mardi, avril 23

A la découverte d’Isabelle Hannouche, patronne de Teranga Trade

Par Alhassane Diop, journaliste – La femme africaine, dans la diaspora, a toujours fait l’objet, et de représentations, et d’admirations. De la faatu faatu (1.terme pour désigner les émigrées africaines) à la ménagère, réplique d’une condition sociale fortement ancrée dans la société africaine d’hier comme d’aujourd’hui, ses vertus d’éducatrice et de bienfaitrice ont fait couler beaucoup d’encre au fil des époques.

De cet imaginaire largement partagé, se détache néanmoins une nouvelle version à l’esprit alerte, plus actrice que spectatrice, davantage proactive que réactive et dotée d’une capacité de résilience face aux chocs dont seule cette moitié du ciel sait insuffler l’énergie positive nécessaire. La patronne de Téranga Trade en est une parfaite illustration.

Cette sénégalaise d’origine libano-capverdienne – autant dire un génome de précellence selon la formule consacrée au métissage du second degré -, fait partie de ces rares femmes africaines chef d’entreprise en Chine, qui plus est établie à Shanghai, cette capitale du monde, témoin de success stories comme de flops. Isabelle est belle. Autant dans l’apparent que dans le caché.

C’est sans doute cette dernière qualité qui lui permet d’avoir une vision non étriquée des affaires. Une entrepreneuse sociale dussions-nous dire, avec une ambition qui dépasse clairement le bout du nez, pour parler de manière on ne peut plus euphémique.

Borom Téranga (bienfaiteur) au propre comme au figuré, sa structure Téranga Valley nouvellement créée commence déjà à drainer un monde de jeunes africains venus chercher grâce sur ce terreau réputé fertile quoiqu’incontestablement parsemé d’embûches.

Si le métissage est perçu comme la rencontre entre le jour et la nuit pour produire les deux plus beaux moments de la journée que sont l’aurore et le crépuscule, il est dès lors permis de présager pour cette nana benz (terme consacre pour désigner les femmes d’affaires africaines) version 2.0, une carrière à succès dont l’aurore charrie déjà confiance et maturité, et dont le crépuscule saura enfanter un accomplissement.

Francophone au discours truffé d’anglicismes illustrant sa baignade dans un environnement cosmopolite, elle nous livre sont tricot de la Chinafrique dans les comptes de faits et les contes de fées à venir.

Entretien par Alhassane Diop

Présentez-vous à nos lecteurs s’il vous plaît.

Bonjour Alou. Je vous remercie pour cette interview tout d’abord. Je m’appelle Isabelle Hannouche. Je suis entrepreneuse sénégalaise. Je vis en Chine depuis 2012 et j’ai créé ma boîte Téranga Trade. J’ai découvert la Chine par pur hasard, à l’occasion d’un voyage culturel qui était obligatoire dans le cadre de mon programme de master en gestion des ressources humaines en France. Il faut dire que je n’avais aucune idée de ce à quoi la Chine ressemblait. Etant tellement submergée par mes examens de l’époque, je n’avais même pas pu faire une recherche préalable sur Google pour voir ce à quoi le pays ressemblait. Arrivée à Shanghai, je fus impressionnée car la ville me faisait penser à New York. C’était grandiose avec beaucoup de personnes multilingues, des entrepreneurs par ci avec notamment une certaine effervescence qui me coupait le souffle ! C’est ainsi donc que je pris la décision de revenir pour un stage qui va véritablement confirmer ma passion pour cette dynamique qu’il y a ici, cette ville qui n’a toujours pas changé. D’ailleurs, il faut dire que la ville donne l’impression d’être davantage effervescente et qu’il y a énormément de choses à faire. Je dois dire que je me reconnais bien dans cette ville d’entrepreneurs, multiculturelle et ambitieuse.

 Quelle sensation avez-vous eu à votre arrivée, ne parlant pas un mot de chinois ?

