jeudi, avril 18

La Chine, la transition verte et le reste du monde

De Project Syndicate, par Stuart P.M. Mackintosh – Les nouvelles climatiques sont de plus en plus inquiétantes. Dans ce contexte, la Chine a décidé récemment d’accélérer sa transition verte; c’est l’une des rares lueurs d’espoir. Début mars, à l’occasion de l’Assemblée nationale populaire chinoise, le Premier ministre Li Qiang a annoncé l’augmentation des investissements dans les projets d’énergie propre.

Cette décision concerne un « nouveau trio » de secteurs, les panneaux solaires, les véhicules électriques et les batteries au lithium qui est appelé à remplacer « l’ancien trio »(l’habillement, les meubles et les appareils ménagers) pour conduire la croissance économique. Les investissements dans les secteurs ciblés ne suffiront pas à relancer l’économie chinoise, néanmoins l’Occident devrait apprécier cette politique.

La transition verte est déjà bien entamée, la plupart des pays et des entreprises sont bien engagés dans la transition vers les énergies propres. Selon l’Agence internationale de l’énergie, la capacité totale en énergies renouvelables a presque doublé en 2023 pour atteindre 507 gigawatts, le taux de croissance le plus élevé depuis deux décennies. L’UE, les USA et le Brésil notamment ont battu des records en matière de capacité installée. Mais la Chine a fait bien mieux – et de loin – en installant en 2022 autant de panneaux solaires que le reste du monde, et en augmentant sa capacité éolienne de 66% par an.

La décision de la Chine d’augmenter ses dépenses pourrait accélérer encore ce changement historique et contribuer à la réalisation des objectifs climatiques à long terme en rapprochant le moment du pic d’utilisation des combustibles fossiles et en réduisant les émissions de gaz à effet de serre. En outre, elle suggère que les politiques industrielles locales facilitent la décarbonation, plutôt que de l’entraver. Le président Biden a fait entrer le monde dans une nouvelle ère de politique industrielle en adoptant sa loi sur la réduction de l’inflation d’un montant de 800 milliards de dollars qui inclut 391 milliards de dollars de dépenses liées à l’énergie et au climat, et sa loi bipartisane sur les infrastructures d’un montant de 1200 milliards de dollars. Cette stratégie a incité l’UE à décider elle aussi des subventions vertes. Aujourd’hui la Chine s’attaque à ses propres difficultés économiques en consacrant encore plus de ressources à la décarbonation.

Du fait de leur politique industrielle, l’augmentation de l’offre de produits verts à bas prix en provenance de Chine (résultat probable du pari chinois sur les technologies émergentes) ne devrait pas avoir de conséquences majeures aux USA. Leur gouvernement a déjà imposé des droits de douane sur les importations chinoises jugées stratégiques. Alors que leur loi sur la réduction de l’inflation et celle sur les infrastructures suscitent des investissements considérables dans la fabrication et le déploiement de sources d’énergies propres, les USA envisagent de nouvelles mesures protectionnistes pour empêcher la Chine de sous-coter leur marché.

Cette situation est frustrante pour les plus ardents défenseurs du libre-échange, car elle signifie que les panneaux solaires, les véhicules électriques et les batteries chinoises bon marché ne seront pas disponibles de sitôt aux USA. Une victoire de Donald Trump en novembre ne ferait qu’empirer les choses : l’ancien président a proposé un taux de droit de douane à faire frémir: 60% sur toutes les importations chinoises.

La transition énergétique a un prix élevé pour les Américains, mais il vaut la peine d’être payé. En défendant ses industries nationales, le gouvernement américain détournera probablement les produits chinois vers d’autres pays, en particulier vers les pays en développement, ce qui permettra à leurs habitants de se procurer des produits de technologie propre à bas prix. Et surtout, si les pays en développement saisissent cette opportunité, ils pourraient accélérer leur propre transition écologique.

Ainsi le Premier ministre indien Narendra Modi n’a guère de chance en l’état actuel de réussir son pari d’atteindre le Zéro émission nette d’ici 2070, mais il pourrait tirer parti de la montée en puissance de la Chine dans le domaine des technologies vertes. A court terme cela signifie utiliser des produits chinois pour combler les lacunes de l’industrie indienne des énergies propres. Modi devrait également convaincre les entreprises chinoises de construire davantage de centrales de production d’énergie propre en Inde, ce qui faciliterait le transfert de technologies, créerait des emplois et réduirait le coût des technologies vertes.

Les dirigeants africains devraient eux aussi accroître la production d’électricité de leurs pays en utilisant les technologies et produits verts chinois. De même que de nombreux pays africains sont passés directement aux réseaux de téléphonie mobile en sautant l’étape des lignes terrestres, ils doivent privilégier les énergies propres et éviter de développer les combustibles fossiles. Bien qu’il s’agisse certainement d’un défi, une telle stratégie est bien adaptée à un continent qui dispose d’abondantes ressources solaires et éoliennes et qui a besoin de solutions énergétiques distribuées. Par ailleurs, les pays africains qui disposent d’une grande quantité de terres rares devraient collaborer avec les entreprises chinoises pour progresser dans la chaîne de valeur et créer davantage d’emplois.

Chaque fois que les responsables de grandes entreprises et les dirigeants politiques se réunissent lors des conférences sur le climat à Davos, ils répètent à loisir que la transition verte doit être équitable. Il y faudrait 1000 milliards de dollars par an d’investissement dans les pays à revenu faible et moyen – soit une hausse de 700% par rapport au niveau d’investissement actuel. Face au besoin urgent d’un financement plus important, la politique chinoise en matière d’énergies propres pourrait constituer une part importante de la solution.

En fin de compte, il faut que la Chine et les USA (mais aussi l’UE) parviennent à un accord sur ce que constitue le libre échange équitable des biens verts. Mais en attendant, étant donné l’impératif existentiel de parvenir au Zéro émission nette, nous pourrions nous réjouir de la politique d’investissement chinoise, même si nous nous inquiétons de son impact sur l’industrie américaine. Pour l’instant je peux conduire une voiture électrique produite aux USA par Ford ou Tesla, mais j’espère qu’un jour j’aurai la possibilité d’acheter une voiture électrique du constructeur chinois BYD. Dans les deux cas, je contribuerai à une atmosphère moins polluée.

Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz

Stuart P.M. Mackintosh est directeur exécutif du Group of Thirty (Groupe des trente ou G30).

Copyright: Project Syndicate, 2024.
www.project-syndicate.org

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