lundi, avril 22

« Je ne partage pas l’idée selon laquelle les sociétés minières chinoises pilleraient les Etats Africains »

Mohamed Lamine Sidibe, consultant sur les questions de gouvernance minière et de transition énergétique en Guinée et en Afrique de l’Ouest, a répondu aux questions de Chine-Magazine.Com sur les relations entre la Chine et l’Afrique dans le secteur minier.

L’Afrique est devenue le terrain d’une guerre d’influence entre la Chine, l’Europe et l’Amérique, comment se traduit ce rapport de force au sein du continent Africain ?

Les mutations géopolitiques en cours dans le monde, illustrées par l’émergence de nouveaux pôles économiques en Asie et en Amérique du Sud, resserrent l’étau autour de l’Afrique, opposant les partenaires traditionnels du continent à ceux de la Chine dans la défense de leurs intérêts stratégiques. Ce rapport de force entre la Chine, l’Europe et les Etats-Unis sur le continent est exacerbé par un certain nombre d’enjeux globaux, parmi lesquels les minerais stratégiques, la sécurité internationale, la dette publique et la monnaie.

En matière de minerais stratégique, il est clair que l’opposition qui subsiste entre la Chine et les pays occidentaux est frappante, en particulier lorsqu’il s’agit du contrôle exercé par cette dernière sur les minerais de la transition en Afrique. La concentration par la Chine des chaînes d’approvisionnement minéralier à travers le continent pousse Washington et ses alliés européens à développer de nouvelles formes de partenariat basées sur la création de chaînes de valeur transfrontalières pour la fabrication de batteries dans la région.

Par exemple, fin décembre 2022, la République démocratique du Congo (RDC), la Zambie et les États-Unis ont signé un protocole d’accord pour l’installation et la fabrication d’unités de production de batteries rechargeables. Ces investissements sur le continent visent à réduire la dépendance des entreprises américaines à l’approvisionnement de certains produits minéraux en provenance de Chine. De même, un protocole d’accord pour un partenariat sur les chaînes de valeur des matières premières critiques a été signé entre la Commission européenne et la Namibie en novembre 2022. Tous ces investissements visent à renforcer la position de l’Occident sur la scène minière africaine, face à la montée en puissance de Pékin.

En outre, les pays occidentaux imposent actuellement des normes de gouvernance, sociales et environnementales (ESG) au secteur minier africain. Ces normes ESG sont essentiellement des outils permettant d’évaluer le caractère responsable des chaînes d’approvisionnement minières en termes de droits de l’homme, de transparence, de respect des engagements communautaires, etc. La principale préoccupation reste cependant l’utilisation de cet outil comme instrument géopolitique pour exclure les entreprises minières chinoises du marché étant donné leurs faibles niveaux d’appropriation des normes ESG.

Du point de vue de la sécurité, les États-Unis et leurs alliés européens tentent de contrebalancer l’expansion de l’influence chinoise par des accords bilatéraux de défense et de sécurité avec les pays de la région. Cette logique a été renforcée par les spéculations selon lesquelles l’armée chinoise ouvrirait une base navale sur la côte atlantique de l’Afrique en mai 2022. Suite à cela, l’AFRICOM a organisé un sommet en mai 2023, auquel ont participé 40 chefs d’armée du continent. Ensuite, l’OTAN a récemment indiqué dans un communiqué qu’elle souhaitait renforcer sa présence sur le flanc sud (vers le Sahel).

Parallèlement, Pékin tente d’amener les pays de la région à prendre des décisions plus indépendantes des puissances occidentales. Pour ce faire, la Chine s’appuie sur des leviers multilatéraux, en dotant les communautés économiques régionales d’institutions, telles que l’annonce de la construction du nouveau siège de la CEDEAO, et la multiplication les rencontres multilatérales avec les dirigeants africains.