C’était un challenge que j’avais envie de relever et dès le départ je m’y suis mise à fond en achetant un cd contenant les expressions usuelles et tous les jours, je répétais et il faut reconnaitre qu’au début, c’était très difficile parce qu’on n’arrive pas à se faire comprendre. Du coup, tout ce qu’on veut faire devient compliqué à cause de la barrière de la langue. Heureusement que Shanghai est une ville internationale et une fois qu’on prend ses marques, cela devient moins compliqué qu’au début où on a l’impression d’être jeté dans l’inconnu. Lorsque je suis revenue pour travailler et que ma puce ne marchait plus, j’avais dû faire le tour de beaucoup de shops, redoublant d’effort pour pouvoir me faire comprendre. Au début donc, les choses simples sont très compliquées et on a une grosse barrière à l’entrée.

A vous entendre parler, vous êtes donc venue à deux reprises en Chine ?

Je suis plutôt venue trois fois. La première fois, c’était avec la classe de master pour deux semaines. J’ai par la suite décidé de revenir pour un stage de 6 mois. Il faut préciser qu’entre ces deux voyages, il y avait juste un mois de gap durant lequel je m’étais investie pour trouver le stage sans aucune aide. L’ayant obtenu, j’ai préparé mon voyage en m’acquittant des formalités d’obtention de mon visa et c’est ainsi que je revins pour un semestre. A la fin du stage, j’ai adoré et j’avais déjà décidé de revenir. Et c’est ainsi que je revins en janvier 2013.

 Dans quel secteur travailliez-vous ?

Je travaillais dans le secteur de la gestion des ressources humaines car c’est cela mon major. Je dois préciser que j’avais pu me faire des contacts durant mon stage et c’est un de ceux-là qui m’offrit un job de headhunter. J’ai ensuite travaillé en tant qu’Operations HR Manager d’une boite qui faisait de l’outsourcing. Je coordonnais la paye, le recrutement et la consultance. Par la suite, l’entreprise qui m’avait recrutée en stage me fît une offre de General manager. C’est plus tard que j’apprendrais que le propriétaire m’avait choisi sur demande unanime des membres du staff. C’est ainsi donc que j’étais investie d’une mission que deux de mes prédécesseurs n’avaient pu remplir quoiqu’ils étaient plus expérimentés que moi. C’était d’autant plus challenging que je n’avais jamais fait de trade. Je me suis dopée le mental en me disant que voilà une opportunité en or pour me surpasser car si c’était pour faire des choses simples, autant rester en France. Ainsi donc, m’étais-je dite que cela ne me coûtait rien d’essayer.

 Parlez-nous de la transition d’employée à entrepreneuse

Après un an dans cette boîte, je me suis rendue compte que j’arrivais à faire les choses mieux que je le pensais moi-même. Pour moi, malgré le fait de venir en Chine avec l’idée d’ouvrir plus tard ma propre boîte, je me disais que j’avais beaucoup de limites et pas assez d’expérience, c’est-à-dire que je faisais l’économie de toutes ces idées reçues que l’on traine quand on est jeune et qu’on se dit qu’on est incapable d’ouvrir sa propre boîte. L’expérience de la boîte allemande de Trade me permît de me débarrasser de ces clichés, de me sentir prête d’autant plus que j’avais des clients potentiels au Sénégal qui n’arrêtaient pas de me dire d’ouvrir ma boîte afin qu’ils travaillent avec moi. Donc après un an, j’ai enlevé toutes mes peurs et avec un mois de salaire que j’avais en poche, j’ouvris ma boîte.

 Parlez-nous de l’environnement des affaires en Chine

L’environnement des affaires en Chine est très effervescent. C’est le qualificatif qui me vient en tête à chaque fois. C’est-à-dire qu’il y a des opportunités partout. Par contre, ce n’est pas aussi facile de les saisir qu’on le pense. Il faut savoir qu’il y a beaucoup de contraintes liées au contexte et à la manière de les saisir. Je trouve que le plus important pour chaque personne, c’est qu’elle sache identifier un domaine sur lequel se concentrer. Parfois c’est même overwhelming. A trop vouloir faire tellement de choses, on se retrouve à ne rien faire ou bien submergé par tout ce qu’il est possible de faire. Il faut reconnaître que ce n’est pas facile de faire des choix.

 Est-ce facile de travailler avec les chinois ?

