mercredi, mai 1

William Lai en Amérique : les buts de guerre du voyage controversé de l’indépendantiste taiwanais

Par Nkolo Foé – Le Parti démocrate progressiste (DPP) au pouvoir dans l’île séparatiste de Taïwan ne cesse de multiplier les provocations à l’égard de la République populaire de Chine.

Son candidat à l’élection régionale de janvier 2024, Lai Ching-te, plus connu sous le nom de William Lai, a pris pour prétexte son périple américain controversé pour promouvoir son image personnelle et celle du parti indépendantiste.

À ses électeurs et ses soutiens américains, le leader taiwanais a voulu montrer, de façon mensongère, que l’indépendance du territoire et le rejet du principe de l’unification de la Chine étaient synonymes de choix moral entre la démocratie et l’autoritarisme.

Il faut souligner que le Parti démocrate progressiste est coutumier de cette rhétorique controuvée sur la lutte héroïque de la démocratie contre l’autoritarisme et la tyrannie. Madame Tsai Ing-wen, la présidente indépendantiste, n’arrête de présenter l’entité séparatiste comme la ligne de front dans la lutte mondiale des démocraties libérales contre le communisme et les régimes autoritaires. L’idée est que Taïwan occuperait la première ligne de défense de la démocratie face aux menaces croissantes des acteurs autoritaires contre les démocraties libérales.

En fait, cette rhétorique pro-démocratie hypocrite a un but précis. En direction de l’extérieur, il s’agit de rassurer les alliés occidentaux au premier rang desquels se trouvent les oligarques anglo-saxons (Etats-Unis et Grande Bretagne). À l’intérieur, il s’agit de détourner le maximum d’électeurs possible du Kuomintang, le parti nationaliste, plus favorable à l’unification du pays.

Il y a quelques années, la dirigeante sécessionniste Tsai Ing-wen assurait que lorsque des régimes autoritaires manifestent des tendances agressives, il est du devoir des pays démocratiques de s’unir pour les contrer. Les séparatistes taiwanais ne cachent pas leur fierté de jouer un rôle majeur dans cette lutte, du fait de leur position stratégique en mer de Chine. L’entité rebelle ne peut donc que se réjouir d’appartenir à la « communauté démocratique mondiale », synonyme de camp du Bien, dont les Taïwanais partageraient les valeurs fondamentales. Se définissant lui-même comme indépendantiste, conservateur, libéral et anticommuniste, le Parti démocrate progressiste de Tsai Ing-wen et William Lai présente tous les atouts pour séduire l’oligarchie anglo-saxonne. Ce parti considère en effet la région chinoise de Taïwan comme un Etat indépendant et souverain, au mépris de la Résolution 2758 (XXVI) de l’ONU du 25 octobre 1971 rétablissant la République populaire de Chine dans tous ses droits et reconnaissant « les représentants de son gouvernement comme les seuls représentants légitimes de la Chine à l’Organisation des Nations unies ainsi que l’expulsion immédiate des représentants de Tchang Kaï-chek du siège qu’ils occupent illégalement à l’Organisation des Nations unies et dans tous les organismes qui s’y rattachent ». Rappelons que dans la foulée, la République populaire de Chine avait été reconnue comme l’un des cinq membres du Conseil de sécurité. Or, comme implication juridique et politique immédiate, Taïwan fut déclarée « province de Chine sans statut distinct » et privée de « toute forme de statut gouvernemental ».

Dans son bavardage intempestif aux Etats-Unis, William Lai a réitéré son intention de ne pas vouloir changer le statu quo dans l’île. Ses déclarations à l’agence de presse Bloomberg sont sans équivoque à cet égard, comme le rapportent les médias atlantistes : « Nous devons respecter la vérité […] à savoir que Taiwan est déjà un pays souverain et indépendant appelé la République de Chine ». Le provocateur insulaire précise que la région « ne fait pas partie de la République populaire de Chine », reflétant ainsi les vues de son parti qui s’applique à mettre en œuvre un programme cohérent de désinisation de Taiwan (1). 

C’est ici que la question de l’identité taiwanaise prend tout son sens. La taiwanité a pour but d’aviver les tensions et de nourrir l’antagonisme entre la République populaire de Chine et sa province, une réalité reconnue par le droit international. Se croyant sûrement malin pour mettre le Parti communiste chinois et la communauté internationale devant le fait accompli de l’indépendance, les leaders sécessionnistes affirment superflue toute déclaration formelle de l’indépendance de Taïwan. C’est ainsi que William Lai assure par exemple que la «République de Chine» n’est «pas subordonnée à la République populaire de Chine».

