samedi, mars 30

L’Inde veut apaiser ses relations avec la Chine

Le Premier ministre indien, Narendra Modi, a annoncé le début d’une «nouvelle ère» dans les relations avec la Chine, lors de la visite officielle de Xi Jinping en Inde.

Ce changement de cap dans les relations sino-indiennes modifie la situation dans le bassin Indo-Pacifique et ouvre de nouvelles possibilités pour la diplomatie russe, selon les diplomates et les experts interrogés par le quotidien Kommersant.

Ces derniers assurent que Moscou n’aura plus besoin de faire un choix entre ses deux partenaires stratégiques, et le triangle Moscou-Pékin-Delhi sera l’un des facteurs décisifs de la politique mondiale.

New Delhi veut modifier ses rapports avec la Chine

Les relations entre New Delhi et Beijing sont complexes, en raison notamment d’un litige territorial non réglé depuis la guerre de 1962. En 2017, un nouvel affrontement armé aurait pu éclater entre l’Inde et la Chine, quand les chinois ont commencé à construire une voie ferrée sur le plateau contesté du Doklam en faisant fi des protestations du Bhoutan.

L’Inde, alliée de ce dernier, avait déployé ses forces sur le territoire du royaume, alors que la Chine a renforcé son contingent militaire sur le plateau. Les parties avaient mis deux mois et demi pour s’entendre sur le retrait des troupes et mettre fin à la guerre des nerfs.

En avril 2017, une première tentative de normalisation des relations a été entreprise à Wuhan à l’initiative du président Xi Jinping. Il s’agissait là de la première rencontre informelle entre les deux hommes.

Cependant, en février 2019, Beijing a bloqué au Conseil de sécurité des Nations Unies la proposition d’inscrire sur la liste des terroristes internationaux l’ennemi mortel de l’Inde, Masood Azhar, leader du groupe islamiste Jaish-e-Mohammed, qui se cachait sur le territoire du Pakistan. La Chine a révoqué plus tard son opposition.

Enfin, en août 2019, lorsque le gouvernement indien modifie le statut de l’État Jammu-et-Cachemire, frontalier du Pakistan, la Chine accuse l’Inde de déstabiliser la région, soutenant ainsi Islamabad, son allié de longue date.

Relancer les échanges sino-indiens

La veille de la rencontre de Xi Jinping et Narendra Modi, les opposants indiens ont appelé leur Premier ministre à faire preuve de fermeté. «Que notre leader respecté Narendra Modi montre sa large poitrine à monsieur Xi, qui soutient le Pakistan», a écrit Kapil Sibal, l’un des leaders du Congrès national indien, parti d’opposition.

Or les autorités indiennes ont indiqué qu’elle n’avait pas invité Xi Jinping sur le littoral de l’océan Indien pour créer des tensions, mais pour entamer une réconciliation historique. D’ailleurs, à Chennai, capitale de l’État du Tamil Nadu, 2.000 écoliers ont organisé un flash-mob en l’honneur du président chinois.

«Nous avons décidé que nous surmonterions raisonnablement nos divergences et ne leur permettrions pas de se transformer en conflits. Nous conserverons une attitude délicate envers les questions qui nous inquiètent, et nos relations favoriseront la paix et la stabilité dans le monde», a annoncé Narendra Modi, après sa rencontre avec le président chinois.

Il a considéré ce sommet informel au Tamil Nadu comme le «début d’une nouvelle ère dans les relations entre l’Inde et la Chine». «Nous devons aspirer conjointement à ce que le développement des relations interétatiques sino-indiennes soit une force motrice encore plus durable qui fera briller encore davantage la civilisation asiatique», a confirmé Xi Jinping.

L’Inde veut profiter de la guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis

«Le deuxième sommet informel de Narendra Modi et de Xi Jinping a été un nouvel exemple des relations solides de l’Inde avec les principales puissances mondiales (…) La rencontre des deux leaders aura une influence positive sur les relations au sein du triangle Moscou-Pékin-Delhi et sur la coopération des trois pays au sein des BRICS», a affirmé l’ambassadeur indien à Moscou, Bala Venkatesh Varma.

Ainsi, ce second sommet informel, «s’est déroulé dans un contexte où les facteurs irritants de longue date dans de leurs relations, tels que le litige frontalier ou le problème du Cachemire, avaient perdu de leur acuité, et alors que l’on avait constaté l’apparition de nouveaux facteurs», a analysé Alexandre Lomanov, chef du Centre d’études asiatiques et pacifiques de l’Institut de l’économie mondiale et des relations internationales de l’Académie des sciences de Russie.

D’après ce dernier, «du point de vue militaire et économique, l’Inde devient un pays de plus en plus fort, dont l’influence dépasse les limites de l’océan Indien. Dans ce contexte, les vieilles divergences territoriales passent à l’arrière-plan à cause de la nécessité de trouver des possibilités de coexistence dans le grand espace Indopacifique».

Selon l’expert, la guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis offre à l’Inde l’opportunité unique de s’entendre avec la Chine sur les problèmes économiques et d’accentuer les échanges commerciaux.

La Russie compte tirer profit du rapprochement Chine-Inde

«Les divergences sino-américaines poussent la Chine à faire plus attention aux exigences de l’Inde concernant le déséquilibre des échanges bilatéraux et l’introduction des entreprises chinoises sur les marchés indien et régional. La Chine n’a pas intérêt à voir l’Inde offensée se transformer en allié des États-Unis en matière économique et militaire», a assuré Alexandre Lomanov.

Pour le chercheur russe, la « nouvelle ère » sino-indienne est «une tendance encourageante pour la Russie, car Moscou ne sera plus obligé de faire un choix difficile entre ses partenaires stratégiques: la Chine et l’Inde».

«L’assouplissement des divergences entre deux parties du triangle Moscou-Pékin-Delhi transforme ce dernier en construction plus efficace et plus viable, même si le rapprochement initié entre la Chine et l’Inde pourrait se solder à terme par une diminution du rôle de la Russie», a assuré ce dernier.