vendredi, mars 15

En Chine, la violence personnelle et la violence politique sont liées pour Natalia Antonova

Par Natalia Antonova, écrivaine, journaliste et experte en sécurité en ligne basée à Washington – Pendant des décennies, la violence domestique a été considérée même par les militants politiques et les critiques du gouvernement chinois comme une affaire personnelle, très éloignée des hautes et puissantes machinations de l’État.

La plupart des écrivains et intellectuels, qui sont des hommes, état impatient d’étudier l’impact du Laogai (goulag chinois) ou de la Révolution culturelle et n’avaient donc pas d’espace pour réfléchir à la vie familiale ordinaire, notamment la vie des femmes.

Intimité violente : harmonie familiale, stabilité de l’État et violence entre partenaires intimes dans la Chine post-socialiste

Dans son ouvrage, « Violent Intimacy: Family Harmony, State Stability, and Intimate Partner Violence in Post-Socialist China« , l’anthropologue Tiantian Zheng montre comment la paranoïa du gouvernement face à toute instabilité politique potentielle signifie qu’il met l’accent sur l’image d’une harmonie familiale. Les hommes divorcés, ou célibataires, sont perçus comme un élément déstabilisant, tout comme les mères célibataires.

Dans la pratique, cela signifie que les victimes de violence domestique sont massivement privées de leurs droits : droit de divorcer d’un homme violent, droit de signaler un crime violent commis par un partenaire, droit de se séparer… Le seul droit auquel elles ont droit c’est le silence.

De nombreux exemples sont proposés dans le livre, a expliqué Natalia Antonova. Elle cite le cas en 2017 d’une femme de la région du Guangxi qui s’est vu refuser le divorce après que son mari qui la battait durant des années, lui mette un couteau dans le cou devant leur enfant. Dans de tels cas, les juges qui rejettent les demandes de divorce sont loués et non critiqués. Ainsi, le juge du Guangxi a été salué car il avait « sauvé un mariage« .

Aujourd’hui, les campagnes pour le mariage et la natalité fleurissent dans tout le pays. Le but est d’inciter les gens à se marrier, à le rester et surtout à faire des enfants, pour le bien de la partie.

Les femmes absorbent la rage des hommes soumit au système

Les destins de la femme et de l’enfant sont inconnus et sans importance dans la quête politique de l’harmonie chinoise. Dans un tel contexte, les femmes, premières victimes de la violence domestique, sont devenue « une barrière, absorbant la rage impuissante des hommes afin qu’ils ne tournent pas cette rage vers la société et l’État« , a écrit Natalia Antonova dans un article publié par Foreign Policy.

Tiantian Zheng a utilisé les témoignages des victimes et des agresseurs, ainsi que des documents judiciaires et d’autres documents pour retracer des récits de vie et surtout montrer avec transparence les verdicts des tribunaux, mis en ligne dans les années 2010. Ces verdicts sont maintenant systématiquement retirés du libre accès par l’État chinois, en raison des recherches et études faites sur le sujet.

Dans « Violent Intimacy: Family Harmony, State Stability, and Intimate Partner Violence in Post-Socialist China« , l’État chinois moderne apparaît comme « un appareil cynique et rapace », faisant semblant de protéger les femmes « sous la forme d’organisations, telles que la Fédération des femmes de toute la Chine, qui, dans la pratique, exhorte les femmes à rester avec leurs agresseurs« .

« La famille est considérée comme la pierre angulaire de l’État, et si des femmes doivent être blessées ou tuées à son service, c’est un sacrifice que les bureaucrates chinois sont prêts à faire », a assuré Natalia Antonova. D’ailleurs, il n’y a actuellement aucune femme dans les 25 membres du Politburo du Parti Communiste chinois mit en place en 2023, et seules six femmes en ont été membres depuis sa fondation.

Tiantian Zheng a expliqué comment les problèmes individuels, de la toxicomanie à l’insécurité personnelle et financière, créent un environnement abusif à la maison. De fait, « l’échec à la fois d’éradiquer et de prévenir les abus est un problème systémique ».