Ne reculant devant aucune outrance, le DPP ne cesse d’intimider, en promouvant sans cesse l’idée d’une réadmission de Taïwan aux Nations unies.

Les sécessionnistes de Taiwan interprètent l’attitude complaisante des Etats-Unis à leur égard comme un encouragement à la rébellion et au bellicisme. La presse libérale reflète cette complaisance coupable, comme le montrent les propos équivoques ci-dessous de l’agence de presse Bloomberg : “As the Republic of China—more commonly known as Taiwan—prepares for its presidential election in January, the prosperous island is the center of the world’s most complicated geopolitical chess match. The political party that has ruled for the past seven-plus years, the Democratic Progressive Party (DPP), says the island is a sovereign country. Beijing says it isn’t—and seems willing to wage war over the distinction. The US has mostly tried to avoid the question, but President Joe Biden has said—four times—that he would defend Taiwan”.

L’un des principaux promoteurs de ces vues aux Etats-Unis n’est autre que Lindsey Graham, sénateur de la Caroline du Sud au Congrès. C’est lui qui exige la sortie des Etats-Unis de l’ «ambiguïté stratégique» qui, de son point de vue, ne fonctionne pas. L’élu républicaine se dit favorable à un accord de défense avec Taiwan et affirme être «très ouvert à l’utilisation des forces américaines pour défendre Taïwan, car c’est dans l’intérêt de notre sécurité nationale de le faire.» (2)

D’un bellicisme exacerbé, Graham exprime sa ferme volonté de soutenir «l’envoi d’aide à Taiwan parce que c’est une démocratie». Cette aide n’exclut pas des avions F-16 dont les Taiwanais auraient besoin.

L’exemple de Lindsey Graham traduit la douloureuse contradiction dans laquelle les membres de l’establishment américain se sont eux-mêmes enfermés. Par exemple, le sénateur adhère à la politique d’ «une seule Chine », tout en avouant être prêt à se battre pour Taïwan, l’île étant, selon lui, une démocratie : I believe in a One China policy, but I would be willing to fight for Taiwan because Taiwan is a democracy ». Voilà pourquoi il encourage à envoyer plus d’armes à Taïwan, dans une hypothétique invasion de la Chine.

Les oligarques anglo-saxons sont convaincus que le fait d’abandonner les Taïwanais face à la Chine équivaudrait ni plus ni moins à une capitulation devant le camp de la tyrannie et un abandon du camp de la démocratie et de la liberté. Du point de vue des Etats-Unis, la sécurité de Taïwan constitue également un enjeu économique mondial majeur, dans la mesure où cette province de Chine produit 90% des semi-conducteurs haut de gamme indispensables à l’économie mondiale. La protection de cette niche de prospérité capitaliste vaudrait bien une guerre !

Dans un précédent article intitulé : « Crise russo-ukrainienne : la question de Taiwan »(3), j’avais souligné, à la suite d’Alain Brossat, le lien étroit existant entre les tentatives de désinisation forcée et l’apparition d’un fort courant «schmittien» dans l’île. Pour légitimer le séparatisme insulaire, des idéologues libéraux en Occident ont avancé l’argument spécieux de la «taiwanité» ou encore celui d’une «identité nationale taiwanaise  en construction». Comme en Ukraine, la construction de cette nouvelle identité se fait paradoxalement à l’ombre d’un puissant courant néofasciste encouragé par les oligarchies atlantistes. C’est précisément à cela que renvoie le « tournant schmittien » de la démocratie taiwanaise bien décrit par Alain Brossat(4).

