dimanche, février 18

Chine : si l’économie ralentit, comment va réagir la population ?

De Project Syndicate, par Barry Eichengreen – Depuis plus de 10 ans, la Chine représente plus du quart de la croissance économique mondiale. Mais son économie traverse une passe difficile ; dans ces conditions, pourra-t-elle rester sur sa même trajectoire de haute performance ?

Les Cassandre prédisent un ralentissement de sa croissance et soulignent qu’elle risque de tomber dans le piège du revenu intermédiaire. Selon eux, maintenant que la Chine n’est plus un pays pauvre, son taux de croissance va chuter – comme cela s’est produit dans d’autres pays qui ont atteint le même niveau de revenu. Il est alors plus difficile de maintenir la croissance, car elle ne peut plus reposer sur la simple accumulation du capital. Elle doit reposer sur l’innovation, ce qui n’est pas facile dans un pays dont l’économie est encore entre les mains du pouvoir central.

Il faut aussi prendre en compte le surendettement des entreprises. Une baisse de leur bénéfice pourrait rendre la situation de beaucoup d’entre elles insoutenable. Que cela se traduise par des défauts de payement en cascade ou une flambée de faillites à laquelle l’Etat devra faire face, il en résultera un affaiblissement du pays sur le plan financier, et une baisse de la confiance des investisseurs.

S’ajoute à cela le vieillissement de la population qui va exiger de réduire le budget consacré à l’industrie au profit des services sociaux. Dans la mesure où la productivité de ces services n’est généralement pas très élevée, cela entraînera un ralentissement de la croissance.

Enfin, on ne peut exclure le risque d’une véritable guerre commerciale avec les USA. On parle beaucoup d’un premier accord entre les deux pays. Pourtant nous savons une chose sur le président Trump : c’est l’homme des taxes douanières. Face au risque croissant de destitution, il va chercher à détourner l’attention. Comme tout autocrate confronté à une opposition, il va chercher à unir autour de lui en désignant un adversaire extérieur. Autrement dit, s’il était signé, il ne faut pas trop compter sur la viabilité d’un premier accord.

Mais on peut imaginer un scénario beaucoup plus inquiétant : un soulèvement populaire en Chine. Les sceptiques pensent que des manifestations de grande ampleur contre le régime sont improbables. Le niveau de vie continue à monter sous la houlette du Politburo, et son appareil sécuritaire est impressionnant.

Regardons ce qui se passe ailleurs. En France, motivés initialement par une hausse de la taxation du diesel, les gilets jaunes ont rapidement pointé ce qu’ils perçoivent comme un manque d’opportunités économiques. En Equateur, les manifestations contre l’austérité traduisent plus fondamentalement l’opposition au gouvernement du président Lenin Moreno. Les étudiants, les syndicats et la population indigène le critiquent pour avoir perdu le contact avec la population. Au Chili, c’est l’augmentation du prix du ticket de métro qui a mis le feu aux poudres, mais les manifestants ont rapidement dénoncé les inégalités, les insuffisances du système éducatif et du régime des retraites. A Hong Kong les interférences de la Chine ont alimenté des manifestations qui visent maintenant le coût prohibitif du logement.

Toutes ces manifestations sont dues à des attentes grandissantes. Elles ne visent pas tant la détérioration de la qualité de vie que les promesses non tenues de l’Etat.

Elles sont spontanées, leur détonateur est un problème d’apparence secondaire, comme la hausse du prix du diesel ou du ticket de métro. Il s’agit apparemment de petites choses, mais elles symbolisent le mépris, voire l’ignorance à l’égard des préoccupations de la population. Ces mouvements font alors tache d’huile et le spectre des revendications s’élargit. Ils n’ont pas de meneur et s’appuient sur les réseaux sociaux, ce qui fait qu’il est d’autant plus difficile de les étouffer. Mais leur évolution, parfois violente, est imprévisible.

En Chine continentale, autant que le permettent les médias officiels et la censure du pouvoir sur Internet, la population suit de près la situation à Hong Kong. Une partie des Chinois considèrent que ce qui s’y passe est un affront à leur pays, mais d’autres voient les choses autrement. Une étude récente montre que ceux qui ont été témoins directs des manifestations participent plus facilement à des discussions en ligne sur des questions politiques controversées.

Or les Chinois eux-mêmes ont des sujets de mécontentement. Ils se plaignent des inégalités régionales, notamment dans les provinces pauvres de l’ouest du pays. S’ils cultivent un terrain proche d’habitations urbaines ils s’inquiètent de leurs droits de propriété. Les récents diplômés de l’université qui ne parviennent pas à trouver un emploi correspondant à leur qualification et en sont réduits à vivre entassés dans des taudis (on les appelle « la tribu des fourmis ») sont manifestement inquiets pour leur avenir.

Et surtout il y a la préoccupation assez générale du coût du logement, notamment dans les villes de première catégorie. A Hong Kong le prix d’un appartement de qualité représente 49 années de salaire moyen. Il est de 30 ans pour la Chine, pas très loin derrière, qui se classe cinquième parmi les 95 pays pour lesquels on dispose des données voulues.

La population s’inquiète aussi de la qualité des soins médicaux et des autres services sociaux. Si le revenu par habitant augmente rapidement dans l’empire du Milieu, son taux de mortalité infantile a de quoi faire frémir : il se classe au 122° rang mondial.

Si des troubles éclataient, les investisseurs étrangers prendraient rapidement la fuite vers des pays plus sûrs. Les autorités devront alors renforcer le contrôle des capitaux et suspendre leur projet d’ouverture financière et leur rêve d’internationalisation du yuan.

Mais c’est surtout la croissance du PIB chinois qui en souffrirait. Si l’économie est affaiblie, les attentes de la population seront déçues. Dans ces conditions, le régime conservera-t-il le soutient de la population ?

Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz

Barry Eichengreen est professeur à l’université de Californie à Berkeley. Son dernier livre s’intitule The Populist Temptation: Economic Grievance and Political Reaction in the Modern Era [La tentation populiste : souffrance économique et réaction politique à l’ère moderne].


Les opinions exprimées dans la présente publication sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions ou les vues de Chine-Magazine