se conforter à la révolution prolétarienne.

«La censure et l’autocensure ont toujours existé même si leur intensité a été différente d’une époque à l’autre», a estimé Sheng Zou, de l’Université baptiste de Hong Kong. Ces dernières années, le gouvernement a publié de nouvelles «directives morales» exigeant des comédiens qu’ils incarnent la positivité et le patriotisme.

Plusieurs mesures les ont également obligé à devenir plus viril, afin de rompre avec le côté androgyne des sud-coréen et japonais. Mais surtout pour véhiculer une image viril de l’homme chinois à travers le pays et dans le monde.

En mai, Xi Jiping a écrit au personnel du Musée national d’art de Chine, l’exhortant à «continuer de maintenir l’orientation politique correcte, mettre en pratique les valeurs essentielles du socialisme, œuvrer à améliorer la qualité de sa collection, promouvoir l’utilisation de haute qualité des œuvres d’art et offrir de meilleurs services».

Il a appelé le musée à «apporter une contribution encore plus importante à la prospérité et au développement des beaux-arts de la Chine, au renforcement de la confiance dans notre culture et au nouveau rayonnement de la culture socialiste».

En annonçant l’amende infligée au producteur de spectacles, les autorités ont dit espérer qu’«écrivains et artistes (se conformeraient) aux lois et règlements, corrigeraient leur pensée créatrice (et) renforceraient leur culture morale».

«Les limites de l’humour approprié ont toujours été élastiques en Chine, en fonction du climat politique», a estimé Xiaoning Lu, de la SOAS. Vivienne Shue, d’Oxfor, a idiqué qu’avec l’incident de Xiaoguo, une nouvelle ligne a été fixée.

L’Armée populaire de libération doit être considérée comme «sacrée» et ne doit pas être un sujet de plaisanteries, a-t-ellke expliqué à l’AFP. Ces nouvelles limites s’inscrivent dans le prolongement de l’esprit nationaliste que Xi Jinping a personnellement promu depuis son arrivée au pouvoir.

Il a fréquemment fait référence au slogan moqué par Li Haoshi et vanté la force de l’armée dans des campagnes d’information nationales. «En Chine, tout ce qui porte atteinte à la dignité et à la fierté nationale n’est pas anodin», a souligné Sheng Zou, de l’Université baptiste. «C’est là que les intérêts de l’Etat et l’opinion publique se rejoignent le plus souvent».

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