dimanche, mars 24

La Chine de Xi disposée au conflit

De Project Syndicate, par Stephen S. Roach – Le 20e Congrès du Parti communiste chinois vient de s’achever. En dépit des fanfares et du matraquage médiatique, ce fut un événement vide, qui n’a rien révélé que nous ne savions déjà sur la Chine – une autocratie qui ne démord pas de ses ambitions grandioses et de ses emphases idéologiques, mais qui se révèle terriblement mal préparée au futur incertain qui l’attend, empreint de risques en grande partie générés par le régime lui-même. C’est une évidence lorsque les résultats du Congrès sont examinés sous trois angles : leadership, stratégie et conflit.

Le dévoilement des dirigeants à l’issue de ce que l’on appelle le premier plénum – rassemblement formel du Comité central nouvellement « élu », composé de 205 membres, qui suit immédiatement la conclusion du Congrès national – se révèle parfaitement en phase avec la consolidation du pouvoir que l’on observe depuis la première nomination de Xi Jinping aux fonctions de secrétaire général, il y a dix ans. La confirmation du troisième mandat de cinq ans de Xi Jinping à la tête du Parti communiste chinois (PCC) n’a jamais fait aucun doute, tout comme celle des loyalistes choisis par lui-même à ses côtés au sommet du régime, au sein du Comité permanent du bureau politique, composé de sept membres.

Un certain degré de compétition aura évidemment lieu pour l’obtention de postes tels que celui de Premier ministre, ou pour la présidence des deux organes législatifs – l’Assemblée nationale populaire et la Conférence consultative politique du peuple chinois. Les résultats importeront peu néanmoins. Dans la Chine de Xi Jinping, ces postes, autrefois au cœur du modèle de leadership par consensus intelligemment mis en place par Deng Xiaoping après la mort de Mao Zedong, ont été marginalisés.

Xi Jinping semble curieusement avoir une préférence pour les Premiers ministres nommés Li. Li Qiang, actuel chef du Parti à Shanghai, et visage public des confinements draconiens zéro COVID imposés par la Chine, se démarque clairement comme le favori à la succession du sortant Li Keqiang, qui prend sa retraite.

La nomination de Wang Huning est la seule autre désignation qui mérite d’être soulignée. Excepté Xi Jinping, il compte parmi les deux dirigeants restants du précédent Comité permanent, et semble parti pour occuper l’une des présidences législatives cérémonielles.

Le rôle de Wang Huning est toutefois beaucoup plus important qu’il n’y paraît. Wang est non seulement l’alter ego idéologique de Xi, à l’origine de l’expression phare de Xi, le « Rêve chinois », ainsi que de la « Pensée de Xi Jinping », mais se démarque également comme un éminent partisan de l’idée d’une Amérique en déclin. L’ouvrage de Wang Huning intitulé « Les États-Unis contre les États-Unis« , paru en 1991, écrit après une visite de trois mois en Amérique, livre le sombre portrait d’un pays en proie à une agitation sociale et politique croissante, proche de la crise.

Lorsque cette crise est survenue – la crise financière mondiale de 2008-2009, made in America – le point de vue de Wang Huning a gagné en signification au sein du leadership du PCC, conduisant Xi Jinping à conclure qu’une Chine ascendante serait bien positionnée pour défier une Amérique déclinante. La promotion de Wang vient alimenter de manière inquiétante le conflit États-Unis-Chine, un risque que j’évoque dans mon nouveau livre Accidental Conflict.

Sur le plan stratégique, le principal message du 20e Congrès du PCC réside en ce que la Chine maintiendra le cap des cinq dernières années, ce qui signifie que la sécurité nationale l’emporte sur la croissance économique.

Bien que le Congrès affirme que la modernisation demeure la « tâche centrale du Parti », cette déclaration ne revêt quasiment aucune signification. Le PCC s’est perdu sans ses éloges perpétuels à l’adresse de Xi Jinping, le dirigeant clé de la Chine, dans les vertus idéologiques de la Pensée de Xi Jinping, et dans la nécessité totale « d’adopter une approche globale de la sécurité nationale, ainsi que de promouvoir cette sécurité nationale dans tous les domaines et à tous les stades de travail du Parti et du pays ». Autrement dit, oui à la modernisation et la croissance, mais uniquement selon les conditions de Xi.