Personnellement, je suis très humaniste. Du coup quelle que soit la nationalité de la personne qui est en face de moi, j’adopte une attitude professionnelle qui est pour moi celle qui marche de Shanghai à Dakar. Il faut comprendre qu’en Chine, il y a beaucoup de régions. De ce fait, il peut même arriver que deux chinois de deux régions différentes n’aient pas du tout la même mentalité. Souvent, les gens du nord sont plus stricts alors que ceux du sud sont plus ouverts. Ceci est aussi lié à leurs variantes culturelles car chaque région a son dialecte et donc sa propre variante culturelle même si tout le monde se retrouve autour du mandarin. Je dois à la vérité dire que je ne suis jamais arrivée à répondre clairement à cette question ! (Éclat de rire).

 Autrement, sentez-vous une barrière culturelle entre vous et vos collaborateurs chinois dans l’environnement de travail ?

(Elle réfléchit) Non ! Personnellement non ! Cela peut aussi venir du fait que j’ai toujours travaillé en Chine. Mon premier boulot, c’est en Chine que je l’ai eu. C’est sans doute la raison pour laquelle je trouve que c’est the normal way. Peut-être que je commencerai à voir des différences quand j’irai en France ou que je retournerai au Sénégal. Il faut ajouter que beaucoup de mes collègues parlent assez-bien anglais. Du coup, les seules difficultés que je puisse rencontrer, c’est durant mes business trips par exemple au niveau des usines où je dois m’exprimer en chinois uniquement. Je les ai toujours considérés comme des expériences positives, me permettant de développer mes capacités de communication. Et j’ai pu m’améliorer significativement.

 Est-ce facile de bâtir dans la durée une relation de confiance avec les partenaires chinois ?

(Affirmative !) Oui, complètement ! Je trouve que les chinois sont très honnêtes et dès lors qu’on manifeste la même honnêteté, on peut avoir une relation très durable. Il faut tout de même éviter de jouer au chat et la souris et surtout ne pas être dans une posture d’adversité qui sans doute finit dans la bagarre. Je pense qu’il faut aller dans cette mentalité de win-win comme ils disent. Concrètement, cela signifie par exemple éviter de tout pousser jusqu’aux derniers retranchements pour ensuite se plaindre de la qualité après livraison.

Parlez-nous du cadre légal.

(Elle se redresse !) Alors, pour ouvrir une entreprise, ce n’est pas du tout difficile. Le gouvernement met tout en place pour attirer les talents. Je dirais donc que la Chine est très ouverte dans le domaine de l’entrepreneuriat. Je pense qu’il me serait impossible de réussir en France ce que j’ai pu réussir ici car je n’aurais pas eu les fonds nécessaires là-bas. En revanche, pour faire le business de tous les jours, c’est plus compliqué en Chine qu’ailleurs. Il faut tout le temps aller à la banque, devoir tamponner des millions de papiers. Tout est régulé. Lorsqu’on reçoit par exemple de la monnaie étrangère, il faut aller justifier… Disons qu’il y a une certaine lourdeur administrative. Toutefois, si on est assez patient, on y arrive sans problème, généralement. Pour vous donner un exemple, ce matin, je suis allée à la banque et j’ai dû écrire certains trucs en chinois et passer une heure pour faire une petite opération. A mon avis, cela devrait être revu. En plus lorsque le personnel arrive et se rend compte que je suis étrangère, cela les fait aussi paniquer(rire) parce qu’ils se demandent comment faire avec nous les étrangers ? c’est dû au fait qu’ils n’ont pas trop l’habitude d’avoir des comptes d’entreprises avec un CEO étranger et donc eux-mêmes ont peur de faire des erreurs. Il faut ajouter à cela qu’il y a certains domaines qui ne sont pas faciles d’accès pour les étrangers. C’est le cas du monde des médias et de l’advertising par exemple ou encore le real estate qui nécessite l’obtention de certaines licences. Donc ce genre de barrières peuvent être difficiles à franchir pour un étranger. Mais enfin, il faut bien se renseigner en conséquence pour savoir ce qui est possible et ce qui ne l’est pas.

 Quelles sont les différentes activités de Teranga Trade ?

