mardi, avril 23

Lin Zexu, guerrier anti-opium

Lin Zhexu 林 则 徐 (30 août 1785 – 22 Novembre 1850), est né à Fuzhou dans la province de Fujian. Militaire, érudit et fonctionnaire durant la dynastie Qing (1644-1912). Il est surtout connu pour sa position contre le commerce de l’opium à Canton, devenant malgré lui le symbole de la lutte anti-opium.

En 1811, il est nommé à la prestigieuse Académie Hanlin, et devient 26 ans plus tard, Gouverneur général du Hunan et du Hubei, où il a lance une vaste campagne de suppression de l’opium.

Bureaucrate efficace, il est reconnu par la cour impériale pour ses compétences et sa haute moralité. Lin Zexu est envoyé dans le Guangdong comme commissaire impérial par l’empereur Daoguang à la fin de 1838 pour mettre fin à l’importation illégale d’opium au nom de la Grande-Bretagne.

Lin Zexu s’adresse à la reine Victoria

Arrivé en mars 1839 à Canton, Lin Zexu a écrit un Mémorial au « Souverain d’Angleterre », sous la forme d’une lettre ouverte publiée à Canton, à destination de la reine Victoria d’Angleterre en 1839, lui demandant la fin du trafic d’opium. La lettre est remplie de concepts confucéens, de moralité et de spiritualité. En tant que représentant de la cour impériale, Lin Zexu adopte une position de supériorité vis-à-vis des Britanniques, et son ton condescendant, lui vaut la colère des britanniques.

Son principal argument est que la Chine fournit à la Grande-Bretagne des denrées précieuses telles que le thé, la porcelaine, les épices et la soie, tandis que la Grande-Bretagne envoie seulement du « poison » en retour. Il a accusé les commerçants étrangers de convoiter le profit et de manquer de moralité. Son mémorial exprimait le désir que le dirigeant agisse « conformément à un sentiment décent » et soutienne ses efforts contre l’opium.

Puisqu’il croyait que l’opium était interdit au Royaume-Uni, il pensait que la reine Victoria avait tort de le soutenir en Chine. Il a écrit :

Nous constatons que votre pays est à soixante ou soixante-dix mille li de Chine. Le but de vos navires en venant en Chine est de réaliser un gros profit. Puisque ce profit est réalisé en Chine et est en fait enlevé au peuple chinois, comment les étrangers peuvent-ils rendre un préjudice pour le bénéfice qu’ils ont reçu en envoyant ce poison pour nuire à leurs bienfaiteurs ?

Ils n’ont peut-être pas l’intention de faire du mal aux autres exprès, mais il n’en reste pas moins qu’ils sont tellement obsédés par le gain matériel qu’ils ne se soucient absolument pas du mal qu’ils peuvent causer aux autres. N’ont-ils pas de conscience ? J’ai entendu dire que vous interdisiez strictement l’opium dans votre propre pays, indiquant sans équivoque que vous savez à quel point l’opium est nocif. Vous ne souhaitez pas que l’opium nuise à votre propre pays, mais vous choisissez d’apporter ce mal à d’autres pays comme la Chine. Pourquoi?

Les produits originaires de Chine sont tous des objets utiles. Ils sont bons pour la nourriture et à d’autres fins et sont faciles à vendre. La Chine a-t-elle produit un article nocif pour les pays étrangers ? Par exemple, le thé et la rhubarbe sont si importants pour la subsistance des étrangers qu’ils doivent les consommer tous les jours. Si la Chine devait se soucier uniquement de son propre avantage sans se soucier du bien-être d’autrui, comment les étrangers pourraient-ils continuer à vivre ?

J’ai entendu dire que les régions sous votre juridiction directe telles que Londres, l’Ecosse et l’Irlande ne produisent pas d’opium ; il est plutôt produit dans vos possessions indiennes telles que le Bengale, Madras, Bombay, Patna et Malwa. Dans ces possessions, les Anglais non seulement plantent des pavots à opium qui s’étendent d’une montagne à l’autre, mais ouvrent également des usines pour fabriquer cette terrible drogue.

