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Chine-Pakistan : une sécurisation nécessaire de leur coopération stratégique

De notre stagiaire Florian Roddier – Le 24 juillet 2021 s’est ouvert le troisième dialogue stratégique des Ministres des Affaires étrangères chinois et pakistanais à Chengdu, dans la province du Sichuan.

A cette occasion, le conseiller d’État et Ministre des Affaires étrangères chinois Wang Yi et le Ministre pakistanais des Affaires étrangères Shah Mahmood Qureshi, ont souhaité donner un nouveau souffle aux relations sino-pakistanaises, 70 ans après l’établissement de relations diplomatiques entre les deux pays.

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Ce nouvel élan diplomatique doit reposer sur un «consensus en cinq points» :

  • renforcement de la coopération sécuritaire dans la lutte contre le terrorisme,
  • approfondissement du soutien mutuel dans la tentative de «politisation» de l’origine du virus de la Covid-19,
  • renforcement des échanges économiques entre les deux pays en s’appuyant sur le Corridor Économique Chine-Pakistan (CEPC),
  • renforcement de la coordination entre les deux pays en matière de diplomatie à l’échelle régionale et internationale,
  • renforcement du haut degré d’assistance et de confiance mutuelle entre les deux pays.

Historiquement, l’entente cordiale entre la Chine et Pakistan a pris racine sur une volonté commune de contrecarrer la montée en puissance de l’Inde, afin que celle-ci n’atteigne pas à long terme le statut de puissance hégémonique en Asie du Sud-Est, comme a pu le souligner à de nombreuses reprises le directeur du programme Asie à l’Institut Montaigne, Mathieu Duchâtel.

Les relations politico-militaires entre la Chine et le Pakistan se sont particulièrement développées au lendemain de la décision en 2006 de poursuivre le programme de fabrication commun du chasseur JF-17.

A partir de cette date, les échanges militaires et industrielles ne se sont pas essoufflés, avec notamment la vente en novembre 2009 par la Chine de 36 chasseurs J-10 au Pakistan.

Les manœuvres militaires communes sur terre ou sur mer, les accords bilatéraux au sujet du nucléaire civil ou encore les rencontres au sommet entre les représentants de ces deux États se sont aussi multipliés.

Peu à peu, cette entente s’est aussi transformée en un partenariat stratégique en termes de politique intérieure. La Chine a en effet répété à de nombreuses reprises, apprécier le soutien de la partie pakistanaise concernant ses «intérêts vitaux» (le Pakistan étant fermement attaché à la politique d’une seule Chine sur la scène régionale et internationale).

A l’inverse, la Chine entend défendre la pleine souveraineté du Pakistan, en soutenant ses efforts en matière de sécurité et de développement. Pendant la pandémie de la Covid-19, la Chine a notamment fournis une aide sanitaire et vaccinale au pays.

Pour la Chine et le Pakistan, ce partenariat sert non seulement leurs intérêts, mais assure également la paix, la stabilité, le développement, et la prospérité dans la région Asie-Pacifique et même au-delà.

En effet, d’un point de vue géopolitique tout d’abord, cette coopération est perçue comme essentielle dans la pacification de la région Asie-Pacifique. Suite au désengagement progressif des forces américaines et occidentales en Afghanistan, Pékin a souhaité resserrer ses liens avec Islamabad, afin d’œuvrer pour la stabilisation et la pacification de l’Afghanistan, mais aussi afin de prévenir et lutter efficacement contre toute forme de terrorisme.

L’objectif est de construire à terme un partenariat de bon voisinage entre la Chine, le Pakistan et l’Afghanistan, afin de pacifier et sécuriser les échanges entre la région Asie-Pacifique et le Moyen-Orient.

C’est dans ce cadre que se sont rencontrés à Tianjin, le 28 juillet 2021, Wang Yi et le mollah Abdul Ghani Baradar, chef politique des talibans en Afghanistan, comme le rapporte l’agence de presse Xinhua.

Par une meilleure coopération militaire entre la Chine et le Pakistan, l’Empire du Milieu entend poursuivre les axes diplomatiques historiques sino-pakistanais visant à contrer l’expansion de l’Inde, avec par exemple, la vente au Pakistan en avril 2015, de huit sous-marins diesel Yuan pour un montant total de 5 milliards de dollars. La Chine et l’Inde se sont en effet lancés dans une compétition en matière de «sphères d’influence» et le partenariat sino-pakistanais, sur ce point, joue un rôle majeur.

Le corridor économique sino-pakistanais

De plus, toujours d’un point de vue géopolitique, le Pakistan et la Chine affirment être sur la même longueur d’onde à l’échelle internationale, en s’opposant à toute forme d’unilatéralisme et d’hégémonisme, tout en militant pour une suprématie du multilatéralisme et de la paix dans le monde.

