vendredi, avril 12

La Géopolitique de la Corée : vers la réunification de la Péninsule coréenne ?

Edgar Bellow, Professeur Associé de NEOMA Business School, Spécialiste en Géopolitique.

Edgar Bellow,  Professeur Associé de NEOMA Business School, Spécialiste en Géopolitique, revient pour Chine-Magazine.com sur la situation dans la péninsule coréenne, et l’enjeu du prochain sommet entre le leader nord-coréen Kim Jong-Un et le président américain Donald Trump.

Après deux années de montée des tensions, la péninsule coréenne devient le théâtre d’une remarquable détente. D’abord illustrée par la rencontre exceptionnelle du 27 avril 2018 entre M. Kim Jong-Un et le président sud-coréen Moon Jae-in, puis prochainement par le sommet du siècle le 12 juin entre Donald Trump et Kim Jung-Un.

L’enthousiasme de Kim Jung-Un d’aller vers une Péninsule totalement dénucléarisée suscite une certaine inquiétude légitime. Après avoir imposé sans vergogne le calendrier de l’escalade nucléaire, il fixe désormais en grande partie le calendrier de la paix. S’agit-il d’un nouveau poker menteur comme ce fut déjà le cas dans le passé avec sa ligné, Kim Il-Sung et Kim Jong-Il ?

Des motivations économiques ?

Juste avant ce revirement, deux facteurs immédiats et spectaculaires interpellent : d’abord la destitution ultra-rapide de la présidente sud-coréenne Park Geun-Hye et son remplacement par le président actuel Moon Jae-In. Puis les événements survenus lors des Jeux olympiques, prenant l’administration américaine par surprise, Washington ne s’attendant pas du tout à un tel scénario.

Rappelons-nous que depuis sa succession au commande du pays, Kim Jong-Un a procédé à plusieurs tests de missiles et essais nucléaires, tout en échangeant des noms d’oiseaux avec le président américain.  Alors comment analyser le revirement du dirigeant de la Corée du Nord appelant à un dialogue direct avec les Etats-Unis pour une dénucléarisation de la Péninsule ?

Est-ce les effets des sanctions économiques qui font plier le dirigeant nord-coréen? Car suite à ses démonstrations de force de 2012 à 2018, la Corée du Nord a subi des sanctions économiques votées par les Nations Unies et a vu une flotte de la US-Navy approcher de ses côtes. Et pour conclure, une dernière sanction venant cette fois du Sud : l’arrêt du projet prometteur du complexe de Kaesong qui générait des millions de dollars par mois pour le régime nord-coréen, servant à financer sa production de missiles et les tests.

Une seule raison d’être pour la dynastie Kim : libérer le sud 

En 1991 dans une conversation très privée, le grand père Kim Il-Sung, père de la Corée du Nord, avouait qu’il n’était pas un déséquilibré au point d’utiliser la bombe nucléaire, et que sa seule volonté était de rencontrer le président américain pour négocier la paix dans la Péninsule. Par conséquent, démontrer une maîtrise totale des armes à destruction massive et une possession de l’arme nucléaire s’avéra indispensable.

Depuis la fin de la guerre de Corée, il n’y a eu qu’un armistice entre les Etats-Unis et la Corée du Nord, cette dernière se considérant comme la seule représentante de tout le peuple coréen et voyant les Etats-Unis comme un occupant du territoire du sud. Va-t-on aujourd’hui vers la signature de la Paix et la fin des hostilités dans la Péninsule? Si ce rêve est cher au Nord, il suscite de moins en moins d’enthousiasme chez la population en Corée du Sud, affichant une forte différence culturelle, économique et sociale (70% de jeunes du Sud sont contre une réunification).

Kim Il-sung, Kim Jong-il et Kim Jong-un

L’origine de cet écart creusé depuis des décennies ? La doctrine du Juché, construite par Kim II Sung, parallèlement aux efforts de développement du pays et à la construction de sa défense militaire pour libérer le territoire sud de la Péninsule. L’objectif : contrôler et maintenir le peuple coréen du nord dans une croyance à l’avènement du paradis du travailleur, impliquant des efforts surhumains, tout en le privant des besoins élémentaires de survie.