Au fur et à mesure que les mois s’accumulent et que les années passent, le poison qu’ils ont produit augmente dans son intensité méchante, et son odeur répugnante monte jusqu’au ciel. Le ciel est furieux de colère, et tous les dieux gémissent de douleur ! Il est suggéré par la présente que vous détruisiez et labouriez sous toutes ces plantes à opium et cultiviez à la place des cultures vivrières, tout en émettant un ordre punissant sévèrement quiconque oserait planter à nouveau des pavots à opium.

Le meurtrier d’une personne est passible de la peine de mort ; imaginez combien de personnes l’opium a tuées ! C’est la raison d’être de la nouvelle loi qui stipule que tout étranger qui apporte de l’opium en Chine sera condamné à mort par pendaison ou décapitation. Notre but est d’éliminer ce poison une fois pour toutes et au profit de toute l’humanité.

La lettre n’a suscité aucune réponse de la part des autorités britanniques, mais elle a ensuite été réimprimée dans le journal London Times comme un appel direct au public britannique.

Des mesures impériales lancées

Un édit de l’empereur Daoguang a été publié après cette lettre ouverte, le 18 mars, soulignant les sanctions graves pour la contrebande d’opium qui s’appliqueraient désormais.

En 1839, Lin Zexu commence à prendre des mesures qui élimineraient le commerce de l’opium, à travers la commission impériale de l’empereur Daoguang destinée à mettre fin à l’importation illégale d’opium par les Britanniques.

Arrivé en mars 1839 à Canton, il arrête plus de 1700 marchands chinois d’opium et confisque plus de 70 000 pipes à opium. Dans un premier temps, il tente d’obtenir des sociétés étrangères qu’elles renoncent à leur cargaison d’opium, en échange de magasins de thé. Cette offre est rapidement rejetée par les Britanniques, il décidera alors de faire usage de la force dans les enclaves marchandes. Il saisit alors près de 1,2 millions de kilogrammes d’opium.

À partir du 3 juin 1839, 500 ouvriers travaillent durant 23 jours pour détruire toutes les caisses d’opium. La drogue est mélangée avec de la chaux, et du sel, le tout est jeté à la mer à l’extérieur de la ville de Humen, afin d’assurer sa destruction totale. Lin Zexu demandera pardon aux dieux de la mer pour avoir pollué leur royaume, et leur écrit une élégie.

Pour l’historien Jonathan Spence, Lin Zexu et l’empereur Daoguang « semblaient avoir cru que les citoyens de Canton et les commerçants étrangers là-bas avaient des natures simples et enfantines qui répondraient à des conseils fermes et à des déclarations de principes moraux énoncés en termes simples et clairs ».

Cependant, Ni Lin Zexu ni l’empereur Daoguang « n’ont apprécié la profondeur ou changé la nature du problème. Ils n’ont pas vu le changement dans les structures du commerce international, l’engagement du gouvernement britannique à protéger les intérêts des commerçants privés et le danger pour les commerçants britanniques qui rendraient leur opium ».

Les hostilités ouvertes entre la Chine et la Grande-Bretagne ont commencé en 1839 dans ce que l’on appellera plus tard la « Première Guerre de l’opium ».

Enfin, Lin Zexu fait pression sur le gouvernement portugais de Macao, pour expulser les Britanniques. Les forces britanniques ont été battues à plusieurs reprises dans ses combats dans la région de Canton. Mais la force navale britannique débarque facilement à Dinghai, comprenant le navire de guerre à vapeur « Nemesis » de la Compagnie des Indes orientales et des armes améliorées. Les forces chinoises sont rapidement mises en déroute.

Lin Zexu prépare la guerre contre une éventuelle invasion britannique. Les Britanniques ont navigué vers le nord pour attaquer les provinces du Jiangsu et du Zhejiang. Les gouverneurs de ces deux provinces n’ont cependant pas tenu compte d’un avertissement de Lin Zexu et n’étaient pas préparés lorsque les Britanniques ont débarqué et occupé Dinghai, avec facilité.

Lin Zexu devient le bouc émissaire

Suite à cette défaite, et en raison de la corruption au sein de l’administration impériale, Lin Zexu a été utilisé comme bouc émissaire pour ces pertes et en raison de la politique au sein de la cour impériale. En guise de punition, il a été exilé dans la région reculée d’Ili au Xinjiang. Son poste est ensuite confié à Qishan en septembre 1840.

