vendredi, mars 29

Réaction mitigée des journalistes à l’immixtion chinoise dans les médias ivoiriens

La présence chinoise en Afrique dans de nombreux domaines d’activité dont celui des médias est réelle. Le continent noir est également intéressé par ce pays en développement doté d’un modèle de croissance performant.  Les grands dirigeants africains y voient une opportunité d’en tirer des enseignements. Des accords de partenariat signés ici et là, entre responsables gouvernementaux ou médiatiques africains et chinois.

En Côte d’Ivoire, en dehors des relations traditionnelles de coopération  bilatérale, la Chine a décidé de marquer sa présence dans le secteur des médias pour qu’ils véhiculent une bonne image de cette grande puissance économique mondiale. Cette percée médiatique chinoise est diversement commentée par les journalistes ivoiriens.

La Chine, un modèle de développement à propager en Afrique

La plupart des journalistes ivoiriens apprécient favorablement et partagent l’attitude de la Chine dans sa quête de popularité et de propagande quis consiste à en demander aux médias africains notamment ivoiriens de véhiculer la bonne image de ce grand pays développé. Les journalistes pensent que la Chine  est un ‘’modèle de développement à propager’ en Afrique noire.

C’est ce que soutient le journaliste Elysée Lath, du Service Economie du quotidien indépendant Soir’Info en des termes bien choisis.

« Je salue toutes les initiatives de la Chine visant à intéresser les médias ivoiriens et ceux des autres pays africains à la découverte de toutes les facettes de ce géant mondial pour mieux communiquer sur son image à travers ses réalisations en Côte d’Ivoire et ailleurs en Afrique« , affirme-t-il.

Selon lui, à l’instar des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne et la France, le continent chinois, dans sa politique d’ouverture au monde et sa stratégie de positionnement aux plans, diplomatique, économique, commercial et culturel, a besoin de collaborer avec les médias africains pour se faire connaître davantage.

« La Chine a un modèle de développement à revendre à l’Afrique dont elle est un partenaire privilégié. Pour ce faire, elle ne doit pas ignorer l’impact des médias du Tiers-Monde », estime-t-il.

Assis au Desk central, devant un ordinateur, le rédacteur en chef chargé des bureaux régionaux de l’Agence ivoirienne de presse (AIP) Kouassi Assouman, jette d’abord un regard attentif aux papiers de ses correspondants permanents et pigistes avant de réagir. A l’attitude chinoise

Certes, il ne dit pas le contraire en soulignant que « la couverture des protocoles d’accords bilatéraux est assurée convenablement par les médias ivoiriens et les informations qui en découlent sont également bien relayées », mais il relève tout de même que « cela ne suffit pas, pour une véritable percée » de la Chine en Côte d’Ivoire voire en Afrique.

« Les signatures d’accords de coopération entre ces deux pays sont relayées à profusion par les médias ivoiriens. Toutefois,  j’estime que la Chine n’assure pas une veille stratégique en matière de gestion d’informations au regard de son ambition d’opérer une réelle percée en Afrique en général et en Côte d’Ivoire particulièrement », déplore-t-il, aisément.

Pour lui, cette veille stratégique devrait se matérialiser par une politique de communication cohérente en fonction des ambitions de la Chine en Côte d’Ivoire en s’appuyant sur de nombreux médias et non une poignée triée sur le volet.

« Cette politique de communication doit prendre en compte les secteurs respectifs d’activités dans lesquels la Chine veut assurer sa présence et son influence en Côte d’Ivoire. Mieux, la Chine pourrait choisir tous les médias du pays qui interviennent dans ces domaines d’activités pour l’accompagner dans le véhicule des actions qu’elle poserait », recommande-t-il.

De son côté, David Youant, journaliste, Directeur général du site d’informations Alerte Infos et président du Réseau des professionnels de la presse en ligne de Côte d’Ivoire (REPPRELCI)), trouve que l’offensive chinoise dans le secteur des médias en Afrique, plus particulièrement en Côte d’Ivoire arrive un peu tardivement.

« Cette offensive des autorités chinoise ne leur permettra pas à moyen terme de combler le gap avec certains pays occidentaux qui ont très vite compris la nécessité de dominer l’espace médiatique ivoirien. De plus, d’un point de vue de la forme, je trouve cette offensive assez faible d’autant plus qu’il y a une barrière linguistique à combler également », argumente-t-il.

Cependant, poursuit-il, « s’il s’agit d’une politique à long terme, les autorités chinoises pourront espérer un effet d’ici les deux prochaines décennies, s’il n’y a pas de rupture et si elles ne se limitent à pas faire voyager une dizaine de journalistes chaque année dans leur pays ».    

La présence chinoise dans les médias ivoiriens dénoncée par des journalistes

Si la majorité des journalistes ivoiriens sont pour la présence chinoise dans les médias du pays, il y en a une poignée qui voient cette percée comme une ‘’intrusion pure et dure’’ et crient à la ‘’manipulation et la corruption’’. Tony Nahounoux, journaliste freelance, spécialisé en économie et ancien rédacteur en chef de l’hebdomadaire ivoirien le Nouveau Navire, est l’un de ces opposants à la cause chinoise en Afrique.

Pour lui, la présence de la Chine dans les médias ivoiriens est synonyme de ‘’manipulation et corruption’’ des rédactions présélectionnées dont la plupart ont en partage les difficultés de financement et de mise à niveau du personnel.

‘’Le principe du factuel enseigné dans les écoles de journalisme à Abidjan, Paris, Lille ou ailleurs ne souffre d’aucun doute. Sauf que dans le cas chinois, la contrepartie  du renforcement des capacités des journalistes ivoiriens intègre un volet qui consacre la rétention des sujets qui fâchent. Il s’agit bien entendu de communiquer et de rendre beau ce qui est vilain. En un mot, les journalistes ivoiriens doivent chanter le nom de celui dont ils mangent le pain’’, ironise-t-il.

Comme si cela ne suffisait pas, il va plus loin en indiquant que la ‘’formation par la Chine des journalistes ivoiriens en Chine est au profit de la chine’’ dans la mesure où selon lui, c’est une ‘’stratégie de communication pour conquérir des marchés commerciaux et consolider les acquis économiques’’ en Côte d’Ivoire.

‘’Des journalistes ivoiriens triés sur le volet et formés en Chine tous frais payés par le pays hôte, ne s’apparente moins à une opération de communication si l’incitation des médias ivoiriens à véhiculer une image reluisante de la deuxième puissance mondiale en est l’objectif clairement dicté aux bénéficiaires de la formation. Les Chinois oublient que l’impartialité des journalistes est comme la prunelle des yeux. D’où le convoyage des journalistes d’Abidjan à Beijing pour les manipuler’’, analyse-t-il, l’air serein.

Du 9 au 29 août dernier, 24 journalistes ivoiriens avaient participé à un séminaire de renforcement des capacités sur la pratique et les techniques de développement des médias de Chine. Auparavant, d’autres confrères ivoiriens avaient bénéficié de séminaires de recyclage initiés par les autorités chinoises.

L’Agence ivoirienne de presse (AIP), les quotidiens Fraternité Matin, L’Inter, Soir’Info, l’Intelligent d’Abidjan et le Nouveau Réveil ainsi que le site d’informations Abidjan.net sont concernés par les accords de partenariat médiatiques sino-ivoiriens sur la cinquantaine de principaux médias du pays. Depuis mars 1983, la Chine et la Côte d’Ivoire entretiennent des Relations diplomatiques, rappelle-t-on.