Nous faisons un service de sourcing. Cela veut dire que nous aidons les entreprises étrangères qui veulent acheter en Chine. Pour cela, nous leur présentons des usines pouvant répondre à leurs demandes. Des fois, nous sommes nous-mêmes le fournisseur des clients sur certaines gammes de produits pour lesquels nous avons une certaine expertise. Nous aidons aussi à faire tout ce qui est quality control c’est-à-dire «checker» la qualité durant la production, avant l’envoi… On aide aussi certains clients à importer leurs produits en Chine. Pour ce faire, nous les dirigeons vers des professionnels pouvant leur faire une étude marketing, les conseiller sur la manière de se positionner sur le marché chinois parce que c’est complètement différent de tout ce qu’on peut imaginer quand on n’a jamais mis ses pieds en Chine. Les habitudes des consommateurs sont différentes et donc il faut vraiment bien étudier la question avant même de commencer à se dire qu’on va vendre en Chine pour ne pas rater son entrée. Ça, c’est une chose que je conseille à mes clients de faire d’abord. Ensuite, on peut les aider techniquement à importer en Chine. Grâce à notre expertise également, on arrive à aider dans la distribution sur le territoire chinois. Je fais aussi du consulting. Par exemple, j’ai aidé des centrales d’achats à harmoniser leurs commandes. C’est-à-dire qu’ayant plusieurs entités dans plusieurs pays, ils ont besoin d’aide pour regrouper leurs commandes, pour acheter, pour faire des économies d’échelle, leur fournissant une stratégie pour bien comprendre quels sont les vrais prix car ce genre de groupes font souvent appel à beaucoup d’intermédiaires et au fur et à mesure, ils perdent le vrai prix et la vraie valeur. Après ils peuvent s’étonner de voir des personnes dans la rue en Afrique vendant moins cher qu’eux. J’aime bien ce genre de projets qui commence car dans la région, il y a de plus en plus d’entreprises qui deviennent globales et cela fait appel à toute mon expertise et toute mon expérience et cela peut aider nos entreprises africaines à grossir pour s’imposer sur les marchés locaux en Afrique de l’ouest.

 Quels sont les chiffres clés de Teranga ?

Tout au long de la vie de Teranga, j’ai toujours eu mes deux sourcing staff, beaucoup de business developer c’est-à-dire des apporteurs d’affaires qui nous aident en Afrique et ailleurs. D’ailleurs j’invite toutes les personnes qui aimeraient travailler avec nous à me contacter. Ce que nous leur proposons, c’est un travail d’équipe. Nous assurons l’achat et le shipping et ils gèrent de leur côté le client. Nous avons aussi des inspecteurs en quality control et ça, ça dépend aussi des projets. Quand on connait bien le terrain chinois, on sait comment faire appel aux bons professionnels pour externaliser certains postes.

 Quelles sont les perspectives de Teranga ?

Teranga veut maintenant s’imposer, en allant au-devant de la distribution, promouvant les produits africains. Nous avons envie de donner des débouchés plus grands à la production africaine. Nous avons aussi envie de donner une image ici en Chine en vendant des produits africains naturels et de qualité. Il s’agit pour nous d’inciter à l’augmentation de la part des exportations africaines en Chine. J’ai aussi des objectifs dans le tourisme car j’aimerais ouvrir les yeux des chinois sur l’Afrique et le Sénégal en particulier. Je me dis que cela permettra d’avoir de meilleures relations commerciales car lorsque les partenaires commerciaux se connaissent mieux, ils peuvent mieux travailler ensemble. Il y a aussi Teranga Valley que je développe avec d’autres sénégalais. C’est une plateforme où les professionnels africains et même de n’importe quelles nationalités, peuvent se joindre pour pouvoir développer des idées créatives et le tourisme en fait partie. Disons qu’on est en train d’essayer de créer un petit mouvement à Shanghai dans l’optique de motiver la jeune génération à pouvoir réussir. Chacun de nous a une expérience intéressante et pouvant aider d’autres africains qui viennent à Shanghai et qui ne disposent pas généralement de toutes les clés en main pour pouvoir réussir. Je pense que Teranga Valley peut être le cadre idéal pour faciliter leur apprentissage car nous, on est passé par le plus dur et dès lors, nos erreurs peuvent leur servir de leçons qu’ils soient entrepreneurs comme étudiants, d’Afrique ou d’ailleurs. Comme vous le savez, les barrières et les préjugés qu’on s’impose à nous-même sont tellement nombreux, et Teranga Valley est là pour participer à les déconstruire, ce qui donnera une meilleure image au Sénégal et à tous les autres pays.

