vendredi, avril 5

Un sommet Biden-Xi plus fructueux ?

Par Stephen S. Roach – Tous les yeux se tournent sur la prochaine réunion de la Coopération économique pour l’Asie-Pacifique (APEC), qui se tiendra à San Francisco du 11 au 17 novembre. Et non sans raison : il est raisonnablement possible que le président des États-Unis, Joe Biden, et le président chinois, Xi Jinping, s’y rencontrent, en marge de cet événement régional, un an exactement après leur dernier sommet, à Bali, à la veille de la réunion du G20.

De la rencontre de Bali sont sorties peu de choses. Si Biden et Xi se sont accordés sur la nécessité de fixer un « plancher » à la détérioration de la relation sino-américaine, les conséquences en ont été pour le moins fluctuantes. Moins de trois mois après le sommet de Bali, les États-Unis abattaient un ballon de surveillance chinois, dont résultèrent un gel temporaire du dialogue diplomatique, des sanctions supplémentaires visant les technologies chinoises et plusieurs prises à partie entre les deux premières puissances militaires de la planète. Pendant ce temps, le Congrès des États-Unis faisait monter la température sur la question de Taïwan et Xi accusait les États-Unis de mettre en œuvre un « endiguement tous azimuts ». Plancher atteint !

Un nouveau sommet Biden-Xi pourrait signifier une seconde chance, et l’on en a bien besoin. Les deux parties semblent s’être mises à travailler sérieusement. À la différence de la réunion de Bali, le sommet de San Francisco doit être correctement réglé pour déboucher sur un succès. Étant donné le piètre état de la relation sino-américaine, et si l’on considère en outre que notre monde, secoué par la guerre, a plus que jamais besoin qu’on lui montre une voie, trois objectifs principaux s’imposent.

Le premier, ce sont des résultats. Nonobstant l’aversion révisionniste de l’Amérique au dialogue avec la Chine – puisqu’on y attribue maintenant le conflit actuel aux décennies d’« apaisement » inaugurées par l’intégration de Pékin à l’Organisation mondiale du commerce, en 2001 – il est devenu indispensable de trouver un terrain d’entente sur lequel puisse se rétablir un dialogue constructif.

C’est moins sur des formules – le « plancher » de l’an dernier, l’« atténuation des risques » (derisking) de cette année – qu’il faut cette fois se pencher, mais bien sur des objectifs clairement définis qu’il soit raisonnablement possible d’atteindre. Une telle approche pourrait passer par la réouverture de consulats aujourd’hui fermés (le consulat américain de Chengdu ou le consulat chinois de Houston), par l’assouplissement des conditions d’obtention des visas, l’augmentation de la fréquence des liaisons aériennes (seulement vingt-quatre liaisons hebdomadaires actuellement contre cent cinquante avant la pandémie de Covid-19) et sur la reprise des mobilités étudiantes entre les deux pays (par exemple du programme Fulbright ).

L’amélioration des liens personnels – qui est à portée des deux présidents s’ils croient sérieusement à la reprise du dialogue – est souvent un bon moyen de faire baisser le niveau d’animosité politique. En s’accordant sur les points les moins controversés, Biden et Xi pourraient ouvrir la porte à des pourparlers sur les contentieux plus graves, par exemple sur l’assouplissement des restrictions pesant sur les ONG, ce ciment qui tient ensemble les sociétés, ou sur le traitement de la crise du fentanyl, dans laquelle les deux pays jouent un rôle essentiel.

Mais le premier des résultats auxquels il faudrait parvenir, et de toute urgence, c’est la reprise des communications régulières entre les deux armées, que les Chinois ont suspendues après la visite de Nancy Pelosi, alors présidente de la Chambre des représentants, à Taïwan, en août 2022. Le danger que pose la rupture des contacts entre militaires s’est montré dans toute son évidence lors de l’imbroglio du ballon au début du mois de février, mais aussi dans une collision évitée de peu entre deux navires de guerre dans le détroit de Taïwan et lors de la manœuvre imprudente d’un chasseur chinois autour d’un avion de reconnaissance américain au-dessus de la mer du Chine méridionale. L’escalade de l’incommunication entre les deux forces armées accroît considérablement les risques, déjà élevés, d’un conflit accidentel.