Comme son nom l’indique, ce concept renvoie à la doctrine de Carl Schmitt (1888-1985), connu pour être l’un des principaux théoriciens de la révolution conservatrice en Allemagne. Conservateur donc, Schmitt considérait le fascisme comme un atout majeur pour rénover le nationalisme, grâce notamment à l’idée d’un Etat fort et d’une dictature charismatique. Pour Schmitt dictature et démocratie n’étaient pas antithétiques dans la mesure où le fascisme lui-même se présentait comme une démocratie directe, authentique, fondée sur l’alliance mystique entre un peuple et un chef dont les modèles achevés étaient le Duce et le Führer. Voilà pourquoi Carl Schmitt présentait son «Etat du futur» sous les traits d’une démocratie autoritaire, centralisée et plébiscitaire. Il suffit de fréquenter le journal pro-sécessionniste Taipei Times pour mesurer l’ampleur des idées militaristes qui se développent dans l’île séparatiste. Parfaits clones idéologiques des néoconservateurs anglo-saxons, les séparatistes taiwanais sont aussi des adeptes du messianisme et de la militarisation de la démocratie libérale. Dans le même article, j’avais également montré que les liens entre les sécessionnistes insulaires avec le militarisme japonais n’était pas le fait du hasard.

Ancienne possession du Japon (1895-1945), Taiwan porte toujours les stigmates de la colonisation, comme le montre le harifeng, la «vague japonaise». Ce phénomène n’est pas anodin, car l’héritage colonial nippon a un impact direct sur la définition de l’identité de Taiwan, notamment dans ses rapports avec le continent. L’interprétation de cet héritage colonial est source de profonds clivages au sein de la société taiwanaise. La controverse oppose en gros les partisans de la réunification d’une part et les forces séparatistes d’autre part. Ayant servi à façonner et à consolider une « identité taiwanaise » – comme à Hong-Kong -, l’héritage colonial et impérialiste est de nos jours mobilisé par les séparatistes pour contrarier les desseins du nationalisme « sino-centré » du parti nationaliste Kuomintang, ce dernier présentant « l’identité de la province de Taïwan comme chinoise han » (5).

Comme l’explique encore Jean-Paul Burdy, il est inscrit dans le programme du Kuomintang la délégitimation de « la culture taïwanaise post-coloniale pour la ré-endoctriner dans l’optique de la République de Chine et du confucianisme ». Les arguments pour déconsidérer l’occupation japonaise ne manquent pas. Il suffit simplement de rappeler les crimes odieux commis par l’armée impérialiste japonaise pendant la guerre d’agression contre la Chine à l’époque de la seconde grande guerre. Les violences exercées contre les Aborigènes sont connues, tout comme l’immorale exploitation sexuelle des « femmes de réconfort » dans les bordels de l’armée d’occupation.

Le négationnisme de l’extrême-droite nationaliste du Japon ne contribue pas à apaiser les tensions dans la région. Sur cette question précise, le point de vue du Parti communiste chinois et celui du Kuomintang convergent. Il faut être complaisant pour rattacher seulement la contestation de l’héritage colonial nippon au régime communiste chinois et à la «période autoritaire» de Taiwan, période qui renvoie, rappelons-le, au long règne du parti nationaliste. Mais que la réhabilitation de l’héritage colonial soit contemporaine de la période de «démocratisation» de l’île, c’est une évidence. Le début des années 1990 est en effet marqué par une réévaluation de l’occupation japonaise. Cette réévaluation de la période impérialiste concerne la littérature, le cinéma, les programmes scolaires, etc. S’agissant de ce dernier aspect, les partisans de la « nouvelle écriture de l’histoire » insistent pour que « l’ancien colonisateur japonais ne soit plus uniquement évoqué sous l’angle du « joug colonial » et de la répression, mais aussi à travers son indéniable contribution à la modernisation de l’île » (Cf. Jean-Paul Burdy).

