samedi, avril 27

Comprendre les relations afro-chinoises dans le contexte actuel

Foly Ananou staticien l'afrique des idéesLes 4 et 5 décembre, l’Afrique du Sud accueille le Forum de coopération sino-africain dans un contexte économique tendu pour la Chine. Dans une interview accordée Chine-Magazine, Foly Ananou, statisticien économiste et responsable du pôle économie du think-tank l’Afrique des Idées*, a expliqué que la conjoncture actuelle dans l’Empire du milieu aura des effets variables selon les pays. Retrouvez son analyse détaillée, avec des questions ajoutées par Chine-Magazine.

Qu’est ce qui explique le ralentissement chinois ?

Avant toute chose, il convient de relativiser ce qu’on appelle « ralentissement chinois ». Dans un premier temps, mécaniquement, on évoque ce sujet parce que les chiffres sur la croissance semblent moins importants que ceux des années précédentes mais aussi par rapport aux prévisions.

Quand on considère que plusieurs analystes estiment que les données chinoises n’étaient pas systématiquement fiables, on peut toujours se dire que les baisses observées seraient plus liées à un effet de base ou à une méthodologie de calcul plus juste.

Ceci étant dit, le constat est que la dynamique économique de la Chine tend à s’étouffer (même si on laisse de côté les données sur la croissance – les experts parlent de 4% là où les autorités parlent de 7%) et on le réalise dans les chiffres de son commerce extérieur depuis mi-2014, avec son corolaire sur le prix du baril.

La croissance chinoise soutenue de ces dernières années était liée à un phénomène de rattrapage. En Afrique, beaucoup de pays l’ont connu ou le connaissent : Côte d’ivoire aujourd’hui par exemple. Il s’agit d’une hausse provoquée par un changement de politique économique.

Fermeture sur soi dans un premier temps pour renforcer le secteur agricole, puis ouverture sur le monde avec un environnement des affaires plutôt favorable, en lien essentiellement avec des coût de production faible, notamment celui de la main d’œuvre, naturellement l’investissement a suivi, de nombreuses entreprises se sont délocalisées vers la Chine – qui très prudente a mis en place un mécanisme qui permet aux citoyens de s’approprier la technologie et donc d’aller progressivement vers une autoproduction.

Dans ce contexte, le pouvoir d’achat des populations augmente, les infrastructures sont aujourd’hui en place et le pays ne devrait plus dépendre du pouvoir d’achat du reste du monde (industrialisé notamment). Le vieillissement de la population (on se souvient de la politique de limitation des naissances) favorise une hausse du coût de la main d’œuvre et donc produire systématiquement pour l’exportation n’est plus soutenable.

Il faut s’appuyer sur le marché interne d’autant plus que les chinois ont davantage de richesse et des charges limitées (peu d’enfants) et qu’ils peuvent produire eux même ce dont ils ont besoin. C’est tous ces facteurs qui conduisent aujourd’hui à ce ralentissement.

Quelles sont les conséquences du ralentissement économique pour les pays africains ?

Ce ralentissement provoque deux choses : une baisse du cours de certaines matières premières (charbon, pétrole, cuivre et quelques produits agricoles)[1]. Pour les pays africains, l’impact est à nuancer selon leur relation avec la Chine et la nature du pays.

Pour les pays producteurs de matières premières, qui alimentent les industries chinoises, ce sera un choc négatif. Ils verront leurs exportations diminuer en volume et en valeur (du fait de la baisse des prix)[2] et donc des entrées de devises moindres, une croissance plus molle et des retards importants dans la mise en œuvre de projets financés par investissements publics.

Certains verraient leur taux de change par rapport au dollar se déprécier, ce qui rendrait leurs importations plus coûteuses et de forts impacts sur les équilibres extérieurs. Les prix domestiques vont grimper dans un contexte de baisse du pouvoir d’achat. La dette de l’État pourrait dans ce contexte grimper pour compenser les pertes avec à termes des efforts à faire sur le service de la dette.

Somme toute, pour les plus importants exportateurs de matières premières et très ouverts sur le marché chinois, les plans de développement prendront un coup de frein. Pour ceux dépendants moins de la Chine, ils subiront les mêmes effets mais à des proportions moindres en lien avec la baisse du cours des matières dont ils sont les principaux importateurs.

Pour les importateurs nets, notamment de produits pétroliers, c’est plutôt une bonne nouvelle. Les états pourront avoir des disponibilités financières à investir, les équilibres extérieurs vont se réconforter en lien avec la baisse généralisée du cours du pétrole. Et si davantage, ils exportent vers la Chine quelques produits raffinés comme de l’huile végétale, ils seront encore plus avantagés. De fait, si les industries chinoises ralentissent induisant un ralentissement des exportations, la consommation devrait rester vigoureuse en lien avec les salaires plus élevés (comme évoqué dans le paragraphe précédent), ce qui profiterait aux pays africains qui exportent vers la Chine des produits sophistiqués (sauf qu’il n’en existe pas beaucoup).

