mardi, avril 23

La campagne anti-coercition du G7 contre la Chine pourrait être contre-productive

De project Syndicate, par Lili Yan Ing – Le Japon accueillera les 28 et 29 octobre les ministres du Commerce du G7 à Osaka. La réunion portera principalement sur l’amélioration de la résilience des chaînes d’approvisionnement et sur le renforcement des contrôles à l’exportation des minéraux critiques et des technologies. Mais la « coercition économique » chinoise, notamment les perturbations engendrées par ses politiques industrielles opaques et peu respectueuses des règles du marché, figurera aussi en bonne place à l’ordre du jour.

Depuis qu’elle a rejoint l’Organisation mondiale du commerce, en 2001, la Chine est régulièrement accusée d’aides déloyales à ses industries et a maintes fois été citée devant l’OMC. Ainsi l’Union européenne, les États-Unis et le Canada se sont-ils plaints, en 2006, des aides à l’exportation fournies par Pékin à son industrie automobile et de pièces détachées, par le biais, principalement, de ses programmes à destination des «bases d’exportation». L’OMC interdit strictement les aides à l’exportation en raison de l’importance des distorsions de concurrence induites.

En outre, les États-Unis ont affirmé, en 2010, que la Chine aidait ses industries manufacturières du secteur de l’éolien en accordant des subventions aux entreprises utilisant des composants fabriqués en Chine. En 2017, l’attention s’est déplacée sur les aides chinoises supposées aux grands producteurs d’aluminium. Et un an plus tard, l’OMC validait la plainte du gouvernement fédéral contre les montants compensatoires et les droits anti-dumping exigés par la Chine sur les produits avicoles en provenance des États-Unis.

Pendant ce temps, les échanges bilatéraux entre la Chine et la Corée du Sud se sont nettement ralentis, dans un contexte de tensions géopolitiques et après la décision chinoise de mettre un terme aux programmes d’aide destinés aux fabricants de voitures électriques qui utilisent des packs de batteries sud-coréens. Les relations commerciales entre la Chine et l’Australie se sont aussi tendues après que la Chine a répliqué à l’appel du Premier ministre australien d’alors, Scott Morrison, en faveur d’une enquête internationale indépendante sur les origines de la pandémie de Covid-19 en taxant un certain nombre de produits australiens comme l’orge, le vin, la viande rouge, le bois d’œuvre et les langoustes.

Au début de l’année, les dirigeants du G7 se sont engagés à combattre toutes formes de coercition économique. Mais une telle résolution pourrait être lourde de conséquences, si l’on tient compte du fait que la Chine représente 19,4%, 7,5%, 6,8% et 6,5%, respectivement, des exportations du Japon, des États-Unis, de l’Allemagne et du Royaume-Uni. Si ces pays mettaient en œuvre des mesures anti-coercition ciblant la Chine, le président chinois, Xi Jinping pourrait décider des représailles.

Mais au-delà des conséquences potentielles pour les économies du G7, la campagne anti-coercition du groupe pourrait affecter négativement le commerce mondial. Pour commencer, le terme de «coercition économique» est si vague qu’il fournit toute opportunité, non seulement au G7 mais à tous les gouvernements ailleurs dans le monde, de s’en servir comme prétexte à des mesures protectionnistes, susceptibles d’augmenter les coûts de production et, d’une manière générale, les prix.

L’Union européenne définit la coercition économique comme la tentative par un État non-membre de faire pression sur un ou plusieurs de ses membres pour les inciter à toute disposition en mettant en œuvre ou en menaçant de mettre en œuvre des mesures qui affectent les relations commerciales ou les investissements entre ces pays. Mais si certaines manœuvres, certains outils sont clairement coercitifs, il est pour le moins difficile de définir clairement ce qui constitue une action «contre» un autre pays. Étant donné son ambiguïté, le terme peut s’appliquer à des politiques menées par de nombreux pays.

En outre, alors même que le G7 a régulièrement fait valoir que le contrôle des exportations est «un outil politique essentiel» pour éviter que les technologies critiques soient employées à des fins militaires, ce type de mesures peut à long terme introduire une distorsion de l’allocation des ressources et du commerce mondial, nuire à la compétitivité et entraver la croissance économique, tant dans les pays exportateurs que dans les pays importateurs.

Ainsi une étude menée en 1981 par Gene M. Grossman, économiste à Princeton, a-t-elle montré que l’obligation de recourir à des composants locaux se traduisait souvent par une réduction de la production et par un prix plus élevé pour le produit fini, alors que les effets de la mesure sur les produits intermédiaires domestiques n’étaient pas prouvés et dépendaient largement des facteurs spécifiques du marché et des procès de production. Dans un article de 1992, Grossman et Elhanan Helpman mettent en évidence un cadre de protection commerciale dans lequel ce sont les industries dont la demande d’importation est plus élevée ou dont l’offre d’exportation est élastique qui dévient le moins des pratiques de libre-échange. Enfin Will Martin et Kym Anderson ont montré, en 2012, que les revirements des politiques commerciales, notamment pour ce qui concernait la restriction des exportations, ont joué un rôle essentiel dans la flambée des prix des denrées agricoles de base en 1973-1974 et en 2006-2008.

En adoptant des mesures anti-coercition, les membres du G7 pourraient involontairement encourager d’autres pays à relever leurs propres barrières douanières. Pour la seule année 2022, les gouvernements de la planète ont adopté quelque 3 000 mesures protectionnistes, qui ont affecté les investissements et les échanges de biens et de services. Ces initiatives, qu’elles soient le fait de pays isolés ou de groupes de pays, pourraient accroître les incertitudes et brider le commerce international.

Cette fragmentation croissante produit déjà des effets négatifs. Alors que la valeur des échanges mondiaux atteignait 49 500 milliards de dollars en 2022, l’OMC a récemment revu à la baisse ses prévisions de croissance pour 2023, passant de 1,7% à 0,8%, arguant des perturbations commerciales et d’un ralentissement de la production manufacturière.

Le G7 doit prendre l’initiative d’une désescalade des tensions. En garantissant un fonctionnement efficace de l’OMC et en évitant les mesures punitives qui représentent une menace pour la stabilité économique, le groupe a la responsabilité d’orienter le commerce mondial dans la bonne direction.

Traduit de l’anglais par François Boisivon

Lili Yan Ing, secrétaire générale de l’Association économique internationale (IEA) est conseillère en chef pour le Sud-Est asiatique à l’Institut de recherche économique de pour l’ASEAN et l’Asie de l’Est (ERIA).

Copyright: Project Syndicate, 2023.
www.project-syndicate.org

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