Le parti nationaliste a raison de dénoncer ce révisionnisme qui vise à occulter, ou tout au moins, à relativiser les crimes coloniaux. Il convient de noter que ce révisionnisme historique est surtout présent dans l’inclination des sécessionnistes à idéaliser la période coloniale et impérialiste du Japon, tout en occultant le nationalisme agressif, le militarisme et l’expansionnisme violent d’un régime coupable des pires crimes en Asie. Seule la mesquinerie politique et le cynisme peuvent autoriser les indépendantistes taïwanais à affirmer que dans l’histoire contemporaine, la «période japonaise» s’était révélée moins «coloniale», moins expansionniste que le règne du Kuomintang par exemple, ou même que celui du Parti communiste chinois. L’on peut s’étonner que le colonialisme et l’impérialisme nippons soient considérés par les sécessionnistes insulaires «comme un âge d’or», synonyme de modernisation économique et institutionnelle ayant rendu possible l’affirmation d’une «conscience taïwanaise» et d’une « identité taïwanaise » fondées sur un parcours historique spécifique, comme l’a rappelé Jean-Paul Burdy. Les amitiés avec l’ancien premier ministre assassiné Shinzo Abe ne s’expliquent pas autrement. C’est ce nationaliste japonais agressif qui avait réussi à transformer profondément les relations nippo-taïwanaises dans le but explicite de contrer les prétendues menaces de la Chine. Abe célébrait les valeurs communes entre le Japon et la région séparatiste de Chine. Dans le contexte de la guerre russo-ukrainienne, il avait affirmé qu’il était temps pour l’Amérique de faire clairement savoir au monde que les démocraties libérales étaient prêtes à défendre Taïwan contre la République populaire de Chine. Le passé militariste de l’ancien premier japonais le prédisposait à l’agressivité face à une Chine que le Japon avait tenté de soumettre tout au long de la première moitié du XXe siècle. Par son grand-père Nobusuke Kishi en effet, Shinzo Abe était l’un des héritiers d’une dynastie de fascistes impériaux recyclés par le gouvernement des Etats-Unis à la fin de la Seconde guerre mondiale, en dépit des crimes atroces commis contre la Chine, la Corée et bien d’autres peuples d’Asie. Sous le régime militariste, Nobusuke Kishi avait été membre du gouvernement dans les années 1940, responsable du commerce, de l’industrie et du passage à l’économie de guerre et de l’industrie militaire.

Ces rappels historiques visent à montrer que les alliances internationales de Taïwan sont préférentiellement nouées dans le camp du nationalisme agressif, du bellicisme, du militarisme et du fascisme. Il en est ainsi parce que la confrontation militaire avec la République populaire de Chine est inscrite dans l’agenda des séparatistes. Pour exacerber les tensions, les partisans du Parti démocratique progressiste n’hésitent pas à présenter la République populaire de Chine comme un «Etat voyou», les dirigeants du PCC eux-mêmes étant vus comme de vulgaires criminels, en parité avec les «despotes» de Corée du Nord, de Cuba, d’Iran, du Venezuela et de Russie.

Au cours des dernières années, il s’est installé à Taïwan une lourde atmosphère de néo-maccarthysme, le but étant d’empêcher la formation de courants de pensée favorables à l’unité nationale. Il est significatif que l’oligarchie anglo-saxonne ait institué cette région rebelle de Chine comme ligne de front dans la lutte planétaire contre le spectre communiste. Dans le contexte de la nouvelle guerre froide en cours, Taïwan serait destinée à jouer pleinement son rôle méprisable d’ «État-mercenaire» et de «base arrière» de l’OTAN en mer de Chine. Les préparatifs de guerre contre la Chine sont avancés et les rôles sont désormais bien distribués. À la tête des coalisés antichinois, se trouve en effet un Japon mal guéri de son passé agressif, militariste et criminel, aux côtés d’une Corée réduite à devenir une petite colonie américaine, Taïwan elle, étant transformée en «porte-avion amarré à demeure en mer de Chine». La mise en place des alliances militaires comme le QUAD (Dialogue de Sécurité Quadrilatéral regroupant les Etats-Unis, l’Australie, l’Inde et le Japon) et l’AUKUS (Alliance militaire qui regroupe les Etats-Unis, l’Australie et le Royaume-Uni) ne doit donc rien au hasard.

Ces faits justifient pleinement la colère des dirigeants chinois face au voyage en Amérique du renégat taiwanais William Lai. Dans sa déclaration, le gouvernement chinois a affirmé «s’opposer fermement à toute forme d’interaction officielle entre les États-Unis et la région de Taïwan». La République populaire de Chine rejette catégoriquement toute visite de séparatistes et indépendantistes taiwanais aux États-Unis sous quelque nom ou sous quelque prétexte que ce soit et condamne toute forme de connivence et de soutien direct ou indirect aux partisans du sécessionnisme. Il en est ainsi, souligne la déclaration chinoise, parce que « la question de Taiwan est au cœur des intérêts fondamentaux de la Chine ». Il s’agit là d’une «ligne rouge qui ne peut être franchie» sous aucune forme. Voilà pourquoi la Chine a exhorté les États-Unis à : 1. « Respecter le principe d’une seule Chine et les trois communiqués conjoints sino-américains » ; 2. « Donner suite à l’engagement de ses dirigeants de ne pas soutenir « l’indépendance de Taiwan » ; 3. « Cesser les interactions officielles avec Taiwan » ; 4. « Cesser d’améliorer ses échanges de fond avec la région » ; 5. « Cesser d’envoyer de faux messages aux forces séparatistes en quête de « l’indépendance de Taiwan » ; 6. « Refuser de laisser William Lai « transiter » par les États-Unis ».