À quoi ressemblent alors ces conditions ? Un indice important nous est fourni par l’insistance du Congrès sur une autre initiative phare de Xi Jinping, la campagne de prospérité commune, qui fait intervenir divers efforts d’atténuation des inégalités de richesse et de revenus. Cette prospérité commune était également associée à l’assaut réglementaire de 2021 contre le secteur privé, notamment contre des sociétés de plateformes Internet autrefois dynamiques, qui ont depuis été quasiment décimées par la purge des « mauvaises habitudes » liées aux jeux vidéo en ligne, au streaming en direct, à la musique, et aux cours privés.

En dépit du rétropédalage opéré ensuite par Pékin pour tenter d’adoucir cette répression réglementaire, les sociétés ciblées ont immensément souffert sur le marché boursier, de même que les instinct animaux et le potentiel d’innovation domestique que promettait hier leur croissance spectaculaire. L’issue du 20e Congrès du PCC souligne une importante distinction entre une croissance économique « accompagnée de caractéristiques chinoises », décrite de longue date, et une forme très différente de développement, propre à Xi Jinping. Cette dernière vient malheureusement entraver ce dynamisme chinois que beaucoup, dont moi-même, soulignaient depuis longtemps.

Mais sans doute les implications les plus importantes du récent Congrès résident-elles dans la dimension du conflit. Le Congrès a souligné la « complexité sans précédent », la « gravité » et la « difficulté » auxquelles la Chine est confrontée à l’étranger comme sur son sol. Bien que ces termes ne constituent pas un bouleversement majeur, ils exposent la volonté de Xi d’accepter le sacrifice de la croissance comme le prix fort à payer pour la sécurité nationale.

Le dogme idéologique opaque du Congrès ne permet que d’entrevoir ce que la Chine entend accomplir pour surmonter ces défis. Les intentions étaient plus claires dans le discours de Xi de juillet 2021, à l’occasion de la célébration du centenaire de la création du PCC. « Nous ne permettrons jamais à aucune force étrangère de nous malmener, de nous opprimer ou de nous asservir », avait-il déclaré. « Quiconque s’y risquerait viendrait se briser contre une muraille d’acier forgée par plus d’1,4 milliard de Chinois ».

Compte tenu de cet avertissement et des défis soulignés par Xi lors du 20e Congrès du PCC, la collision avec les États-Unis, mise en évidence par Wang Huning, prend une nouvelle signification. L’affrontement ne concerne plus seulement Taïwan, les tensions en mer de Chine méridionale, ou encore les pressions occidentales liées aux violations des droits de l’homme dans le Xinjiang. Il concerne par-dessus tout la stratégie d’endiguement mise en place par les États-Unis contre la Chine – une stratégie que l’administration du président Joe Biden renforce considérablement depuis peu, au travers de nouvelles sanctions liées aux exportations de technologies chinoises de pointe. Il concerne enfin le « partenariat sans limite » conclu avec la Russie, et le risque de culpabilité par association à la guerre inadmissible menée par Vladimir Poutine en Ukraine.

Comme l’a souligné Xi Jinping lors du Congrès, il s’agit là de défis évidemment complexes. Lors de la célébration du centenaire du PCC, Xi n’a cependant pas laissé planer le doute sur ce que ces défis pourraient engendrer : « Le courage de combattre, l’audace de vaincre, c’est ce qui a rendu notre parti invincible ». Une armée modernisée et renforcée en nombre vient aggraver cette menace, et met en évidence les risques soulevés par la Chine de Xi Jinping, une Chine disposée au conflit.

Traduit de l’anglais par Martin Morel

Stephen S. Roach, ancien président de Morgan Stanley Asie, et membre du corps enseignant de l’Université de Yale, est l’auteur de l’ouvrage à paraître intitulé Accidental Conflict: America, China, and the Clash of False Narratives (Yale University Press, November 2022).

Copyright: Project Syndicate, 2022.
www.project-syndicate.org

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