Cette convergence diplomatique a une nouvelle fois fait ses preuves lors de la pandémie de la Covid-19, plus précisément dans les arcanes de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), où la Chine a pu compter sur le soutien du Pakistan devant les demandes croissantes d’enquêtes de la part des pays occidentaux afin de faire toute la lumière sur les origines de ce nouveau virus.

Le Pakistan considère la Chine comme la «pierre angulaire de sa stratégie extérieure», vision qui est à l’origine des nombreuses discussions et prises de positions à propos de l’Iran par exemple, d’autant plus que ce pays a vu l’arrivée au pouvoir récemment, du nouveau président conservateur Ebrahim Raïssi.

A ce sujet, l’Iran et le Pakistan ont une position commune vis-à-vis de la Chine, ils souhaitent tous deux préserver et développer des liens forts avec l’Empire du Milieu, notamment du fait de leur mise à l’écart du jeu diplomatique par les pays occidentaux.

Cette entente et coopération bilatérale repose aussi sur des enjeux économiques, qui ne peuvent être complètement détachés d’enjeux géopolitiques. La participation financière de Pékin à la construction du projet portuaire de Gwadar depuis 2002 a permis de faire de cette porte sur la mer d’Arabie, un pivot essentiel du projet des nouvelles routes de la Soie, lancé par Xi Jinping en 2013.

De plus, la signature du projet de Corridor Économique Chine-Pakistan (CECP), le 20 avril 2015, toujours en cours de réalisation, a permis des retombées économiques non négligeables pour les zones traversées par ce projet, mais c’est aussi un moyen pour Pékin de désenclaver progressivement sa province du Xinjiang grâce au développement d’un réseau routier et ferroviaire entre les deux États.

De plus, l’objectif est d’assurer pour la Chine son approvisionnement en énergie en provenance du Moyen-Orient, sans passer par le détroit de Malacca. Les investissements chinois sont par conséquent impressionnants dans le pays, mais la coopération économique sino-pakistanaise souhaite être élargie, notamment en matière d’agriculture, d’informatique, de tourisme et de commerce.

En novembre 2015, le port de Gwadar est officiellement loué à une entreprise publique chinoise pour une durée de 40 ans, faisant de lui une pièce maitresse du corridor économique Chine-Pakistan, mais aussi du positionnement stratégique de la Chine en mer d’Arabie.

Le Premier ministre chinois, Li Keqiang et le Premier Ministre pakistanais Imran Khan

Cependant, l’insécurité croissante dans certaines régions du Pakistan, notamment dans la région du Baloutchistan, ont été par le passé source de tensions entre les deux pays. En 2019, deux attentats visant la communauté chinoise ont particulièrement fragilisé les relations sino-pakistanaises, tous deux perpétrés à Gwadar.

Ces attentats ont renforcé les appréhensions chinoises quant à l’aptitude des autorités pakistanaises à assurer la sécurité des ressortissants et des investissements chinois dans le pays, d’autant plus que les ressortissants chinois au Pakistan sont la cible d’assassinats, d’enlèvements et d’attaques à la bombe de façon récurrente depuis 2004, comme le souligne Mathieu Duchâtel dans son article «Géopolitique des relations sino-pakistanaises à l’ère du terrorisme», publié en 2010.

C’est cette ombre au tableau qui a motivé en septembre 2020, le conseiller d’État chinois et ministre de la sécurité publique, Zhao Kezhi, a réaffirmé son souhait de renforcer la coopération avec le Pakistan en matière de maintien de l’ordre public. Ce besoin sécuritaire se fait ressentir notamment en matière de lutte contre le terrorisme, mais aussi le long du Corridor économique Chine-Pakistan.

Finalement, la volonté actuelle de Xi Jinping et de son homologue pakistanais Arif Alvi, repose sur la construction à terme d’«une communauté plus étroite dans la nouvelle ère».

Cette expression souligne la volonté commune pour les deux pays d’approfondir leur coopération économique, politique, géopolitique, sécuritaire mais aussi sociale, afin que cette relation bilatérale s’impose à terme comme un des pivots décisionnels et stratégiques de la région Asie-Pacifique.

De plus, par la promotion d’une «communauté plus étroite dans la nouvelle ère» entre la Chine et le Pakistan, Xi Jinping souhaite faire de ce couple un des socles de la construction d’une «communauté de destin pour l’humanité». Cependant, la réussite de cette «communauté plus étroite» demeure suspendue au maintien d’une stabilité à l’intérieur du Pakistan, mais aussi aux stratégies de Pékin à l’échelle régionale.

Le Pakistan ne peut en effet concurrencer de grands partenaires stratégiques de la Chine à l’échelle régionale et internationale, et dans certains cas, sa rivalité avec l’Inde pourrait le desservir dans sa relation avec la Chine.

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