La fermeté du ton est un message sans équivoque tant aux sécessionnistes taiwanais qu’à leurs alliés américains et occidentaux. Ce message signifie, comme l’avait souligné Xi Jinping dans son discours de célébration du centenaire du PCC en 2021, que «nul ne doit sous-estimer la détermination, la volonté et la compétence du peuple chinois pour faire échec aux velléités indépendantistes de Taiwan et défendre la souveraineté nationale et l’intégrité du territoire», la réunification totale du pays constituant une «tâche historique et immuable» du PCC. Or, contre la guerre, le Parti communiste chinois avait très tôt choisi la voie pacifique pour parvenir à la réunification de la Chine. Dans un discours prononcé le 2 janvier 2019 au Rassemblement pour célébrer le 40e anniversaire de la publication du «Message à nos compatriotes de Taïwan», le président Xi Jinping avait affirmé :

« Ces 70 dernières années, en maîtrisant l’évolution des relations inter-détroit à notre époque, nous avons proposé le règlement pacifique du problème de Taïwan, avancé la conception scientifique d’ «un pays deux systèmes», défini le principe fondamental dit «réunification pacifique» et «un pays, deux systèmes», et formé la stratégie fondamentale de suivre le principe d’ «un pays, deux systèmes » et de promouvoir la réunification de la patrie».

Pourquoi privilégier la voie pacifique ? Selon le président chinois, «les compatriotes des deux rives sont liés par la chair et le sang» (La Gouvernance de la Chine. III. 2021, p. 530) ; ils «partagent la même origine, la même culture et le même groupe ethnique» (p. 531) ; ils «appartiennent à une même famille» (p. 528). Les affaires entre Taiwan et le continent étant «des affaires familiales», elles «doivent être gérées par le biais de la consultation entre les membres de la famille» (p. 528). Xi Jinping n’élude pas la délicate question de la guerre et précise les conditions du recours à la force. L’affirmation fondamentale est que «les Chinois ne se battent pas entre eux» (p. 529). Le président chinois souligne cependant que «le fait que nous ne promettons pas de renoncer à l’emploi de la force et gardons l’option de prendre toutes les dispositions nécessaires ne vise absolument pas les compatriotes de Taiwan, mais l’intervention des forces étrangères, la poignée de sécessionnistes partisans de l’«indépendance de Taiwan» et leurs activités sécessionnistes» (pp. 529-530). Les ennemis sont ainsi clairement identifiés et prévenus.

Dans sa déclaration faite suite à la visite à Taiwan de la Présidente de la Chambre des Représentants des États-Unis Nancy Pelosi, le Ministère chinois des Affaires étrangères avait souligné les conséquences de l’ingérence américaine dans les affaires intérieures de la Chine, en prenant comme prétexte Taiwan. Il écrit : «Les autorités de Taiwan s’obstinent à rechercher l’«indépendance de Taiwan» en s’appuyant sur les Etats-Unis, refusent de reconnaître le Consensus de 1992, se livrent sans scrupule à la «désinisation» et cherchent à promouvoir une «indépendance» progressive de Taiwan. Les Etats-Unis, de leur côté, cherchent à contenir la Chine en utilisant Taiwan». D’un autre point de vue, l’Amérique, par son action néfaste, s’efforce de vider de sa substance le principe d’une seule Chine, en multipliant les échanges officiels avec l’entité séparatiste. C’est avec raison que le gouvernement chinois considère dangereux ces actes incendiaires. Or, «ceux qui jouent avec le feu finiront par se brûler», affirme le Ministère des Affaires étrangères.

