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HRW. « Le système de détention secrète entache la lutte anticorruption »

Communiqué – Hong-Kong, le 6 décembre 2016 – Le gouvernement chinois devrait immédiatement abolir le système de détention secrète dont il se sert pour extorquer des aveux aux suspects de corruption, a déclaré Human Rights Watch dans un nouveau rapport. Ce système, administré par le Parti communiste et connu sous le nom de « shuanggui », n’a pas de fondement en vertu de la loi chinoise, mais constitue un fer de lance de la campagne anticorruption lancée par le président Xi Jinping.

« La campagne anticorruption du président Xi repose sur un système de détention abusif et illégal », a expliqué Sophie Richardson, directrice de recherches sur la Chine auprès de la Division Asie de Human Rights Watch. « Torturer les suspects pour leur extorquer des aveux ne mettra pas fin à la corruption, mais à la confiance de l’opinion publique dans l’appareil judiciaire chinois ».

Le rapport de 102 pages, intitulé “« “Special Measures”: Detention and Torture in Chinese Communist Party’s Shuanggui System »” (« Mesures spéciales : détention et actes de torture dans le système shuanggui du Parti communiste chinois ») décrit les abus commis contre les individus détenus en vertu du système shuanggui, notamment la privation prolongée de sommeil, l’obligation d’adopter des postures épuisantes sur de longues périodes, la privation d’eau et de vivres, et les passages à tabac. Les détenus sont également placés en isolement cellulaire et au secret dans des centres de détention clandestins. Après avoir « avoué » des actes corruption, ils sont généralement renvoyés devant la justice pénale, reconnus coupables et condamnés à des peines de prison souvent lourdes.

Le rapport se base sur 21 entretiens de Human Rights Watch avec quatre anciens détenus, ainsi que des membres de leurs familles; 35 témoignages détaillés de détenus issus de plus de 200 articles de médias chinois; et une analyse de 38 arrêts rendus par des tribunaux à travers tout le pays. Bien qu’il existe des commentaires et analyses du système shuanggui, le rapport de Human Rights Watch est le premier à réunir des témoignages directs de détenus, ainsi que diverses sources officielles indirectes.

Placée sous l’autorité du Parti communiste chinois, la Commission centrale pour l’inspection de la discipline (CCDI) supervise le système shuanggui, qui peut s’appliquer à chacun des 88 millions de membres du parti d’Etat. La CCDI et ses antennes, les Commissions locales pour l’inspection de la discipline (CDI), prennent généralement pour cible des fonctionnaires, mais parmi les détenus, se trouvent également des banquiers, des universitaires et des cadres de l’industrie du divertissement. Bo Xilai, ancien membre du puissant Politburo du Parti, aurait été détenu en vertu du shuanggui et serait passé aux aveux sous « une pression indue » avant d’être condamné à la prison à perpétuité.

Le début d’une enquête dans le cadre du système shuanggui est souvent marqué par la disparition d’un individu. Les membres de sa famille ne reçoivent aucune notification de son lieu et de sa durée de détention, et de son infraction présumée. Les détenus sont privés d’accès à un avocat. Bien qu’il y ait des limites de temps imposés au shuanggui, les enquêteurs de la CDI peuvent demander des prolongations pour une durée indéfinie, souvent jusqu’au passage aux aveux.

Les installations shuanggui sont généralement des chambres d’hôtel présentant des particularités comme des murs rembourrés ou une absence de fenêtres, afin d’éviter tentatives de suicide ou d’évasion. Les détenus sont gardés 24 heures sur 24 par des responsables, souvent mobilisés de manière officieuse à cet effet, et soumis à des interrogatoires de la part des agents de la CDI.

Une personne qui avait été détenue dans le cadre du système shuanggui a déclaré à Human Rights Watch : « Si vous vous asseyez, vous devez rester assis 12 heures consécutive ; si vous vous redressez, vous devez rester debout 12 heures d’affilée. Mes jambes ont enflé, mes fesses étaient à vif et du pus a commencé à en suinter ».

Alors que le président Xi a fait de la lutte contre la corruption une « question de vie ou de mort » pour le Parti communiste, il en va de même pour les détenus dans le cadre du système shuanggui : au moins 11 décès survenus dans le cadre de système de détention ont été signalés par les médias depuis 2010.

Dans la plupart des cas, les autorités ont prétendu qu’il s’agissait de suicides, mais les familles suspectent souvent de mauvais traitements, ce que l’absence d’enquêtes exhaustives et impartiales semble confirmer. Alors que les pensées suicidaires sont fréquentes en raison des conditions de détention difficiles, la surveillance constante et les modifications apportées aux lieux de détention permettent rarement de les mettre à exécution.

Certaines Commissions locales, préoccupées des atteintes à la réputation que représentent les décès en détention, ont noué des partenariats avec des hôpitaux et des médecins en vue de fournir des soins médicaux aux détenus soumis à des actes de torture et à d’autres mauvais traitements.

Les CDI sont tenues de transmettre d’éventuels éléments de preuve au parquet, aux enquêteurs d’État et aux procureurs chargés d’enquêter sur les crimes officiels. En lieu et place, Human Rights Watch a constaté que les procureurs coopèrent avec les agents des CDI et participent directement au système shuanggui. Dans le cadre de ces « enquêtes conjointes », des aveux sont extorqués – les détenus n’ayant aucune garantie de procédure – et versés à des dossiers judiciaires.

Si, lors de ces procès, les détenus se rétractent, assurant que leurs aveux ont été extorqués, les procureurs menacent généralement de les renvoyer au système shuanggui. Les juges rejettent généralement les objections des détenus au motif que le shuanggui et ses pratiques ne relèvent pas du système judiciaire.

« Dans les affaires de corruption jugées dans le cadre du système shuanggui, les tribunaux fonctionnent comme des rustines, conférant une crédibilité à un processus totalement illégal mis en place par le Parti communiste », a déclaré Sophie Richardson. « Non seulement le système shuanggui affaiblit l’appareil judiciaire chinois, mais il le tourne en dérision ».

Le système shuanggui a été un outil très efficace pour les enquêteurs du Parti communiste : une fois des aveux extorqués, les suspects n’ont pratiquement aucun recours pour être innocentés. Les acquittements sont extrêmement rares et, à l’exception des cas où des détenus ont perdu la vie, les enquêteurs sont rarement sanctionnés. Certaines personnes interrogées ont déclaré à Human Rights Watch que leurs tortionnaires sont félicités de leur « efficacité » dans le traitement des affaires de corruption.

La Chine a un grave problème de corruption, mais pour y remédier, il faut un système judiciaire indépendant, des médias libres et des droits des suspects garantis, a déclaré Human Rights Watch. Une étape cruciale est l’abolition du shuanggui.

« Éradiquer la corruption sera impossible tant qu’existera la procédure shuanggui », a déclaré Sophie Richardson. « Chaque jour, ce système menace la vie des membres du parti et souligne les abus inhérents à la campagne anticorruption lancée par le président Xi. »

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