Deuxièmement : il est tout aussi nécessaire de formuler des buts ambitieux, à moyen ou long terme. Une déclaration commune de Biden et de Xi devrait insister sur les menaces existentielles auxquelles les deux pays doivent faire face et qui les concernent l’un comme l’autre : les changements climatiques et les crises sanitaires mondiales. Même si John Kerry, l’envoyé spécial du président des États-Unis pour le climat, a rencontré plusieurs fois cette année de hauts responsables chinois, la collaboration sur les énergies propres est en panne, en raison des menaces que les deux parties estiment peser sur leur sécurité nationale. En outre, les progrès dans le domaine de la santé mondiale sont obérés par le théâtre politique du débat enragé sur les origines de la pandémie de Covid-19.

Bien sûr, on ne peut gère attendre d’un sommet Biden-Xi qu’il résolve ces problèmes existentiels. Mais ne serait-ce que les nommer constituerait un geste symbolique important, la preuve d’un engagement partagé pour l’adoption d’une conduite commune dans un monde de plus en plus précaire. Le cas est plus brûlant encore depuis l’explosion de la guerre entre Israël et le Hamas, qui risque de s’étendre à un conflit régional de grande ampleur, alors même que la guerre en Ukraine parvient à une étape décisive. En proposant leurs bons offices pour négocier dans chacune de ces guerres des accords de paix, les États-Unis et la Chine pourraient vraiment faire la différence.

Troisièmement, les relations sino-américaines ont besoin d’une nouvelle architecture de dialogue. Une rencontre Biden-Xi le mois prochain à San Francisco marquerait certainement une évolution positive. Mais des sommets annuels ne sont pas suffisants pour résoudre les conflits profondément enracinés entre les deux superpuissances.

Je plaide depuis longtemps pour le passage d’une diplomatie personnalisée telle qu’elle se pratique lors des rares rencontres entre dirigeants à un modèle de dialogue plus institutionnalisé qui pourrait fournir un cadre solide et permanent pour l’élimination rapide des dissensions et la solution des problèmes.

Ma proposition d’un secrétariat États-Unis-Chine va dans ce sens. Malgré la réception généralement positive que trouve cette idée en Chine et ailleurs en Asie, elle n’éveille pas l’intérêt des responsables politiques américains. De fait, le député Mike Gallagher, élu du parti républicain et président du nouveau comité restreint de la Chambre des représentants sur la Chine, alerte sur ce qu’il qualifie de « dialogue zombie », dont les efforts pour rétablir des liens avec la Chine n’auraient d’autre effet que de mettre en danger de mort les États-Unis.

Dans le même temps, je suis encouragé par la création de quatre nouveaux groupes de travail États-Unis-Chine – le résultat d’un été d’efforts diplomatiques. Mais c’est tout juste suffisant, surtout lorsqu’on les compare aux seize groupes de travail qui avaient été mis sur pied sous l’égide de la Commission conjointe États-Unis-Chine sur le commerce et les échanges (Joint Commission on Commerce and Trade), que Trump a dissoute en 2017.

Les sommets entre dirigeants nationaux ne sont souvent rien de plus que des événements médiatiques. C’est ce que fut malheureusement le sommet de Bali l’année dernière. Ni les États-Unis ni la Chine – sans parler du reste du monde – ne peuvent se permettre cette année à San Francisco un résultat aussi insignifiant. Et nous disposons de moins en moins de temps pour agir. On ne saurait gâcher l’occasion qu’ont Biden et Xi de s’entendre sur des objectifs réalistes, de rappeler, à plus long terme, leurs ambitions communes et de poser les fondations d’une nouvelle architecture de dialogue.

Traduit de l’anglais par François Boisivon

Stephen S. Roach, membre de la faculté de l’université de Yale, ancien président de Morgan Stanley Asie, est l’auteur de Unbalanced: The Codependency of America and China (Yale University Press, 2014, non traduit) et de Accidental Conflict: America, China, and the Clash of False Narratives (Yale University Press, 2022, non traduit).

Copyright: Project Syndicate, 2023.
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