Pouvez-vous nous donner des données chiffrées ?

Selon les dernières estimations du FMI (WEO 2015, version d’octobre), la croissance devrait se situer à moins de 4% en Afrique subsaharienne. Les pays pétroliers et leurs voisins sont particulièrement affectés, alors que leurs marges de manœuvre (budgétaires et en termes de réserves de change) sont limitées, inférieures à celles de 2008.

Pour la République Démocratique du Congo par exemple, les autorités ont été contraints de suspendre certains investissements, d’adopter un budget rectificatif basé sur un cours du pétrole à 55 USD (contre 70 USD dans le budget initial). Parallèlement, la dette externe pourrait continuer à augmenter rapidement (de 20% en 2010 à 36% du PIB en 2014). L’analyse de soutenabilité de la dette conclut actuellement à un risque de défaut modéré. Toutefois, les perspectives sur la dette pourraient se dégrader en cas de persistance d’un cours du pétrole bas sur une période prolongée et d’accumulation rapide de la dette.

Pour la Sierra Léone, le PIB devrait se contracter de plus de 20% en 2015 et les dépenses publiques ont été réduites. La reprise des opérations minières ne reprendra que sous réserve d’une réduction des coûts de production (entendons par là, diminution de salaires ou licenciement). En Afrique du Sud, cela a été le cas, plusieurs entreprises minières ont dû licencier du personnel. Pour le FMI, la croissance en Afrique du Sud ne devrait pas excéder 2% en 2015.

Ces données, bien que n’isolant l’effet direct en lien avec le ralentissement chinois, explicite, je pense, comment le ralentissement de la croissance chinoise qui s’est traduit par la chute du cours des matières premières affectent les économies africaines.

Des impacts sont-ils à prévoir sur l’investissement chinois en Afrique ?

Il y a des analystes qui considèrent que des industriels chinois pourraient davantage se rapprocher de l’Afrique pour optimiser leur performance vu qu’ils sont devenus moins compétitifs avec des coûts de production plus élevés. Malheureusement, l’Afrique n’est pas dans le viseur du privé chinois comme terre d’accueil de leur investissement productif.

Le continent est plus considéré comme un chasse-gardé de réserves de matières premières de sorte que les investissements chinois qui ont été effectués sur le continent avaient justement pour objectif de sécuriser l’approvisionnement de matières premières.

Aujourd’hui la stratégie des industriels chinois consiste (i) d’une part à monter en gamme et donc à pouvoir mettre sur le marché des produits chinois de haut de gamme qui peuvent rentrer en concurrence avec des produits européens ou américains, sans qu’ils ne ressentent cette hausse des salaires sur leur chiffre d’affaires et (ii) d’autre part à poursuivre la production de produits à faible valeur ajouté mais ceci dans des pays où le coût de production est plus faible et qui dispose de réels avantages comparatifs.

C’est par exemple plus aisé de s’installer en Éthiopie pour fabriquer des chaussures que de le faire au Sénégal. D’emblée, la première stratégie ne concerne pas l’Afrique : l’expertise acquise par les ingénieurs chinois qui ont exercé pendant des années suffit pour réussir cette stratégie. Il n’y a donc aucune chance de voir une usine de pointe de fabrication d’autobus en Afrique, par exemple. La deuxième stratégie, qui pourrait et qui semble susciter l’engouement des afro-optimistes, n’est pas aussi évidente.

Pour les chinois, la main d’œuvre africaine coûte trop chère alors qu’à côté d’eux ; et de plus, il y a des pays (à culture similaire) qui ont déjà une certaine expertise et où la main d’œuvre semble moins onéreuse. En 2010, 40 % des chaussures Nike étaient produites en Chine, contre 13 % au Vietnam. En 2013, la part chinoise est tombée à 30 %, tandis que celle du Vietnam a grimpé à 42 %, selon Agatha Kratz, spécialiste de la Chine au sein de l’ECFR.

L’Afrique n’est pas encore dans le viseur des investisseurs privés chinois, en tout cas, pas autant que certains l’espère.

Par contre, sur le financement des investissements publics, la tendance ne devrait pas forcément changer. Les autorités ont toujours été prudentes quand il s’agit d’accorder des prêts aux pays africains, en analysant de près la capacité des pays à tenir leurs engagements financiers. Ils devraient continuer d’employer cette politique. Y perdront les pays qui auront des perspectives économiques plus molles et y bénéficieront ceux qui auront des perspectives économiques plus solides.

Notes.

[1] le pétrole et le fer essuient une baisse de leurs cours entre 40 et 70% ; les cours du gaz, du charbon, de l’or et du cuivre se sont réduits d’au moins 30%.

[2] Les productions de matière première ont commencé à décliner au Botswana, en République du Congo, Guinée, Sierra Leone et Afrique du Sud.

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