La dette publique et les questions monétaires sont de plus en plus à l’ordre du jour des deux rivaux sur le continent. La Chine est déjà le premier partenaire économique de la quasi-totalité des pays africains. Pékin est également le premier créancier bilatéral de l’Afrique au sud du Sahara, représentant 62 % des créances bilatérales en 2019. La Chine pourrait exploiter cette position pour renforcer la coopération financière sino-africaine, notamment en utilisant le renminbi pour régler la dette extérieure des États africains. Cette idée de « dédollarisation » du commerce extérieur des États africains pourrait prendre beaucoup de temps à se concrétiser, étant donné la subordination des pays de la région à l’influence géopolitique occidentale.

Quelle est la stratégie de la Chine dans le secteur minier africain au cours de ces dix dernières années ?

La stratégie minière de la Chine en Afrique a évolué au fur et à mesure que la taille de son économie augmentait et que les défis mondiaux de la décarbonisation prenaient forme. À cette fin, la première stratégie élaborée par Pékin pour sécuriser ses approvisionnements miniers et énergétiques sur le continent a été la « Going Out Policy« . Cette feuille de route a été conçue et mise en œuvre au début des années 2000, dans le but de fournir aux multinationales chinoises des capitaux importants pour investir dans les minéraux stratégiques de l’Afrique.

Au cours de la deuxième décennie du 21e siècle, Pékin a axé sa stratégie sur les prêts basés sur les ressources par l’intermédiaire de ses deux banques multilatérales, la China Development Bank et l’EXIM Bank. Selon le Natural Resource Governance Institute (NRGI), ces deux institutions financières ont représenté 53 % des prêts adossés sur les ressources naturelles en Afrique au cours de la période 2004-2016. Un exemple est le projet Sicomine, pour lequel l’EXIM Bank a injecté 6,2 milliards de dollars afin de développer des gisements de cuivre et de cobalt en République démocratique du Congo.

Enfin, l’intensification du débat autour de la transformation des minerais par les décideurs politiques en Afrique, ajouté à la rude concurrence autour de la diversification des chaînes d’approvisionnement minéralier dans le monde, poussent les acteurs chinois à investir dans la construction des unités de transformation sur le continent. Cela s’est récemment manifesté par la signature d’un mémorandum entre la société chinoise « GOTION High-Tech » et le Maroc pour la construction de la première Gigafactory sur le continent et de son écosystème intégré de fabrication de batterie électrique. La même démarche est en cours en Zimbabwe, ou les multinationales chinoises envisagent de mettre en œuvre la première unité de transformation du lithium sur le continent. Cette décision fait suite aux restrictions du gouvernement Zimbabwéen de bannir l’exportation des minerais brutes de lithium.

De nombreuses voix attestent que la Chine pille les ressources minières de l’Afrique, qu’en pensez-vous ?

Je ne partage pas l’idée selon laquelle les sociétés minières chinoises pilleraient les Etats Africains. Le régime minier actuel sur le continent est l’œuvre des institutions de Breton Woods. Ces institutions financières : le FMI et la Banque Mondiale ont soutenu les réformes d’ajustement structurel des années 1980 et 1990, d’abord pour libéraliser le secteur, ensuite introduire des codes miniers attractifs afin d’attirer des investissements directs étrangers vers les Etats Africains riche en ressources minérales. Alors que la présence chinoises dans le paysage minier Africain date pratiquement du début des années 2000.

Cependant, le modèle de fonctionnement des entreprises minières chinoises s’accompagne encore d’énormes lacunes, notamment en termes de respect des engagements communautaires, de protection de l’environnement et d’absence d’intégration de pratiques de bonne gouvernance. Cela se traduit par la présence des entreprises chinoises dans la quasi-totalité de la chaîne de sous-traitance locale, et constitue l’un des principaux facteurs de conflit dans les localités minières de pays comme la Guinée. Il y a donc un problème de gouvernance des ressources naturelles imputable aux autorités publiques africaines, qui se distingue du pillage des ressources du continent.

Mohamed Lamine SIDIBE est consultant sur les questions de gouvernance minière et de transition énergétique en Guinée et en Afrique de l’Ouest. Il est également chercheur associé au sein du think tank Werra basé en France, d’où il travaille sur les enjeux stratégiques et géopolitiques des minerais de la transition. Il est titulaire d’un Master 2 en gouvernance et gestion des impacts des activités extractives de l’Université Gaston Berger et de l’Université de Nouakchott (UNA).

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