Il va accepter son exil, et écrira « 海納百川,有容乃大。壁立千仞,無欲則剛 » (Hǎinàbǎichuān, yǒu róng nǎi dà. Bìlì qiān rèn, wúyùzégāng): « La mer accepte les eaux d’une centaine de rivières; sa tolérance se traduit par sa grandeur. La falaise culmine à mille rens » (unité de longueur à peu près égale à une brasse).

Pendant son séjour au Xinjiang, Lin Zexu a été le premier érudit chinois à enregistrer plusieurs aspects de la culture musulmane. En 1850, il explique dans un poème que les musulmans d’Ili n’adoraient pas les idoles, mais s’inclinaient et priaient devant des tombes décorées de poteaux auxquels étaient attachées des queues de vaches et de chevaux. Il s’agissait d’une pratique chamanique répandue d’ériger un tugh, et surtout de première apparition enregistrée dans les écrits chinois. Lin Zexu a également enregistré plusieurs contes oraux kazakhs.

Lin Zexu réhabilité

Le gouvernement Qing a finalement réhabilité Lin Zexu, car il est un fonctionnaire à la rare vertu et pouvant s’occuper de plusieurs situations difficiles.

En 1845, il est nommé gouverneur général du Shaan-Gan (Shaanxi-Gansu). En 1847, il devient gouverneur général de Yun-Gui (Yunnan-Guizhou). Ces postes étaient moins prestigieux que son poste précédent à Canton, et sa carrière ne s’est jamais complètement remise des échecs là-bas.

Lin Zexu meurt en 1850 alors qu’il se rendait dans la province du Guangxi, où le gouvernement Qing l’envoyait pour aider à mettre fin à la rébellion des Taiping.

Accusé d’être à l’origine de la Première Guerre de l’opium, la réputation de Lin Zexu a été réhabilitée durant la dynastie Qing, alors que des efforts sont faits une fois de plus pour éradiquer la production et le commerce de l’opium.

Il est devenu un symbole de la lutte contre l’opium, avec son image affichée dans les défilés et ses écrits cités avec approbation par les réformateurs anti-opium et anti-drogue.

Pour le sinologue anglais Herbert Giles, Lin Zexu était « un bon érudit, un fonctionnaire juste et miséricordieux et un vrai patriote« . Il reste donc de lui l’image d’un grand patriote chinois, opposé à l’ouverture de la Chine, mais qui a estimé qu’il fallait connaître les étrangers.

Lin Zexu est désormais un héros national en Chine, et pas moins de trois films à son sujet ont été réalisés dont Lin Zexu (1959) et Les guerres d’opium (1997).

D’ailleurs, un musée commémoratif a été ouvert à Macao sur l’arrivée de Lin Zexu à Macao le 3 septembre 1839. Le musée a été achevé en novembre 1997 et présente la statue de Lin Zexu à son entrée d’une hauteur de 4 mètres. Les salles d’exposition du musée comprennent l’interdiction du commerce de l’opium et l’inspection de Macao, les monuments commémoratifs éternels. Le musée expose diverses photographies de l’histoire pendant la période de Lin Zexu.

L’ancienne maison de Lin Zexu, située dans le quartier historique de Sanfang-Qixiang (« Trois voies et sept allées ») de Fuzhou, est ouverte au public. À l’intérieur, son travail en tant que fonctionnaire du gouvernement est présenté.

Il comprend des études sur le commerce de l’opium ou encore les méthodes agricoles, la conservation de l’eau, notamment son travail pour empêcher le lac de l’Ouest de Fuzhou de devenir une rizière, et sa campagne contre la corruption au sein de l’administration.

Le 3 juin – le jour où Lin Zexu a confisqué les coffres d’opium – est officieusement célébré comme la Journée du mouvement de suppression de l’opium à Taiwan, tandis que le 26 juin est reconnu comme la Journée internationale contre l’abus et le trafic illicite de drogues en l’honneur du travail de Lin Zexu.

Des monuments à Lin Zexu ont été construits dans les communautés chinoises du monde entier :
– une statue de lui se dresse à Chatham Square dans le quartier chinois de New York, aux États-Unis. La base de la statue porte l’inscription « Pionnier de la guerre contre la drogue » en anglais et en chinois.
– une statue de cire est également apparue au musée de cire Madame Tussauds à Londres.

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