 Pour les importations de produits africains, avez-vous déjà ciblé des secteurs d’activités ?

Oui. C’est tout ce qui est cosmétologie et agro-alimentaire. En plus, je vise aussi des produits manufacturés. Mais nous ne sommes pas fermés à tout autre type de produit. Il y a par exemple le baobab dont les feuilles font d’excellentes crèmes pour la peau et le pain de singe est un fruit pour faire du bon jus. Il y a aussi le bissap. Bref il s’agit de promouvoir des produits venant d’Afrique et ayant des vertus pharmaceutiques énormes et dont le monde consomme beaucoup à travers certains produits, sans s’en rendre compte. Donc il s’agit de remettre en lumière ces produits qui sont africains et dont nous pouvons nous réapproprier.

 Rétrospectivement, quel regard jetez-vous sur l’évolution de l’activité de trading en Chine ?

(Affirmative) C’est une évolution réelle. En revanche, il faut reconnaître qu’avant, il y avait beaucoup plus d’opportunités dans l’export car il y avait plus de besoins d’avoir des personnes sur place qui puisse jouer le rôle d’interprète et d’intermédiaire. Aujourd’hui par contre, les usines chinoises sont habituées à avoir des clients étrangers, ce qui fait qu’elles ont leur département international. Ainsi, les personnes qui veulent <> en Chine ont accès à des usines qui peuvent les aider du début à la fin si ce n’est dans leur propre langue, du moins en Anglais. Disons que le petit trade est en train de mourir. Par contre, il y a plus d’opportunités dans le gros trade parce que les personnes ont peur de payer de grandes sommes d’argent sans une personne de confiance qui se trouve être le trader. C’est le genre de projets où il faut vraiment apporter une valeur ajoutée à savoir aider le client à se diriger lorsqu’il veut faire des produits « sourcer » c’est-à-dire des produits différents des standards. A ce niveau, le client a vraiment besoin d’aide et c’est toute l’utilité du trader. Il faut savoir que dès qu’il s’agit de créer quelque chose qui n’existait pas auparavant, les deux parties peuvent ne pas se comprendre et c’est là que nous, on joue un rôle clé et essentiel en prenant la peine de bien comprendre ce que le client veut et bien le rapporter au constructeur. Cela dépasse le cadre de la communication verbale pour entrer dans celui de la visualisation technique qui nécessite un accompagnement des deux parties jusqu’à l’obtention du résultat escompté. Ça prend certes beaucoup de temps mais ça fait quand même gagner beaucoup d’argent. Même si nous sommes encore indispensables, je pense néanmoins que l’avenir réside dans l’importation vers la Chine où il y a vraiment tout à faire, comme au début du trade.

 Ressentez-vous l’inflation de l’économie chinoise dans votre activité ?

Ce problème a toujours existé, depuis mes débuts. Il est arrivé que des clients qui me faisaient des commandes à une période se retournent l’année suivante vers l’Europe où ce produit est moins cher par exemple. A cela, il faut ajouter que les délais de livraison en Europe sont plus rapides. Il y a toujours eu ce problème et c’est ce qui fait que ce genre de trade est appelé à disparaitre comme je l’ai dit plus haut. Si les quantités sont énormes, on peut vraiment jouer sur les prix. Par contre si les quantités sont trop petites, nos prix ne sont plus concurrentiels par rapport à l’Europe. Mais d’une manière globale, les prix en Chine restent compétitifs pour tout le monde et le prix du transport joue beaucoup.

 Quelles analyses faites-vous des relations entre la Chine et l’Afrique ?