Tiantian Zheng a évoqué « les échecs du système en les juxtaposant avec des récits viscéraux de première main et de seconde main de la violence dans son récit – les perceptions historiques de la féminité et le manque de volonté politique vont de pair avec des passages à tabac horribles, viols, torture des sessions et des meurtres couplés à une inaction policière épouvantable. C’est une lecture lourde, mais le style anthropologique impartial de Zheng empêche le texte de dévier vers la prurit ».

Selon les statistiques officielles du gouvernement citées par Tiantian Zheng, le taux de violence domestique a augmenté de 25,4% en Chine depuis les années 1980, touchant principalement 35,7% des femmes chinoises. Tiantian Zheng a indiqué que « le gouvernement chinois n’est ‘pas toujours fiable’ en matière de statistiques, et les chiffres réels pourraient potentiellement être beaucoup plus élevés ».

Tiantian Zheng a évoqué les changements de manière mesurée, car la transition économique de la Chine en est probablement la cause. « Au cours de ces dernières décennies, le gouvernement chinois a encouragé les femmes à sacrifier leur carrière et à être licenciées en premier, devenant ainsi plus dépendantes et vulnérables financièrement. Il est également possible qu’à mesure que les gens sont plus conscients du problème de la violence domestique, ils soient plus susceptibles de le signaler », a écrit Natalia Antonova.

D’après le China Daily, citant des chiffres publié en 2021 par la Fédération des femmes chinoises, près de 40% d’entre elles, mariées ou ayant un partenaire, ont fait l’objet de violences physiques ou sexuelles.

Tiantian Zheng a pointé du doigt l’ancienne pensée confucéenne qui a été ressuscitée dès 2012 par les dirigeants chinois modernes, afin d’aller vers un retour aux valeurs traditionnelles chinoises, contrecarrant ainsi l’évolution de la pensée occidentale dans la société chinoise ces dernières années.

Aujourd’hui, le président chinois Xi Jinping fait l’éloge de « l’harmonie famille-État’ et exhorte les femmes à la maintenir à tout prix, tout en s’efforçant d’être ‘des épouses dévouées et des mères vertueuses' ».

L’anthropologue atteste que cette stratégie est loin de celle des débuts du Parti Communiste Chinois, car, « Mao Zedong n’aurait jamais fait une déclaration louant implicitement le confucianisme et plaidant pour un statut inférieur des femmes ».

Les hommes se défoulent sur les femmes pour faire face au système

Tiantian Zheng a donné les raisons des hommes chinois pour la violence domestique dans son ouvrage. Ces derniers attestent que « Comment un homme peut-il prendre le dessus dans une querelle avec une femme ? … Elle devrait se taire; sinon elle se fera battre ».

Tout est une question de contrôle de la part de l’homme. Donc, « pour un agresseur qui vit sous un système autoritaire, la liberté de détruire un autre être humain – tant qu’elle est une femme et vit sous le même toit – peut sembler presque enivrante, une chance de se venger de tous les torts perçus et réels. Il ne peut pas exprimer sa rage contre un système de contrôle qui l’émascule, mais il est autorisé à avoir un exutoire à l’intérieur de son domicile conjugal« .

Lors des conversations entre l’anthropologue et les agresseurs masculins, « ils se présentent comme infantiles et totalement incontrôlables« . Ainsi, Natalia Antonova cite un expert en psychologie chinoise qui a exhorté les femmes battues à considérer que « même si le mari sait qu’il est mal de battre sa femme, il ne peut pas se contrôler« .

« Tant que la violence se produit au sein du foyer ou dans les limites d’une relation, elle ne menace pas le modèle d’harmonie familiale que le gouvernement chinois poursuit. Au contraire, dans cette compréhension perverse de l’harmonie, la violence renforce la paix, en s’assurant que la femme reste entièrement soumise », a assuré l’écrivaine américano-ukrainienne.

Natalia Antonova explique que « ce n’est pas seulement l’idéologie familiale qui maintient le système du côté de l’agresseur. En ce sens, la violence contre une femme est un exutoire commode présenté à un homme en colère par un appareil étatique autoritaire ». Selon elle, « la violence autoritaire est simplement de la violence domestique à grande échelle ».

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