
De Project Syndicate, par Angela Huyue Zhang – En cas de ralentissement économique, la situation empire souvent avant de s’améliorer. C’est ce que confirme la Chine, après le lancement par le gouvernement fin septembre de son plus important plan de relance depuis la pandémie de COVID-19.
L’annonce du gouvernement a surpris plus d’un, mais les changements politiques brutaux ne sont pas une nouveauté en Chine. La répression réglementaire du secteur Internet en 2021, la fin de la politique « zéro COVID » en 2022 et les modifications des règles de fertilité depuis 2014 ont constitué des revirements tout aussi radicaux.
Dans mon récent livre, High Wire: How China Regulates Big Tech and Governs Its Economy, j’explique que l’élaboration des politiques chinoises présente trois caractéristiques déterminantes : la hiérarchie, la volatilité et la fragilité. Les changements de politique monétaire soudains et radicaux sont rendus possibles par les structures décisionnelles centralisées de la Chine, où la politique est dictée du haut vers le bas (hiérarchie). Les politiques ont tendance à suivre un schéma cyclique, avec des fluctuations souvent brutales entre resserrement et assouplissement (volatilité). Et, même bien intentionnées, elles génèrent souvent des conséquences inattendues, qui peuvent mettre si longtemps à se matérialiser que, lorsque les autorités les comprennent, tout changement de cap entraîne des coûts élevés (fragilité).
La réaction tardive de la Chine face à la menace déflationniste s’inscrit parfaitement dans cette tendance. Bien que les signes avant-coureurs soient visibles depuis plus d’un an, le gouvernement s’est montré réticent à prendre des mesures audacieuses pour relancer la croissance, et ce pour plusieurs raisons (légitimes). Plus particulièrement, les autorités sont parfaitement conscientes de la nécessité de s’éloigner de la dépendance traditionnelle de l’économie à l’investissement immobilier et en infrastructures, pour se tourner vers des sources de croissance plus durables, comme l’innovation dans les hautes technologies.
Le fait que la Chine subisse encore les effets des mesures de relance massives de 2008, notamment l’accumulation excessive de dettes des collectivités locales et des entreprises publiques – une tendance qui a poussé le pays à un seuil critique de risque financier systémique il y a quelques années – n’arrange rien. De plus, les dirigeants chinois craignent qu’une croissance tirée par la consommation n’ouvre la voie à un État-providence, qu’ils jugent gaspilleur et incompatible avec leur vision à long terme d’une Chine en tant que puissance industrielle et technologique autonome.
Ainsi, plutôt que de répondre aux appels à des mesures de relance audacieuses, le gouvernement chinois n’a pris que des mesures modestes pour enrayer le déclin économique. Comme on pouvait s’y attendre, ces mesures n’ont guère contribué à atténuer la menace déflationniste. Parallèlement, les décideurs politiques se sont attachés à maintenir la discipline budgétaire tout en continuant d’investir dans la production, même si cela a exacerbé la surcapacité qui, dans des secteurs comme les panneaux solaires et les véhicules électriques, alimente les tensions commerciales avec le reste du monde.
Aujourd’hui, la Chine est confrontée à une « décennie perdue », à l’instar du Japon, marquée par la déflation et la stagnation. Et plus la déflation persiste, avertissent les économistes, plus il sera coûteux de l’inverser. Heureusement, les dirigeants chinois semblent enfin l’entendre : dans un revirement radical, le gouvernement a pleinement mobilisé ses instruments monétaires et budgétaires pour sauver une économie chancelante.
C’était la bonne décision. Un plan de relance d’envergure est exactement ce dont la Chine a besoin à ce stade. Mais cela n’est pas sans risques. Le marché boursier a réagi à ces mesures de relance par une forte hausse, et les actions ont enregistré leur meilleure semaine depuis 2008. Alors que les investisseurs anticipent de nouvelles mesures budgétaires du gouvernement pour soutenir l’économie, la spéculation va bon train.
On craint désormais que cette injection soudaine de capitaux dans l’économie ne crée des bulles boursières, semant les germes de la prochaine crise financière. Si ce risque se matérialise, les décideurs chinois seront à nouveau confrontés à une gestion de crise comparable au jeu de la taupe : dès qu’une crise est résorbée, une autre surgit.
Pour éviter ce résultat, la Chine doit prendre des mesures pour minimiser les conséquences imprévues de ses interventions politiques, notamment en créant des mécanismes permettant d’obtenir un retour d’information précis et en temps réel, capable de guider les corrections à mi-parcours avant la formation de bulles et l’éclatement de crises. Plus fondamentalement, la Chine doit rompre avec ses habitudes de changements de politique précipités et radicaux, fondés sur des décrets imposés d’en haut, et revenir à l’approche qui lui a si bien servi par le passé : des réformes progressives et progressives, fondées sur une expérimentation politique décentralisée.
Cette expérimentation a marqué les trois premières décennies du processus de réforme du marché en Chine, période durant laquelle l’économie a enregistré année après année une croissance du PIB à deux chiffres. En donnant aux autorités infranationales les moyens de tirer parti des connaissances locales et de tester de nouvelles idées, le gouvernement central a favorisé l’essor de l’innovation politique. Ces dernières années, cependant, le gouvernement central a accru son recours à des décisions radicales et descendantes, au détriment de l’économie.
Des mesures de relance audacieuses pourraient permettre à la Chine de gagner du temps, mais elles ne lui assureront pas une prospérité durable. Pour cela, la Chine doit adopter le type de gouvernance décentralisée qui a permis son essor. Cela implique de restaurer l’autonomie des collectivités locales et d’encourager les initiatives ascendantes permettant aux autorités de tester des solutions adaptées aux spécificités de leurs régions. La question est de savoir si Pékin est prêt à céder un quelconque contrôle dans sa quête d’une plus grande maîtrise à long terme de l’économie.
Angela Huyue Zhang, professeure de droit à l’Université de Californie du Sud, est l’auteur de High Wire : How China Regulates Big Tech and Governs Its Economy (Oxford University Press, 2024) et Chinese Antitrust Exceptionalism : How the Rise of China Challenges Global Regulation (Oxford University Press, 2021).
Droits d’auteur : Project Syndicate, 2024.
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