Pour moi, nous sommes in a honey moon (éclat de rire). Disons qu’on essaie de mieux se connaitre pour mieux se marier (grand éclat de rire). Je pense que c’est au top, au zénith (expression de passion du faciès). Avec la signature du One-belt one-road avec le Sénégal, les relations arrivent au firmament. Disons qu’on vient de renouveler nos vœux. On s’engage vraiment à commencer la vie en commun (ton enthousiaste) si j’ose faire ce parallèle. Maintenant, la difficulté, c’est de comprendre quels sont les avantages et les saisir et comment faire pour aider que cette relation Chine-Afrique aille de l’avant et qu’on puisse être autant win-win et que vraiment, nous les africains puissions en bénéficier parce que c’est cela la barrière entre nous et le succès. En d’autres termes, il nous faut savoir identifier les opportunités et pouvoir les saisir afin que notre génération puisse bénéficier de ce moment exceptionnel de l’histoire de l’Afrique.

 S’agit-il d’une relation équilibrée ?

Pour moi, oui. C’est assez équilibré, non pas dans le sens économique des chiffres, mais par rapport surtout à la relation de pouvoir. La Chine, signe des accords et fait des pourparlers notamment les accords Belt & road. Donc là, on rentre dans le jeu. Et elle, elle essaye de comprendre chaque interlocuteur et de venir par exemple au Sénégal pour signer l’accord. Pour moi, il y a vraiment une entente qu’on est en train d’essayer de mettre en place. Il faut également ajouter que c’est trop tôt de donner des conclusions car on est en train de créer des opportunités. Cela veut dire qu’elles ne sont pas encore là. Donc, par rapport à quoi sommes-nous en train de juger que c’est équilibré ou pas ? Attendons de juger sur pièce. Je pense qu’on a beaucoup à apprendre du grand frère chinois. Quand on voit Shanghai 25 ans auparavant où il n’y avait pratiquement rien et aujourd’hui, c’est vraiment étonnant. C’est ce genre de choses qu’on aimerait avoir à Dakar par exemple. Il nous faut aller vers ce développement économique. A travers cette relation donc, nous devons apprendre à devenir indépendant.

 Le Sénégal est désigné comme le prochain organisateur du FOCAC. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

C’est une preuve de plus que la lune de miel se passe bien (éclat de rire). C’est vraiment une grande opportunité pour le Sénégal de montrer sa position. Nous sommes un grand port, un carrefour des civilisations si j’ose dire. Donc nous réunissons beaucoup de gens de plusieurs nationalités. Nous sommes très tolérants. Nous sommes le pays de la Teranga. Nous sommes un peu la Suisse d’Afrique. Donc c’est vraiment l’occasion pour nous de s’imposer en tant que plateforme incontournable pour l’Afrique de l’Ouest pour tout acteur sérieux, voulant venir et investir en Afrique notamment la Chine. Ce sera l’occasion de montrer à tous ces investisseurs chinois qu’ici au Sénégal, c’est un bon pied à terre pour commencer leur expansion dans le reste de l’Afrique. Il s’agira de les rassurer, de leur donner envie d’investir, de croire en nous et d’investir dans nos projets afin que nous puissions ensemble nous développer de manière équilibrée, je l’espère !

 Comment trouvez-vous la communauté africaine établie en Chine ?

Habitant à Shanghai, je connais plus la communauté africaine y résidant. Et d’après ce que je vois, elle est principalement étudiante. Je trouve qu’il y a un certain dynamisme avec beaucoup parmi eux qui parlent chinois, anglais, français et c’est amazing ! Mais j’entends beaucoup se plaindre de ne pas avoir d’opportunités lorsqu’ils rentrent au pays. Cela me choque. Je me demande comment peut-on avoir autant de qualités certifiées avec des diplômes et ne pouvoir trouver un boulot décent ? J’aimerais bien aider autant que je pourrais car mon background c’est RH. Donc ces problématiques m’intéressent bien. Il s’agira de réunir sur une même plateforme tous ces étudiants sénégalais et africains excellent et dont l’avenir ne fait pas de doute, et les chinois et africains qui pourraient avoir besoin d’eux, en tant qu’acteurs de cette Chinafrique qui va fleurir. Je pense que notre jeunesse a vraiment besoin de trouver les postes qui vont nous permettre de montrer tout notre potentiel.