Reposant sur les idées du communisme, de l’indépendance politique, d’autosuffisance économique et d’autonomie militaire, la doctrine du Juché constitue cependant «une nouvelle idéologie révolutionnaire originale».  Ainsi, en 1980, le Parti du travail de Corée Nord révise sa charte et remplace les concepts de Marx et Lénine par ceux de Kim Il-Sung. Tentative prométhéenne ! Désormais Kim Il- Sung devient le père de la Nation et une nouvelle culture, une nouvelle éducation, une nouvelle motivation et nouvelle souveraineté vont être construites. C’est la mise en place de la Dynastie Kim qui aujourd’hui se traduit par l’existence des trois générations distinctes et vénérées au Nord. Alors qu’au Sud, la question de l’unité coréenne désintéresse…

L’impact de l’idéologie du Juché de Kim Il Sung, appliquée à la lettre et à l’esprit par Kim Jong Un, et la succession de trois générations Kim sont essentiels pour saisir la géopolitique de la Corée. Le président Moon Jae-In de la Corée du Sud est le troisième dirigeant du Sud à rencontrer le chef d’Etat du Nord tandis que Kim Jong-Un de la Corée du Nord est la troisième génération qui incarne parfaitement l’idéologie de son grand père Kim Il Sung. Kim Jong-Un cite Lu Xun le 27 avril, « Après toutes les vicissitudes traversées, nous restons des frères. Lorsqu’on se revoit, un sourire chasse la rancune ».

La raison d’être de la Corée du Nord et de l’idéologie du Juché est, dans un premier temps, de parler avec l’occupant du Sud, les Etats-Unis, puis parler de la réunification de la Corée, car pour le Nord Il n’y a qu’une seule Corée. Après une occupation brutale du Japon de 1905 à 1945, le marxisme-léninisme a divisé la Péninsule coréenne en deux, symbolisée par le 38è parallèle à Palmunjung, la zone démilitarisée. Pour le peuple Coréen « Le sang est plus épais que l’eau » disait Moon Sun Myung et Kim Il Sung en 1991.

Qu’attendre du 12 juin et d’une péninsule réunifiée ? 

 

Leader Kim Jong-un

Depuis la réunification des deux Allemagnes en 1990, la Corée du Sud s’est constitué un fond pour la réunification de la Corée qui représente aujourd’hui quelques milliards de dollars. Les gouvernements successifs du Sud ont multiplié et soutenu des projets «soft» de rapprochement : la «Sunshine Policy» du Président de la Corée du Sud et Prix Nobel Kim Dae-jung (1998-2003), les visites périodiques entre les familles séparées du Nord et du Sud, le projet du complexe industriel de Kaesong ainsi que les projets indépendants des philanthropes sud-coréens vers le Nord…

Aujourd’hui, le danger économique que poserait une réunification pour le Sud est maîtrisé pour absorber et digérer une économie inexistante du Nord. Il existe également plusieurs fondations, organisations philanthropiques du Sud et une diaspora coréenne à l’étranger qui sont prêtes à redresser le désastre économique de la dynastie Kim au Nord.

Après la rencontre intercoréenne, on assistera au sommet entre Donald Trump et Kim Jong-Un. Le 12 juin, le président américain ne doit pas hésiter à stimuler un rapprochement des deux frères séparés et à proposer une ouverture économique vers les Etats-Unis et la Corée du Sud comme ce fut le cas lors de la visite du Président Richard Nixon en Chine en 1972.

En ce qui concerne le jeu de Kim Jong-un, certains n’excluent pas qu’il cherche à fuir le pays « la tête haute », selon un scénario qui le ferait rentrer dans l’histoire en en sortant. Car la dénucléarisation totale de la Corée du Nord peut aussi priver le pays de tout ce qui a fait sa légitimité et assurer sa souveraineté.

Autre zone d’ombre : le rôle que joue la Chine dans le revirement de Kim Jong-Un et dans la nouvelle donne géopolitique de la Péninsule. Il se pourrait que derrière sa discrétion, elle s’apprête à tirer grand profit de la situation.

Les motivations des uns et des autres pourraient être complètement chamboulées par des facteurs inexplicables comme ceux qu’on a vu en 1989 à Berlin ou en 1991 la fin de l’Apartheid en Afrique du Sud.  Les images du sommet stimulent aujourd’hui en Corée du Sud le désir et la volonté de l’unification. Le processus de la réunification vient de commencer, mais rien n’est encore joué. Dans les trois ans à venir soit les dirigeants des deux Corées poseront totalement les fondements d’une réunification soit ils y renonceront pour toujours !

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