Lors de la célébration du centenaire de la création du PCC, le président Xi avait déclaré : «Le Parti communiste chinois et le peuple chinois, au prix d’une lutte héroïque et opiniâtre, déclarent solennellement au reste du monde que le peuple chinois est désormais debout, et qu’est à jamais révolue l’époque où la nation chinoise était à la merci des puissances étrangères et essuyait affronts et outrages». Il convient de souligner que cette mise en garde est périodiquement répétée par tous les patriotes chinois depuis au moins le Mouvement du 4 Mai 1919. Ces principaux acteurs de cette séquence historique avaient déclaré : «Le territoire de la Chine peut être conquis, mais il ne peut être donné !» ; «les Chinois peuvent être tués, mais ils ne veulent pas être soumis !» C’est dans cette perspective que Deng Xiaoping déclarait, dans son allocution d’ouverture du XIIe Congrès du Parti communiste chinois : «Aucun pays étranger ne doit s’attendre à ce que la Chine devienne son vassal, ni à ce qu’elle avale des couleuvres au détriment de ses intérêts».

Cependant les leaders communistes rappellent l’attachement du peuple chinois à la justice et à la paix, la preuve en étant que la Chine n’a jamais cédé devant la violence, jamais malmené, jamais opprimé ni asservi aucune nation : «elle ne l’a pas fait dans le passé, elle ne le fera jamais dans l’avenir». En revanche, la nation chinoise «ne saurait tolérer en aucune manière qu’une force étrangère en use de la sorte à son égard». Ainsi, «quiconque tentera d’agir ainsi se brisera sur la Grande Muraille d’airain que plus de 1,4 milliards de Chinois ont érigé avec leur chair et leur sang !».

La voie pacifique pour la réunification de la Chine reste donc une option cardinale et irréversible. Etant liés par le sang et la chair, «les Chinois doivent se souhaiter le bonheur les uns aux autres et s’entraider». C’est dans cette perspective que les Taiwanais seront traités sur un pied d’égalité et « la réunification doit être réalisée par la consultation d’égal à égal et la discussion ensemble » (p. 528).

Dans l’ordre institutionnel, le principe d’ «un pays, deux systèmes» est une invention originale. Edifié par l’expérience du Front uni patriotique, le PCC est convaincu que ce principe constitue la meilleure garantie pour régler la délicate question des entités régionales séparées de la patrie du fait de l’occupation étrangère. C’est notamment le cas de Hong-Kong, Macao et Taiwan. Dans son Rapport au XIXe Congrès du Parti communiste chinois, Xi Jinping avait demandé d’appliquer dans leur intégralité et avec méthode les principes suivants : «Un pays, deux systèmes» ; «Administration de Hong-Kong par les Hongkongais» ; «Administration de Macao par les Macanais» ; «Un haut degré d’autonomie». La solution de la question de Taiwan ne réside donc pas dans l’alternative irréversible entre l’indépendance totale et la dilution dans le grand ensemble chinois.

Yaoundé le 18 août 2023.

Notes

1. Cf. Joel Weber and Cindy Wang : « Can Taiwan’s Next Leader Keep the Peace? » https://www.bloomberg.com/news/newsletters/2023-08-15/taiwan-vice-president-lai-ching-te-on-the-status-quo-with-china;

Ben Blanchard. Editing by Gerry Doyle and Jon Boyle : « Taiwan presidential frontrunner says no plans to change island’s formal name”: https://www.reuters.com/world/asia-pacific/taiwan-presidential-frontrunner-says-no-plans-change-islands-formal-name-2023-08-15/).

2. “So the question for the Congress, should we have a defense agreement with the island of Taiwan? We don’t should we have one?” he said. “But yes, I’d be very much open to using U.S. forces to defend Taiwan, because it’s in our national security interest to do so.”

Cf. Lauren Sforza: “Graham says he is ‘open’ to sending US forces to Taiwan (04/09/23) : https://thehill.com/homenews/sunday-talk-shows/3941174-graham-says-he-is-open-to-sending-us-forces-to-taiwan.

3. Mutations n° 5637, Mercredi 3 août 2022, pp. 10-114.

4. « Taipei Times ou le tournant schmittien de la démocratie libérale » : http://www.librairie-tropiques.fr/2020/10/taipei-times-ou-le-tournant-schmittien-de-la-democratie-liberale.html

5. Cf. Jean-Paul Burdy : « Les Taïwanais et le Japon – Volet 2/ La « période coloniale » revisitée: Mémoires et réécritures de l’histoire (1945-2022) : https://lesmotsdetaiwan.com/2022/01/02/taiwan-et-les-japonais-volet-2-la-periode-coloniale-revisitee-memoires-et-reecritures-de-lhistoire/

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