 Avez-vous des recommandations à faire à cette communauté ?

Il va nous falloir travailler plus ensemble. Des fois il y a des gens qui sont très isolés. Ceux-là viennent étudier mais ne partagent pas leurs idées et je remarque que tout le monde a de grandes idées. Tout le monde voudrait aider afin que l’Afrique soit plus dynamique et qu’on ait plus d’opportunités mais on n’en parle pas entre nous. On n’essaye pas de créer des choses ensemble, de dynamiser tout cela pour ensuite le concrétiser. Au final, ces personnes auront leurs diplômes, rentreront, et enfouiront leurs rêves. Dans ces échanges, les anciens ont un rôle à jouer car il faut que les nouveaux puissent capitaliser leurs expériences.

 Vous êtes également libanaise & capverdienne, bénéficiez-vous de ce réseau dans votre travail ?

Pour moi, avoir un client libanais, capverdien ou sénégalais, c’est pareil. A mon avis, un libanais qui naît et grandit au Sénégal est sénégalais. Je ne fais pas de distinctions dans ce sens. Née au Sénégal d’une mère cap-verdienne et d’un père d’origine libanaise fait certes que j’ai naturellement des clients de tous horizons. Mais j’ai également des clients Allemands, français, australiens, américains… Vous savez, en Afrique c’est très concurrentiel. Les gens ne veulent vraiment pas qu’on rentre dans leur business tant que ça réussit. Et c’est ça qui est triste parce qu’il y a beaucoup de barrières pour nous les jeunes, de rentrer dans certains domaines de l’économie. Et je ne pense pas que cela a quelque chose à voir avec les origines. En ce qui me concerne, je ne cherche pas à m’établir dans une communauté. J’essaye de toucher celui qui a besoin de mes services et que je peux aider. Par ailleurs, s’il y a une chose que j’ai remarquée, c’est qu’ici en Chine, on ne me pose jamais ce genre de questions. C’est toujours les journalistes en France ou en Afrique qui me les posent. En Chine, on juge par la compétence et c’est ce que j’aime. Figurez-vous que je n’avais que 25 ans quand j’arrivais. Mais on n’a pas hésité à me donner des responsabilités non pas parce que je venais d’une certaine communauté mais parce que j’avais fait mes preuves. Une fois, un journaliste m’avait posé cette question : « alors vous êtes africaine, vous êtes une femme, vous avez moins de 30 ans, donc comment faites-vous ? » Pour lui toutes ces choses constituaient la tare du siècle quoi ! Je lui ai tout bonnement dit qu’au contraire, ce ne sont que des atouts. Je suis jeune, je viens du Sénégal, en Afrique, un pays magnifique. Pour moi ce ne sont que des atouts. Et chaque personne doit identifier ses barrières mentales, savoir les franchir, comprendre ce qu’elle veut et aller dans ce sens. C’est tout !

 Quels sont les secrets de votre succès ?

Ecoutez, on n’en est pas encore à la fin ! (Éclat de rire) Je dirais qu’il faut toujours être prêt de repartir à zéro, ne pas penser qu’on va toujours réussir du premier coup et que si on n’a pas réussi du premier coup, c’est qu’on ne peut pas. Il faut perpétuellement avoir envie d’apprendre et essayer chaque année un tant soit peu d’améliorer son chinois, son anglais, en résumé, faire ce qu’on appelle un self development. Il faut identifier où est-ce qu’on veut aller et ce qu’il nous faut pour y arriver… en gros, essayer de repousser ses limites perçues.

 Quel est votre mot de la fin ?

Je pense qu’on est vraiment dans une période extraordinaire pour les relations Chine-Afrique. Mais surtout pour l’Afrique aussi qui, aujourd’hui, grâce à tous ses ressortissants, qu’ils soient à l’étranger ou en Afrique, commencent à vouloir « shiner », à vouloir montrer les couleurs, ce qui fait que de nos jours on prête plus d’attention à l’Afrique et tous ces potentiels sont là pour éclore et je suis ravie de faire partie de cette génération qui va éclore par son travail.