dimanche, mars 24

Les Shengnu se moquent des étiquettes qu’on leur colle

Traduction de témoignages par notre stagiaire, Julie – Chen Xin semble avoir une vie remplie de succès. A 32 ans, elle gagne un salaire confortable en tant que chercheur dans une ONG basée à Beijing. Elle voyage plusieurs fois par an, donne des conférences sur le réchauffement climatique et à une vie sociale très active.

Pourtant, lorsqu’elle rend visite à ses parents à Quzhou, sa ville natale, ils ne s’intéressent pas du tout à ce genre de détails.  Le seul sujet qui les préoccupe est sa vie amoureuse, ou l’absence de vie amoureuse plutôt.

Mademoiselle Chen fait partie des milliers de femmes vivant à Pékin et Shanghai et qui sont surnommées « shengnu », ou « restes de femmes », un terme largement employé dans la société chinoise et les médias gérés par l’État.

Ils emploient ce terme pour définir les femmes célibataires de plus de 27 ans. Malgré des réactions de contestations de la part des femmes vis-à-vis de ce terme, la génération des anciens a toujours la même mentalité : Marie-toi jeune ou personne ne voudra de toi.

Klaudia Lech, une photographe d’Oslo faisait des recherches sur les droits des femmes en Chine lorsqu’elle s’est aperçue du nombre d’articles en ligne relatant le fardeau de ces femmes. En Chine,  les hommes de moins de 30 ans sont 20 millions de moins que les femmes.

Selon des informations officielles,  beaucoup d’hommes célibataires vivent dans des villages de campagne et ont de maigres salaires. Un homme doit avoir un salaire plus élevé que celui de sa femme. De ce fait, les femmes qui gagnent beaucoup d’argent, comme Mademoiselle Chen, doivent se battre pour attirer l’attention d’un petit cercle d’hommes célibataires potentiels habitant en ville.

Leftlover par Klaudia Lech
Leftlover par Klaudia Lech

Klaudia Lech, 24 ans déclare avoir été déconcertée par le nombre d’articles à ce sujet, plus particulièrement par le fait qu’ils déshumanisent totalement ces femmes et parlent d’elles en chiffres. Ils ne parlent absolument pas de qui sont ces femmes et de la façon dont elles vivent leur célibat.

Elle ajoute : « Ce n’était pas un reportage, c’était impersonnel« . « C’étaient juste des statistiques, j’ai trouvé que le terme shengnu était vraiment blessant et je me suis demandé comment les femmes pouvaient accepter d’être qualifiées de restes« .

Avant son arrivée à Shanghai l’année dernière, Klaudia Lech a consulté des sites de rencontres chinois à la recherche de femmes célibataires qui accepteraient de la laisser enquêter sur leurs vies privées. Elle est allée à Beijing où elle a vécu plusieurs mois avec plusieurs des femmes qu’elle avait trouvées sur les sites. Le Lens Magazine China lui a proposé une bourse pour qu’elle poursuive ses recherches à ce sujet.

Parmi les femmes qu’elle a suivi, toutes ont des professions différentes, des centres d’intérêts différents, chacune avec leur récit personnel de leur célibat.

Zhu Chi, 34 ans, animatrice de télévision a confié à Klaudia Lech qu’elle ne voulait pas d’un mari dont la situation professionnelle serait moins aboutie que la sienne.

Zhu Meiting, 29 ans, professeur d’anglais à Beijing avoue qu’elle ment souvent à sa famille au sujet de sa vie amoureuse pour qu’ils arrêtent de lui organiser des rendez-vous arrangés.

Sabrina Wei, 36 ans, entrepreneuse, a raconté à Klaudia qu’elle ne sort qu’avec des étrangers car ils ne prêtent pas attention à son âge.

La photographe ajoute « elles sortent, elles dînent avec des amis, elles pratiquent le yoga, elles voyagent à l’étranger ». « Elles ont leur mode de vie et celui-ci laisse peu de place au mariage ».

À sa grande surprise, Klaudia Lech déclare que les femmes qui se sont confiées à elles affirment ne pas accorder d’attention au terme « shengnu ». Par contre elles souffrent beaucoup de la pression infligée par leurs parents et familles.

shengnu
Elles n’accordent pas d’attention au terme « shengnu », mais elles souffrent beaucoup de la pression infligée par leurs parents et familles.

Lorsqu’elle a accompagné Mademoiselle Chen dans sa famille, la mère a d’abord été furieuse que sa fille accepte que l’on fasse un reportage sur sa vie. « La mère avait peur que le fait que tout le monde allait savoir qu’elle n’était pas mariée sèmerait la honte sur elle et sur les voisins », explique la photographe.

« Bien qu’elle soit une femme brillante, lorsqu’elle rentre chez elle, elle ne représente rien aux yeux de sa mère car elle est célibataire. »

La mère a finalement accepté l’idée du projet de la photographe et elle a pu continuer à suivre Mademoiselle Chen et sa famille, ainsi que ses deux grandes sœurs, déjà mariées et mamans.

Traditionnellement, les parents jouaient un rôle majeur dans la vie maritale de leurs enfants, jusqu’à chercher le partenaire idéal sur le marché matrimonial. Chaque weekend,  des parents venant de la périphérie de Shanghai se réunissent au People’s Park et mettent des petites annonces pour leur enfant unique. Les annonces, écrites en chinois,  sont expéditives— Bonne cuisinière. Aime lire. Âge : 29.

Ces annonces manquent totalement de sentiments pour permettre un rapprochement. Klaudia Lech ajoute que le marché ressemble plus à une transaction commerciale qu’à une voie vers une relation romantique.

« Elles ont besoin d’amour et leur expérience leur enseigne que l’amour n’est pas vraiment quelque chose dont on parle en Chine », assure Klaudia Lech, ajoutant qu' »on parle plutôt d’avoir un mari responsable« .

Ecrit par Whitney Richardson pour The New York Times, traduction chinois-français pour Julie VALDRE.

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